À propos de l’hypersexualisation de la société dénoncée dans un rapport du Conseil du statut de la femme (rapport que tout le monde a commenté, mais qui sera rendu public aujourd’hui seulement), j’ai une anecdote.
Je marchais tranquillos sur la Promenade Ontario avec ma blonde l’autre jour. Belle journée. On croise une petite gang de jeunes. Pas vieux. Je dirais 13-14 ans. Ils sont cinq-six gars et deux filles. L’une d’elle, toute menue, qui pourrait être ma petite cousine, lance aux gars :
En tout cas, j’espère qu’il y en n’a pas un crisse de vous autres qui est venu en dedans de moé!
Cela fait trois semaines que cette scène s’est déroulée. Elle me hante encore. Je voudrais retrouver cette trop jeune fille, lui redonner sa virginité, l’amener au Zoo de Granby voir des animaux, aller aux glissades d’eau de Valcartier et jouer aux charades en chemin. J’aimerais emplir sa tête des souvenirs que la vie devrait charrier quand on a 13-14 ans.
*
L’hypersexualisation est un sujet de société important. Il concerne tout le monde.
Malheureusement, trop de gens pellettent le problème dans la cour de l’autre. Les parents disent que c’est la faute aux écoles qui ont abandonné les cours de Formation personnelle et sociale. Les féministes en ont contre les hommes –ces vils consommateurs de sexe. Les publicitaires pointés du doigt disent que c’est Internet le gros méchant et pas eux.
On pellette au lieu de s'attaquer au problème. Et tout finit par aboutir sur la Promenade Ontario, où des petites filles craignent les conséquences malheureuses de leur dernier gangbang…
N.B.: Au sujet de l’image de ce billet. J’aurais pu mettre une photo de Paris Hilton ou de Britney Spears. Classique. J’ai plutôt décidé de faire ma part avec une image de bébé loutre n’ayant aucune connotation sexuelle.
Pour d’autres choses « cuuuuuute »: CuteAddict.com
MISE À JOUR
Véronique me demande mon avis sur la réaction de Marie-Claude Lortie sur l'hypersexualisation, selon lequel le féminisme n'a rien à voir là-dedans, que c'est la faute à tout le monde.
Ce qui me fait penser que j'avais commis en 2006 une chronique justement sur le look poupoune, dans laquelle je me demandais s'il s'agissait là d'un effet pervers de la libération de la femme. J'avais été inspiré à l'époque par une discussion avec une amie, somme toute assez féministe, qui soutenait ce point de vue.
Il m'apparaissait pertinent à l'époque, mais avec le recul, c'est vrai que c'est con comme idée.
Alors, pourquoi l'hypersexualisation? À ce moment-ci de la journée, j'ai le goût d'y voir un signe du déclin de l'empire américain.
Après tout, la dépravation des moeurs, additionnée à la crise économique, l'oisiveté d'une société obsédée par l'amusement et l'inefficacité du système politique, a été un signe il y a longtemps de la chute de l'empire romain…
Peut-être que dans un millénaire, les historiens regarderont nos jeunes filles déguisées en putes et y verront les premiers signes de la chute de notre civilisation…
Je pense que je réfléchis trop.
«S’il fallait caractériser l’état actuel des choses, je dirais que c’est celui d’après l’orgie. L’orgie, c’est tout le moment explosif de la modernité, celui de la libération dans tous les domaines. Libération politique, libération sexuelle, libération des forces productives, libération des forces destructives, libération de la femme, de l’enfant, des pulsions inconscientes, libération de l’art. Assomption de tous les modèles de représentation, de tous les modèles d’anti-représentation. Ce fut une orgie totale, de réel, de rationnel, de sexuel, de critique et d’anti-critique, de croissance et de crise de croissance. Nous avons parcouru tous les chemins de la production et de la surproduction virtuelle d’objets, de signes, de messages, d’idéologies, de plaisirs. Aujourd’hui, tout est libéré, les jeux sont faits, et nous nous retrouvons collectivement devant la question cruciale : QUE FAIRE APRÈS L’ORGIE ?»
– Jean Baudrillard, « La transparence du mal »
La suite de ce texte répond à une partie de votre interrogation : «On pellette au lieu de s’attaquer au problème. Et tout finit par aboutir sur la Promenade Ontario, où des petites filles […]»
Pourquoi tous les acteurs sociaux se lancent la balle ?
Mais pourquoi avoir disséqué tout le social comme on a disséqué le corps humains en multiples fonctions ? C’était pour réaliser tout le potentiel des phénomènes sociaux ; tout libérer. Tous les systèmes sociaux se sont autonomisés, ont produit des discours individualisés et alors s’achèvent dans un drame de moeurs où chacun tient bien son rôle. Or, ce que Baudrillard avance comme hypothèse, c’est que ce «drame» conceptuelle, une fois enclenché, a eu raison de tous les systèmes. Cette orgie idéologique a fait entrer le politique dans le sexe, le sexe dans la psychologie, la psychologie dans le social, le social dans la culture, la culture dans l’art, l’art dans la consommation, la consommation dans le désir, le désir dans la politique, …
Tous les systèmes se lancent la balle comme vous dites justement parce que chacun de ces systèmes a pour raison d’être de réaliser absolument tout son potentiel, sans limite. Ils ne commenceront pas à s’auto-limiter ; comment feraient-ils, quels seraient leur référence, leur légitimité ? Ils se sont libérés sous prétexte qu’aucune limite n’était légitime, ils n’accepteront pas de limites venues d’un autre système.
Cette logique est à l’oeuvre dans chaque individu. Je m’objectivise, je dissèque les multiples «fonctions» de mon corps, de mon esprit. Je cherche à réaliser tout mes potentiels : jouissances, plaisirs, richesses, santé, beauté, désir, travail, etc. Chaque fonction s’autonomise ; mon éthique, ma morale en sont une du morcellement. Je condamne le totalitarisme chinois et je demande des produits toujours moins cher. Je veux conserver un système de santé public et je contourne l’impôt à grand coup de REER. Je cherche à préserver l’environnement et je souhaite la télévision HD.
Encore une fois, M. Millette, vous faites honneur aux commentateurs de blogues avec ce message qui ajoute ici un éclairage fort pertinent…
Bonjour Steve,
j’ai pris plaisir à lire votre article sur Gangbang de jeunesse… Une de mes collègues Marie-Claude Lortie a écrit un article qui s’apparente au vôtre et j’aimerais beaucoup avoir votre opinion. http://blogues.cyberpresse.ca/lortie/?p=546&utm_source=Fils&utm_medium=RSS&utm_campaign=Blogue_LORTIE
L’hypersexualisation n’est pas un échec du féminisme, mais une victoire de la société de consommation!
Ce ne sont pas les féministes qui ont inventé « La Senza Girl » qui vend des brassières rembourrées aux fillettes de 6 ans (sans farce).
En cherchant les causes du problème, on trouve un peu de tout: banalisation de la sexualité dans les médias, l’école qui abandonne, parents qui travaillent trop et achètent n’importe quoi pour se racheter, bref, on est tous coupables.
Et les solutions? Alors là…