C'est la nouvelle médiatique du jour…
L'Actualité et autres publications de Rogers sur Canoë
Grâce à une entente annoncée mercredi, le contenu des sites Internet de onze publications de Rogers dont L'Actualité sera accessible sur le portail Canoë de Quebecor dès le printemps.
Donc: Rogers, le plus grand éditeur canadien, qui possède des magazines tels que L'Actualité, Châtelaine, Loulou et Chocolat fournira son contenu à Canoë, propriété de Quebecor, une petite PME fort dynamique.
C'est fort.
Je me pose une question. C'est bien que des empires couchent ensemble, mais qu'en est-il des journalistes à la pige qui collaborent aux magazines de Rogers? Recevront-ils des redevances, puisque leur texte alimentera désormais à la fois un magazine et un des sites les plus consultés du Québec?
J'espère que oui. Sinon, imaginez l'aubaine. Pour 100$ le feuillet (250 mots), L'Actualité peut utiliser le texte d'un jeune pigiste dans son magazine, puis dans son site Internet, puis l'archiver dans la base de données payante Eureka.cc, puis le recycler chez Canoë…
Il y a des journalistes pigistes qui croient que leurs droits d'auteur sont régulièrement bafoués, que les éditeurs s'en mettent plein les poches en exploitant leur travail sur toutes les plates-formes sans leur verser les droits qui leur sont dus…
J'aimerais bien savoir ce qu'il en est de l'entente entre Rogers et ses pigistes concernant ce nouveau partenariat avec Quebecor. Les pigistes recevront-ils une quelconque forme de redevances?
S'il y a un collaborateur de Châtelaine ou de l'Actualité qui a des détails, écrivez-moi.
100$ le feuillet, c’est déjà pas si mal, si je me réfère à des confidences de certains journalistes d’hebdo culturels qui me mentionnaient recevoir 58$ le feuillet…
Et puis avec la fiction des emplois en journalisme et ces tonnes de finissants que déversent nos universités, la compétition est forte. Il n’y a qu’à faire le tour de certains blog et sites couvrant l’actualité culturelle, par exemple, pour se rendre compte qu’ils sont tenus par des diplômés (ou l’équivalent) en quête d’exposition, bénévolement, et avec une qualité déjà comparable aux journalistes salariées.
Une vrai jungle, quoi !
100$ le feuillet à l’Actualité, c’est un prix correct, sans plus.
Car écrire un texte pour l’Actualité implique que le journaliste devra non seulement écrire un papier costaud, mais aussi traverser de multiples révisions. Pour un pigiste qui n’est pas payé à l’heure mais au feuillet, il faut prévoir du temps pour ces révision. Temps qui n’est évidemment pas payé.
Un texte pour l’Actualité ne se compare pas du tout à un texte pour un hebdo culturel ou un quotidien, qui souvent ne demandent qu’une entrevue, une source, une critique. Des textes livrés rapidement, publiés rapidement.
Cela dit, mon point ne porte pas tellement sur le tarif payé, mais sur le fait que de nombreux éditeurs au Québec exploitent les textes de leurs pigistes sur de nombreuses plate-formes, sans payer de droits d’auteur aux journalistes.
Souvent, on fait même signer aux collaborateurs des formulaires pour leur demander de renier leurs droits d’auteurs.
« Il y a une loi qui existe, nous on ne veut pas la respecter. Si vous voulez travailler avec nous, acceptez qu’on ne respecte pas la loi. Vous vous faites fourrer, mais c’est entre adulte consentants! »
Et si les collabos ne veulent pas signer? La liste des gens pour prendre leur place est longue… On se passera de ses services.
La réalité est donc qu’au Québec, un journaliste pigiste doit la plupart du temps, pour arriver à survivre, céder aux pressions des éditeurs qui refusent de respecter la loi sur le droit d’auteur…
Ce qui est intéressant avec le libéralisme économique, c’est qu’il crée un nouveau type d’exploitation à chaque révolution technologique.
Après le prolétariat, directement issu de la révolution industrielle, nous voici maintenant avec le « cervotariat », le nouveau-né de la révolution post-industrielle.
En tant que lecteur, en tant que consommateur et en tant que citoyen croyant fermement dans les vertus d’une pluralité de points de vue et dans l’affirmation de la plus grande diversité informative et culturelle; je suis de plus en plus choqué par la manière dont les médias de masse choisissent de traiter:
a) l’information et la culture;
b) les journalistes et l’ensemble des artisans de la communauté artistique;
c) le public en général.
Je suis parfaitement d’accord avec monsieur Proulx lorsqu’il prétend que l’enjeu de cette « innovation de procédés » dépasse la simple question de la rémunération.
Il s’agit d’un bouleversement structurel qui s’effectue dans un marché qui limite les sources d’informations en plus de diminuer la capacité de production de ses employés.
Ce que l’on fait, c’est traiter des acteurs importants de notre vitalité démocratique et culturelle comme s’ils étaient des représentants de commerce!
L’information et la culture ne sont pas des ressources que l’on peut traiter de manière strictement mercantile. On ne peut pas s’amuser à rationaliser à l’excès des « produits » de ce type. Et on ne peut pas, en plus, maintenir dans un état de quasi-mendicité ceux et celles qui alimentent l’industrie. Ça frôle l’indécence!
