Vous connaissez l'expression « Une image vaut mille mots »? Elle est si bien ancrée dans la culture populaire qu'on ne la remet jamais en question.
De plus en plus, on ne lit plus, nos journaux sont comblés d'images qui nous donnent l'impression d'avoir lu mille mots…
C'est n'importe quoi. Et j'entends bien prouver qu'une image, ça ne vaut pas mille mots du tout.
Afin de soutenir mon point, voici une image tirée de mon album de photos. Et voici mille mots s'y rapportant :
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Cette photo très ordinaire a été prise quelque part entre Noël et le Jour de l'An de cette année. Elle montre l'auteur de ces lignes, l'air désolé, assis devant jeu de Monopoly.
L'expression de mon corps traduit l'impression d'une défaite. Clairement, je suis en train de me faire laver par mes trois partenaires de jeu. Des partenaires, d'ailleurs, que l'on devine, mais que l'image ne montre pas. Pour ceux que ça intéresse, ceux-ci se nomment Jean-François Parent, Véronique Lecours et Cécile Gladel. La photo a d'ailleurs été prise par Cécile, qui s'est amusée à documenter visuellement ces quelques jours dans les bois…
Cela dit, revenons à ma posture. Est-ce vraiment une pose de défaite, ou simplement l'effet engourdissant de l'alcool qui, quelques minutes plus tôt, remplissait le verre désormais vide? Malheureusement, cette photo ne fournit pas ce détail. Les mots par contre peuvent vous confirmer que ma position particulière est le résultat d'un heureux mélange entre le gin-tonic et la déconfiture au Monopoly. Il est à noter par ailleurs que, cette soirée-là j'ai été le seul à m'abreuver au gin tonic, mes compatriotes préférant le vin rouge acheté à l'épicerie du village. Comme en témoignent leurs coupes vides, leur état devait être aussi second que le mien.
Je me souviens vaguement que, lors de cette fameuse partie de Monopoly, j'avais usé de la stratégie du « petit train va loin ». J'ai cru à tort pouvoir ruiner à petit feu mes adversaires en achetant les quatre chemins de fer. Amère déception. Jean-François, qui dans la vraie vie est journaliste pour Les Affaires, nous a tous battus à plates coutures en achetant tout, tout, tout sur son passage. Et en récoltant ensuite. Au moment où cette photo a été prise, je n'avais plus que quatre propriétés. Et pas les plus payantes (Baltique, Méditerranée, etc.).
Toute cette scène se déroule dans un chalet, le soir, au beau milieu d'une forêt que possède mon père. Afin de célébrer la fin de l'année et de quitter le gris de la ville pour le grand air vivifiant, j'ai eu l'idée d'inviter quelques amis à ce chalet, que mon père met gracieusement à la disposition de ses enfants. Deux ans auparavant, j'avais invité à cet endroit vingt-cinq louveteaux dont j'étais le chef (oui, j'ai déjà été chef scout). Vingt-cinq dans un chalet, c'était un peu beaucoup. Dans ma famille, ce chalet s'appelle la « cabane ». Pourquoi? Simplement parce qu'il s'agit d'une cabane à sucre qui n'est jamais devenue une cabane à sucre. Ce chalet, c'est un projet de cabane à sucre avorté, en somme. Bref, la « cabane » est située à Valcourt, en Estrie, tout juste à côté du siège social du mouvement raëlien. Et honnêtement, c'est à peu près la seule anecdote croustillante que l'on peut trouver à propos de ce chalet. Et encore une fois, voilà un détail que la photo ne montre pas.
Mon père a construit ce chalet il y a bien une dizaine d'années avec mon oncle Bruno et quelques autres amis dont Guy Longpré. Le nom ne vous dit probablement rien, mais à Sherbrooke, le type est un contracteur d'immeubles commerciaux de renom. C'est d'ailleurs lui qui a fourni les portes du chalet, lesquelles proviennent directement d'une ancienne succursale des Caisses populaires Desjardins.
Comme tout bon chalet, celui-ci est meublé d'anciens meubles ayant servi jadis dans la résidence officielle des propriétaires. Dans le cas qui nous occupe, la table et la chaise sur laquelle je suis assis sont faites de bois massif (du chêne). Ce mobilier a été le premier ensemble de cuisine que mon oncle Bruno et ma tante Lucie ont possédé, jadis, alors qu'ils étaient encore de jeunes mariés.
Vous constaterez aussi que je porte un t-shirt noir sur lequel il est inscrit « Tryad ». Une recherche sur Google vous aurait informé que Tryad est le nom d'un groupe de musique britannique. Vous dire que je suis un fan de Tryad serait mentir. En fait, ce t-shirt est un cadeau d'une amie, K. À l'époque où elle travaillait comme chroniqueuse à la Revanche des Nerdz, elle avait l'habitude de chercher sur Internet de la musique libre de droit, sous licence Creative Commons. Lors d'une de ces recherches, elle est tombée sur Tryad, qui distribue ainsi gratuitement sa musique sur le Web. K a informé le groupe par courriel qu'elle avait utilisé une de leur pièce pour habiller son topo télévisé. Le groupe a été si honoré à l'idée qu'une émission de télé de l'autre côté de l'océan diffuse sa musique qu'il a envoyé un t-shirt à K. K me l'a donné. Et voilà, je le porte encore. Voilà donc pour l'histoire du t-shirt.
