Yves Rousseau lance un débat fort intéressant.
Quel est le rapport entre le marketing -la publicité- et la liberté de couverture dans les médias, actuellement?
Le rapport entre le marketing (les annonceurs, les impératifs commerciaux, en somme) et la liberté des médias est une vieille question. Une vieille question, qui est cependant toujours d'actualité.
Voici d'ailleurs un vieux courriel envoyé par un journaliste retraité de La Presse, Pierre Vennat, le 28 janvier 2003. Il se lit comme suit:
En autant que je suis concerné, après plus de 40 ans de métier, les pressions actuelles des départements de marketing et de publicité et la hantise des cotes d'écoute ou la nécessité du haut tirage sont pires que toutes les pressions politiques dont moi ou mes confrères ont pu être l'objet depuis que je suis entré dans ce métier à la fin du régime Duplessis.
C'est un journaliste qui écrit ceci. Son portrait est sombre. Peut-être trop.
Les médias privés ont effectivement la pression d'attirer des lecteurs ou des auditeurs, ce qui leur permettra de "vendre" ces auditoires à des annonceurs. C'est le rapport existant entre le marketing et la liberté des médias.
Ce rapport fera en sorte que certains sujets ou champs d'intérêts moins "populaires" ou qui intéressent moins le lectorat d'un journal seront moins couverts alors que d'autres jouiront d'une belle couverture. Les lecteurs choisissent quels champs d'intérêts seront populaires ou pas. Ils lisent, ils commentent, ils critiquent les médias, ils s'expriment lors de sondages, ils achètent un journal plutôt qu'un autre. Les patrons de médias se fient aux intérêts de leur clientèle pour décider ce qui est "payant" ou non.
Ce qui nous amène à une autre question d'Yves Rousseau:
Comment un média peut-il demeurer populaire, rassembleur, INDÉPENDANT, cohérent face à ceux qui lui procurent revenus, dans un compromis acceptable entre le propos "people" et la marginalité, tout en restant viable dans le contexte économique actuel, face auquel il ne faut surtout pas se raconter d'histoire.
Grande question. J'en retiendrai une portion: ce que M. Rousseau nous indique, c'est qu'un média devrait rester "cohérent face à ceux qui lui procurent revenus, dans un compromis acceptable entre le "people" et la marginalité".
Or, c'est précisément ce que l'on reproche souvent aux médias: parler de tel sujet plutôt qu'un autre à cause de la pression des annonceurs.
Un média indépendant n'a pas à être "cohérent" envers ses annonceurs. Selon le portrait sombre de M. Vennat, c'est ce qui arrive souvent, malheureusement.
À mon avis, le portrait n'est cependant pas aussi triste.
Un exemple. Dans le Voir de cette semaine, il y a 10 annonces de pièces théâtre contre 20 annonces de films. Dans le contenu rédactionnel, il y a trois articles sur le théâtre. Et trois articles sur le cinéma. Cohérence?
Personnellement, je signe la chronique Médias. Combien compte-t-on d'annonces d'émissions de télé dans le Voir de cette semaine?
Trois. Dont deux portant sur Portfolio à TQS, une téléralité qui ne m'intéresse pas le moins du monde. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je n'en ai aucunement fait mention dans ma chronique. Cohérence?
Mon rédacteur en chef ne m'a pas téléphoné pour me dire: "TQS a acheté une pleine page de pub couleur dans le journal pour Portfolio, pourrais-tu glisser un mot sur l'émission?". Depuis trois ans, je n'ai JAMAIS subit ce genre de pression.
Un autre exemple? Dans l'édition printemps 2006 du magazine Lettres québécoises, Alexandrine Foulon (responsable des communications aux Éditions Hurtubise HMH) déplorait "l'invisibilité de la littérature québécoise" dans les médias québécois. Dans son analyse pointue, elle observe que certaines maisons d'édition québécoise qui font paraître beaucoup d'annonces "se retrouvent presque tous parmi les maisons qui ont le plus de comptes rendus au cours de l'année étudiée". C'est probablement parce que leurs livres sont de qualité et appréciés du public. Par contre:
Certaines maisons payent plusieurs publicités sans avoir de critiques par la suite, comme Varia qui a fait paraître, au cours de l'année 2002-2003, vingt-quatre publicités et n'a reçu que onze critiques, ou Remue-ménage, qui a couvert les dépenses de neuf publicités pour recevoir six comptes rendus. […]
Cohérence?
Cette règle voulant que la publicité n'influence pas le contenu éditorial doit être respectée. Malgré les critiques des annonceurs.
Conclusion. Le contenu d'un média doit être lu, divertissant, intéressant, pertinent. Il doit attirer des yeux et des oreilles.
