Une réponse de Jean-Sébastien Marsan, président de l'Association des journalistes indépendants du Québec, à la question posée sur ce blogue au lendemain de l'annonce du partenariat entre Rogers et Canoë (Les textes des magazines Châtelaine, L'Actualité, etc., alimenteront Canoë, qu'en est-il des droits d'auteur des journalistes?)
Depuis plusieurs années, les publications de Rogers imposent quasi
systématiquement des contrats prévoyant la cession des droits d'auteurs
sur support électronique. Des publications vont jusqu'à conditionner le
paiement de l'article à la signature du contrat! Par exemple, un pigiste
écrit un article pour L'actualité; lorsque la version finale de
l'article est acceptée et que le pigiste s'apprête à envoyer une facture
à l'éditeur, celui-ci lui fait parvenir un contrat énonçant que le
pigiste doit renoncer à ses droits d'auteur sur supports électroniques;
et l'éditeur souligne que tant que le pigiste ne signe pas ce contrat,
il ne sera pas payé pour son article… Pour l'éditeur, la moindre
pulsion de velléité de négociation du contrat par un pigiste est une
hérésie. Un pigiste doit céder sur toute la ligne, autrement il ne
collaborera plus au magazine.Ainsi, les journalistes indépendants qui ont signé un contrat de
publication de Rogers et qui verront leurs articles reproduits dans le
portail Canoë ne toucheront pas un sou, malheureusement… à moins de
contester le contrat qu'ils ont dû parapher sous la contrainte.
On dit souvent que les médias en général sont une forme de quatrième pouvoir, dans une démocratie.
On dit aussi que si la démocratie changeait vraiment les choses, ça ferait longtemps qu’on aurait interdit le droit de vote.
On dit aussi que si la merde prenait une valeur monétaire, les pauvres naîtraient sans trou du cul.
Mais ce que je me demande, c’est si les journalistes peuvent (ou veulent?) encore se considérer comme des « chiens de garde » de la démocratie?
Je pose la question parce que cette manière de gérer aussi cavalièrement les sous-traitants (ou si vous préférez les « pigistes ») dans le domaine de l’écrit, chez ces deux grands, semble être en train de créer les conditions préalables qui feront en sorte que nous nous retrouverons bientôt avec des journalistes actifs dont les dents auront été limés et les griffes totalement coupées.
De plus, si on observe le type de gestion des ressources qui est pratiqué dans ces consortiums pratiquant allègrement la convergence, la synergie et l’intégration verticale; on peut se poser des questions sur les « coupures » et les « compromis » que feront les responsables de ces entreprises exceptionnelles de par leur vocation.
Finalement, la question que je me pose vraiment c’est: est-ce que la défense des intérêts du public à avoir accès à une information libre et pertinente demeurent toujours le principal souci des dirigeants de ces entreprises? Ou bien est-ce qu’on assiste à une rationalisation des ressources et des effectifs afin de les mettre au service des seuls intérêts des actionnaires de ces compagnies?
***
Je viens de lire un article relatant le développement de l’industrie du cinéma hollywoodien face à l’entrée en force de la télévision sur la place publique et je commence à me demander si internet n’est pas en train de créer des bouleversements encore plus profonds face à l’industrie des médias traditionnels en général?
Les cas TVA vs Youtube et pigistes vs Rogers/Quebecor semblent l’indiquer.
Si la situation des droits d’auteur « électroniques » est à l’ordre du jour, cette manière de traiter les pigistes n’est pas nouvelle.
En allant visiter le site de l’AJIQ, vous y lirez que le non respect du droit d’auteur des pigistes est pratiqué depuis belle lurette.
Que cette manière de faire, remette en cause le professionnalisme des journalistes indépendants ou pigistes (et non sous-traitants svp), je ne crois pas. Comme dans toute profession, certains le sont, d’autres moins. Mais ça remet en cause leurs conditions financières.
Et attention, il y a aussi une ribambelle de soi-disant journalistes à temps partiel. Il ne suffit pas de savoir écrire pour se dire journaliste. C’est une profession, un métier, pas un loisir ou un side-line, on l’oublie trop souvent.
Voici pour ma montée de lait ! 🙂
Monsieur Proulx, je vous fait part de quelques liens qui devraient vous intéresser.
Il s’agit d’une suggestion de lecture sur laquelle je suis tombé en aboutissant au hasard de ma navigation sur le blogue de Pierre Assouline, qui tient une tribune semblable à la vôtre sur LeMonde.fr:
http://passouline.blog.lemonde.fr/2007/01/23/la-femme-qui-en-savait-trop/
L’écrivain français y parle d’un livre paru dernièrement intitulé « Des sujets interdits ». Un livre intéressant qui lui permet de parler du courage d’une journaliste mais, surtout, de tracer un portrait du journalisme en France qui s’avère encore plus sombre que celui fait par Pierre Venat sur le journalisme Québécois – propos auxquels vous avez fait allusion dans votre entrée précédente.
Ce qui m’a amené vers un autre blogue, hébergé sous l’enseigne AgoraVOX (le média citoyen), qui trace un portrait de la journaliste et du journalisme français assez semblable.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=18506&vo=25
On y mentionne d’ailleurs un sujet que vous avez évoqué dans une autre de vos pertinentes entrées: « Le journaliste en France révèle ce qu’on peut révéler, soulève quelques questions embarrassantes, déterre quelques cadavres, mais ne s’aventure en règle générale pas au-delà d’une certaine ligne jaune. Ou alors sous couvert d’humour, de parodie. Seul le mélange des genres permet l’insolence, le franchissement de limite. Le journaliste en France doit obéir à son rédacteur en chef, qui lui-même doit obéir à ses sponsors, ou au patron du groupe de presse qui détient le journal. »
Avouez que ça fait penser énormément à une situation qui a cours au Québec, non?
Enfin, si jamais ce sujet vous fascine autant que moi, vous pouvez joindre la journaliste en passant par le site internet de sa petite et indépendante maison d’édition:
http://www.arenes.fr/auteurs/fiche-auteur.php?numero_auteur=4
L’état de santé de notre journalisme, ça ferait un bon sujet de quatrième livre, non? 😉