Un message de "l'autre" Sébastien Lavoie, sur le journalisme culturel…
En entrevue avec Serge Roy (directeur de la création de Koozà, du Cirque du Soleil), Claude Deschênes lui a demandé, le plus naturellement du monde : « Est-ce qu'il faut être indulgent pour le Cirque du Soleil, à Montréal? »
Franchement! On a longtemps reproché aux critiques québécoises leur mollesse quand vient le temps de parler des films québécois, mais je n'aurais jamais cru qu'un journaliste avouerait si candidement qu'il pratique volontiers le double standard.
La question de monsieur Deschênes m'a fait bondir sur mon clavier. Je ne vois pas comment quelqu'un peut demander à sa source et devant tout le monde quel traitement il doit faire de son sujet et pouvoir ensuite prétendre faire du journalisme…
Mais bon, je ne suis pas journaliste moi-même, peut-être que je comprend mal les tenants et aboutissants de votre job (après tout, les journalistes sportifs qui couvrent le Canadien ne cachent pas leur partisanerie et ça ne choque personne).
Qu'en pensez-vous, monsieur le journaliste?
Vous pouvez visionner l'extrait sur le site de Radio-Canada à cette page.
Le journalisme culturel, principalement dans les médias électroniques (radio, télévision), est effectivement l'expression de cet art millénaire qu'est le Flattage dans le Sens du Poil.
J'ignore un peu pourquoi. En fait, j'ai peut-être une hypothèse. Selon moi une partie de l'explication vient probablement du médium.
La télévision, par exemple, a besoin de l'image de la vedette, de l'artiste, du créateur. Elle a besoin d'une entrevue qui sera enregistrée sur une cassette et diffusée sur des ondes. Pour arriver à avoir la vedette devant sa caméra, le journaliste a donc dû s'astreindre à quelques courbettes, quelques pirouettes, quelques "Monsieur Chose s.v.p., quelques mots pour Radio-Canada!" À la fin de l'entrevue, il y a une poignée de main. Un "Merci, merci beaucoup à bientôt!" Et voilà.
L'échange est humain. D'où un certain savoir-vivre, un minimum de politesse, un désir de ménager les sensibilités et de créer avec la vedette une impression de complicité. Tout simplement parce que le journaliste télé DOIT avoir cette complicité pour réussir à convaincre la vedette de se laisser filmer.
Le journaliste de l'écrit a moins besoin de ce contact physique avec la vedette. On va voir le spectacle et on fait une critique par rapport à l'oeuvre présentée. C'est bon ou c'est pas bon. Dans bien des cas, une entrevue avec la vedette n'est même pas nécessaire.
Mon hypothèse sur la gentillesse tient-elle la route, selon vous?
À mon avis Monsieur Proulx, ça ne tient pas la route parce que « l’Artiste » fera lui-même les courbettes nécessaires pour que sa tronche apparaisse à l’écran. En fait, le « créateur » fera tout en son pouvoir pour continuer d’exercer son art. Il tentera donc de faire circuler son nom dans les journaux, à la télé et à la radio. La plupart des gens vous le diront: Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en. Mais vous avez raison sur un point. La plupart des journalistes culturels flattent les artistes québécois dans le sens du poil. Avouer que l’on n’aime pas quelque chose de trendy se voit très mal.
Il y a un aspect qu’il ne faudrait pas négliger dans la relation artiste/critique.
Quand un journaliste a en face de lui l’artiste dont il commente le travail, ça prend beaucoup plus de courage pour le dénigrer. C’est évident… et c’est une réaction bien naturelle de la part du critique. Mais un autre aspect est encore plus important : quand vous avez un rapport personnel avec quelqu’un, votre jugement sur la valeur de son travail est nuancé, voire modifié par d’autres considérations comme le charisme, le côté sympathique, la sincérité de l’artiste, les confidences qu’il a faites au journaliste.
Poussons plus loin : demandez à un critique d’apprécier de façon objective l’oeuvre d’un ami… il en sera incapable. Pas par lâcheté. Parce qu’il a accès à des données intimes qui empêchent l’objectivité.
Notre milieu artistique est tellement petit que je connais de sincères amitiés qui se sont nouées entre des artistes et des critiques. Allez critiquer ensuite le travail d’un pote avec qui on a pris trois bières la semaine dernière…
Vous me surprenez. Dans le milieu où je suis, le simple fait de dire : «Bonjour, je travaille pour Lettres québécoises…» m’ouvre pratiquement toutes les portes instantanément (mais j’arrive toujours hors-saison, c’est vrai, bien loin de l’ambiance qu’il doit y avoir lors de la première mondiale d’un spectacle d’une entreprise milliardaire). Incidemment, je croyais que dire : «Bonjour, je travaille pour Voir» ou : «Bonjour, je travaille pour Montréal ce soir» avait le même effet, puissance mille, et que la gentillesse avec le client n’était alors qu’une question de bienséance. Je note.
signé : «l’autre» Sébastien Lavoie