Cette exigence d'être "lu" ou "vu" est peut-être la liberté brimée par les impératifs commerciaux. Car un média ignoré du public est un média condamné à disparaître.
En revanche, ce contenu n'a pas à être cohérent envers ses annonceurs, à faire du publireportage déguisé ou à s'intéresser aux goûts et intérêts commerciaux de ses annonceurs. Le contenu doit parler au public.
Cette liberté du rédactionnel vs. le commercial doit être encouragée.
Le contenu a besoin de la pub. La pub a besoin du contenu. Les deux, en devant cohabiter, doivent faire des compromis…
Et actuellement, au sein de nombreux médias, l'accommodement me semble raisonnable. Non?
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O.K., je n'ai certes pas fait le tour de la -très vaste- question. Mais partons de cette proposition et développons si vous le voulez bien!
Quelques réactions en vrac :
« Les lecteurs choisissent quels champs d’intérêts seront populaires ou pas. »
C’est pas un peu de l’angélisme ça? Je ne crois pas à la théorie du marché pur et dur qui déterminerais, via un jeu de bascule entre l’offre et la demande, ce qui serait populaire ou pas. Pas dans un contexte de convergence en tout cas. À la limite, les lecteurs peuvent déterminer ce qui est populaire ou pas dans les limites étroites de l’offre de contenu disponible.
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« Mon rédacteur en chef ne m’a pas téléphoné pour me dire: « TQS a acheté une pleine page de pub couleur dans le journal pour Portfolio, pourrais-tu glisser un mot sur l’émission? ». »
Vous êtes chanceux! Sérieusement, le fait que vous ne receviez pas de pression ne signifie pas que lui n’en reçoit pas…
Par ailleurs, il y a plusieurs cas documentés (à la FPJQ et à la FNC) de cas de pressions exercées sur des journalistes à partir d’impératifs commerciaux. Le syndicat de la rédaction du Journal de Montréal n’a pas traîné la direction du Journal au Conseil de presse pour rien!
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L’indépendance se paie. J’oeuvre bénévolement depuis une quinzaine d’années dans les médias alternatifs et communautaires et je peux affirmer que de la pression des annonceurs, il y en a. Tout dépend de la force morale des responsables des médias (et de leur trésorerie). L’élément clef c’est d’atteindre une masse critique d’annonceurs qui fait qu’on peut prendre le risque d’en voir un (ou plusieurs) claquer la porte. Autrement, ça prend d’autres sources de financement assez importantes pour ne pas (trop) dépendre de la pub.
Et même à ça. On a vu des médias qui avaient une masse critique d’annonceurs refuser de la pub syndicale ou écologiste parce que ça pourrait indisposer d’autres annonceurs. On en a vu d’autres également délaisser certains sujets et/ou taper sur les doigts de certains chroniqueurs pourtant « vedette ».
L’économie politique des médias est éminement instable. Ne l’oublions p
Ma question à moi est simple: dans quelle mesure les médias alternatifs peuvent-ils réussir à couvrir des enjeux ou des événements culturels laissés dans la marge par les médias populaires déjà existants?
Et ma sous-question est: les politiques culturelles du Québec et du Canada répondent-elles suffisament aux besoins essentiels d’un domaine d’activité économique pouvant produire une richesse (culturelle et financière) essentielle à notre affirmation collective?
Bref, la question que soulève monsieur Rousseau (en accord avec un essai écrit par une journaliste: « No logo ») doit à la fois interpeller les journalistes dans leur ensemble, le public en général ET nos élus à tous les niveaux de gouvernement.
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Cela étant dit, je profite d’ailleurs de ce commentaire pour présenter mes excuses auprès de monsieur Rousseau pour l’avoir injustement associé à une attitude que je déplore: celle qui consiste au Québec à chiâler sans agir économiquement de manière à promouvoir à la fois la culture et ceux qui en parlent avec le plus de vigueur.
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Pour ce qui est de ma perception de Voir dans cette histoire de séparation « des pouvoirs », je continue à croire que l’on ne peut pas remettre autant en question son indépendance rédactionnelle que certains autres médias écrits, en ce moment, au Québec.
D’ailleurs, uniquement la manière dont on fait place à la liberté d’expression de ses lecteurs sur son site donne au Voir une longeur d’avance sur tous les acteurs médiatiques du Québec.
Ce que j’apprécie, en plus de la pertinence des entrées sur le site, c’est le fait que je puisse VOIR clairement et facilement le point de vue des autres lecteurs de l’hebdo.
Car le blogue, d’après moi, sert surtout à faire en sorte que puisse s’interpénétrer les préoccupations du public et du blogueur dans l’exercice de ses fonctions.
Alors, oui, je crois également que l’accomodement demeure « raisonnable » dans bien des médias, mais je crois aussi que la vigilance est de mise.