Un autre détail concernant ce t-shirt que la photo ne montre pas : je le porte depuis deux ou trois jours. Il est de notoriété publique qu'en forêt, on ne se lave pas. Ainsi, on éloigne les moustiques. Remarquez, en plein mois de décembre, ce n'est pas véritablement un problème, les moustiques. Je porte un t-shirt surtout parce qu'il fait chaud, mais alors là très chaud, dans le chalet. Nous avions remplis la truie de bûches d'érable. Et l'érable, ça chauffe. En fait, la température ambiante de la « cabane » s'apparentait à celle d'un sauna. D'où peut-être, aussi, cette posture. La chaleur m'écrasait.
En ce qui concerne les autres détails de l'image, j'attire votre attention sur le cendrier posé sur la table de mon oncle Bruno, au fond de l'image. Ce cendrier de verre me rappelle qu'à cette époque, je fumais encore. C'est que, voyez-vous, je suis en ce moment sur le point d'avoir réussi à vaincre le tabagisme. De ce fait, j'ai découvert que de se garder occupé contribuait à rendre plus tolérables mes envies de fumer. Depuis que j'ai cessé de fumer, ma vaisselle est toujours propre, j'ai posé mes cadres sur mon mur, je cuisine de nombreux petits plats. Et dans les rages les plus intenses, j'occupe mes doigts à décrire en mille mots des images comme celle-ci…
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Et paf, mille mots pile.
Alors, venez me dire maintenant qu'une image vaut mille mots?
Verdict: on en apprend bien plus en mille mots qu'en une image.
En voyant cette photo, je m’étais fait milles histoires…
Tu viens de m’en effacer 999.
Mais ton texte reste une formidable démonstration du pouvoir inégalé des mots.
Photo-graphie : l’écriture de la lumière.
Une image vaut mille mots, un mot vaut aussi mille images. L’un et l’autre s’additionnent et se complètent.
L’imagination en est le moteur, nos habiletés décident ensuite quel dicton nous convient le mieux.
Cet essai, cependant, est tout à fait convainquant.
Ce texte vaut mille images. Entre autres j’ai vu l’épicerie du village, la boîte de Monopoly, des érables, des scouts, Raël, Patrick Masbourian, des mouches, des cigarettes, et encore.
Un peu comme l’adaptation d’un livre au cinéma, ce n’est jamais la même chose qu’on lit ou qu’on regarde. Bel Exercice!
Mille mots sur soi, c’est assez facile… S’cusez, la tentation était trop grande… 🙂
Vérification avec l’outil « Statistiques » de Word. Il y a bien mille mots. Joli travail Monsieur Proulx!
Moi j’y ai vu un exercice vraiment très intéressant qui démontre bien la puissance des mots.
Voyez, juste en lisant »chalet » je suis devenue nostalgique, en lisant »Raéliens » ça m’a rappellé mon dernier séjour là-bas et ma belle photo de UFO Land, en lisant »Valcourt » je me suis rendue compte que j’y ai passé des moments extraordianires et que ça ne risque plus d’arriver.
En trois mots, je suis triste. C’est ça la puissance des mots.
go directly to jail ! do not pass go ! do not collect $200
Ne venez-vous pas justement de prouver qu’une image vaut bel et bien 1000 mots ???
Apprendre, plus avec les mots que les images…
Voici un exemple qui appartient à l’histoire de la photographie et qui justifie l’adage dont vous faites grand cas.
Il y a eu des photographies prises dans les camps de concentration nazie à la fin de la deuxième guerre mondiale. Certaines furent exposées dans les rues des petites villes allemandes, tout de suite après la libération. Elles avaient pour but de sensibiliser la population qui avait fermé les yeux sur la réalité des camps. Les mots manquaient pour exprimer, justifier, excuser, accuser, comprendre. Dans la confusion d’après-guerre, la photo a remplacée les mots pour laisser une trace et pour faire signe dans l’esprit des gens.
Dans le cas des médias, il faudrait orienter le questionnement davantage sur les critères qui permettent à une photographie d’être publiée plutôt que sur la valeur de la photographie en soit. Quels sont les signes photographiques? Que documente la photographie? L’image est-elle pertinente aux yeux du public? Si les photographies publiées sont soumises à des exigences similaires à celles de l’écriture journalistique, elles valent mille mots.
La qualité de l’information n’est pas garante seulement de l’utilisation d’un grand nombre d’images ou non. Aussi, une publication qui n’inclurait que des textes d’opinion et sans image ne vaudrait pas davantage qu’un album de photo de famille, un journal intime publique, au mieux.
Pour ma part, effacer de mon langage le fameux adage «une image vaut mille mots» impliquerait d’oublier le travail de photographe de Lee Miller, W.Eugene Smith, Gordon Parks, Margaret Bourke-White.pour ne nommer que ceux-là. De plus, on peut dire qu’une image vaut mille mots sans affirmer qu’une image remplace mille mots!
Je me permets d’apporter un bémol. On compare ici des pommes et des oranges.
Si la photo (comme celle qui est illustrée ici) est ordinaire et que la prose (comme celle écrite ici) est très bonne, on peut facilement arriver à la conclusion qu’une images est loin de valoir 1000 mots.
À l’inverse, un photographe qui capturerai un moment magique (le baiser de Doisneau, par exemple) accompagné d’un texte médiocre renforcerais l’idée que 1000 mots ne peuvent apporter les nuances, les émotions d’une photo.
Ce qu’il faudrait faire, c’est comparer une photo génial avec un texte génial. Sinon, la base même de l’idée ne tient pas et donc toute conclusion est biaisée.
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