Les médias représentent le dernier pouvoir permettant au public de se protéger de l’injustice sociale tout en permettant à une culture de prendre son essor.
Un mot, ça ne se pèse pas comme un petit pois! La pensée ne se transige pas ni ne se consomme comme du papier hygiénique!
Bref, le sujet qui est aborder ici est CAPITAL et nous devons réaliser que cette entente commerciale est très dommageable pour tous!
« …Cela dit, mon point ne porte pas tellement sur le tarif payé, mais sur le fait que de nombreux éditeurs au Québec exploitent les textes de leurs pigistes sur de nombreuses plate-formes, sans payer de droits d’auteur aux journalistes… »
En ce domaine, la demande est très restreinte et l’offre illimitée.Les patrons peuvent donc se permettre d’étirer l’élastique au maximum. Il y a beaucoup, beaucoup de gens articulés et cultivés qui pourraient faire le métier de journaliste de façon correcte. Mais le nombre de situations conjuguant épanouissement personnel et emploi est très, très rare dans la petite économie du Québec.
Sans vouloir minimiser le travail des journalistes, je soulève simplement une réalité de marché: Nos universités sous-financées produisent beaucoup trop de diplômés dans ce que les enseignants appellent « les cours de chaises », parce que ce sont les programmes qui génèrent le plus de revenus.
Combien de jeunes diplômés font la file actuellement pour écrire chez Voir et autres journaux ? Innombrables, pour une poignée d’emplois.
Concrètement, ce qui est inquiétant dans cette nouvelle et, surtout, dans le nouveau rapport de force qui est en train de s’établir dans le domaine des médias en général, c’est cette lente dérive vers l’endoctrinement corporatif, au détriment de l’intérêt public.
C’est la progressive utilisation d’un média de masse afin de le transformer en machine de propagande purement mercantile, sous couvert d’information véridique.
Ainsi, au risque de manipulation publique s’ajoute une surexploitation économique basée sur une « innovation de rupture » de type technologique entraînant avec lui un vide juridique où les intérêts des employés disparaissent au profit des intérêts stritement financiers de la compagnie.
Bref, je persiste à croire qu’il y a un vice de procédure dans le traitement réservé aux journalistes pigistes et une erreur stratégique dans la manière de stimuler la production de contenu culturel au pays.
Enfin, cette entente commerciale jumelée au boycott du FCT démontrent à quel point, lorsqu’il s’agit d’aborder le sujet de l’équité, Quebecor sait défendre ce principe: à condition qu’il ne s’applique pas à ses collaborateurs.
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Définitions utiles:
MICROSERF
Néologisme décrivant un individu prisonnier d’un salaire médiocre et travaillant dans l’industrie des services en utilisant les technologies de l’information. Victime de ses qualifications ou bien des conditions très concurrentielles du marché, cet individu n’arrive généralement jamais à être en position d’utiliser son savoir afin d’obtenir une promotion lui permettant d’atteindre une meilleure position au sein d’une entreprise. De plus, le travailleur de ce type finit par développer une propension à la servitude et même une obédience idéologique face à la compagnie qui l’exploite, au-delà du simple rapport marchand liant ordinairement employé et employeur.
McJob (au pluriel: McJobs)
Travail à bas salaire qui requiert peu de compétences et offre peu de possibilités d’avancement.
En ces temps modernes, ou l’environnement est tendance, ne faut-il pas saluer les efforts de nos medias dans le recyclage de leur nouvelles ?
Merci PKP…
« …C’est la progressive utilisation d’un média de masse afin de le transformer en machine de propagande purement mercantile, sous couvert d’informations véridiques… » SB
Oh ! Que oui, mon cher. Et cela n’est pas seulement vrai dans le milieu de l’information. Le corporatisme et le néo-libéralisme étend ses tentacules jusqu’aux moindres emplois et plus un employé est apolitique, suggestible, plus il a de chance d’être embauché.
La médiocrité des conditions de travail explique peut-être également cette mode du culte du nom chez les journalistes,
qui passent d’êtres effacés au service d’un sujet profondément documenté, à « veudette » de chronique d’humeur carburant au coup de gueule, au flash: C’est beaucoup moins long à écrire, ça attire beaucoup de lecteurs avides de sensations. C’est un format également beaucoup plus logeable dans l’horaire d’un pigiste devant conjuguer une multitude de sources de revenus précaires. J’appelle ça le journalisme de sous-sol: On ne se déplace presque plus pour enquêter, pour interviewer, mais on commente paresseusement à partir des diverses sources d’informations nous parvenant, dans le confort d’un bureau de travailleur à domicile. Partir de chez soi, 25$ d’essence, pour une chronique artistique de deux feuillets max à 60$ chaque…
Faut pas se demander pourquoi le profil du lecteur moyen est en chute libre sur certains sites…
Également,le style en prend un coup. Passant de « jobbineurs » avec site, blog à journalistes engagés, le style de plusieurs change de tout au tout en quelques mois, certains nouveaux de Voir en sont la preuve. Il y a écrire des chroniques sur un site, un blog, dans les pauses café d’un emploi sans rapport, vite vite le soir crevé, en se relisant à peine, à 40-50% de son potentiel, et il y a écrire dans de bonnes conditions avec le temps, les informations et les rencontres nécessaires, sans compter les correcteurs.
Entéka