Tom Dickson, le gars qui passe au mélangeur à peu près n'importe quoi, s'est amusé (il y a un moment déjà) avec un iPhone 3G. J'adore.
On apprend qu'Apple a vendu un million d'iPhone 3G le week-end dernier, ce qui lui aurait permis d'empocher environ 500 millions de dollars en seulement trois jours! Merde.
Je regarde cette folie et j'ai l'impression d'avoir pris un sérieux coup de vieux. Suis-je le seul à ne ressentir aucun sapristi de besoin de me procurer le tout nouveau tout beau iPhone 3G? Pourquoi je m'en fous autant de ce bidule? Docteur, suis-je normal?
C'est drôle, car je suis en train de lire le bouquin classique d'Alvin Toffler, Le choc du futur (Future Shock).
"Le choc du futur est le stress et la désorientation provoqués chez
les individus auxquels on fait vivre trop de changements dans un trop
petit intervalle de temps."
Je me rends compte qu'à mon âge, 31 ans, je commence déjà à être une victime du choc du futur. Il y a trop de choses nouvelles qui apparaissent, tel l'iPhone, et j'ai du mal à suivre…
"Une des réactions les plus largement répandues à une mutation trop rapide, c'est le refus catégorique. Celui qui refuse toute nouveauté adopte une stratégie qui consiste à "bloquer" une réalité importune. […] Victime inconsciente du choc du futur, il court à la catastrophe sur le plan personnel. La tactique qu'il a adoptée le conduira à une crise unique et fondamentale lorsque, au contact du changement, il sera finalement contraint de s'adapter, alors qu'il n'aurait pu avoir à résoudre qu'une suite de problèmes moins cruciaux."
«Celui qui refuse toute nouveauté adopte une stratégie qui consiste à « bloquer » une réalité importune. […] Victime inconsciente du choc du futur, il court à la catastrophe sur le plan personnel. La tactique qu’il a adoptée le conduira à une crise unique et fondamentale lorsque, au contact du changement, il sera finalement contraint de s’adapter…»
Wow, c’est brillant. On commence par «inventer» un syndrome et ensuite on en fait quelque chose d’inévitable. C’est comme l’évangile… celui qui se ferme au sacrifice de Jésus payera le prix du jugement de Dieu. Quelle merde!
Il faudrait inventer un autre syndrome pour parler de ce genre de personnage qui tente de convaincre tout le monde qu’on ne peut échapper aux nouvelles technologies et qu’il faut obligatoirement s’y adapter… quelque chose comme le syndrome binaire. Un syndrome qui provoque chez les personnes atteintes une sur-simplification de la réalité en terme binaire : OLD – NEW.
Enfin, on pourrait aussi émettre l’hypothèse que les gens achètent et organisent autour d’eux des objets technologiques et nouveaux pour masquer le fait qu’ils vieillissent ou encore en souhaitant que ces nouveaux objets puissent leur rendre une jeunesse perdue. N’importe quoi d’autres que de faire des ces acheteurs compulsifs les avants-gardistes d’aujourd’hui…
En fait, Alvin Toffler ne parle pas uniquement des technologies, mais du monde en général, de la société, des nouveaux moeurs, de la surabondance d’informations (il est d’ailleurs un des premiers, sinon le premier, à avoir parlé de surabondande d’informations).
Sa théorie, qui date tout de même de 1973, est que le monde évolue de plus en plus vite et que cela demande par conséquent de plus en plus d’efforts pour s’y adapter…
Bien sûr, je tourne ceci autour du iPhone, parce que c’est comique, parce qu’il y a une surenchère d’optimisme autour de la patente actuellement, mais on pourrait parler globalement du choc du futur avec l’ordinateur.
Il y a des gens, mettons ma grand-mère, qui n’étaient pas intéressés à l’ordinateur personnel il y a 25 ans, et qui ne s’y intéressent toujours pas. Ils ne se sont donc pas intéressés au courriel, ni à Internet, ni à rien de tout ceci. Eux doivent trouver qu’ils vivent aujourd’hui dans un monde complètement bizarre, ils entendent des gens parler dans une langue exotique de Google, de Wikipédia, d’eBay, de Youtube, de Mp3, etc.
J’imagine qu’il doit y avoir un certain choc de se réveiller un matin et de constater que le monde qui jadis nous était familier a complètement changé, et que le retard à rattraper est considérable.
Nous sommes des êtres sociaux, si nous ne pouvons pas entrer en relation avec nos pairs et si nous avons l’impression d’être perdu dans notre propre environnement, comment réagit-on?
On se dit que c’était bien mieux dans le bon vieux temps.
Effectivement c’était bien mieux dans le bon vieux temps. Les relations humaines passaient avant le langage de toutes ces technologies. Donc moins de stress et plus d’entregent. Aujourd’hui on ne se parle que via la rapidité avec laquelle on peut performer rien à qu’à se dire bonjour quand on prend le temps de se le dire.
J’avoue que le iPhone me laisse totalement ignare. Je devine par les commentaires lus ici et là que c’est un bidule à plusieurs fonctions qui servent à quoi très exactement? Pourquoi l’achète-t-on? Pour faire plus « in ». Pourant le iPhone acheté hier est déjà « out » puisque les gagets ne durent que le temps des roses, c’est bien connu.
Il n’y a pas encore si longtems, ma soeur aînée Jeannette était toute paniquée parce qu’on la forçait à se débarrasser de son téléphone à roulette. Ce fut encore pire quand il lui fallut se résigner à faire elle-même ses transactions au guichet automatique. Pour couper court à son supplice trop sophistiqué, ma nièce Hélène donc sa fille a pris les choses en mains pour que sa mère puisse se détendre une fois pour toutes. C’est un drame réel pour les gens de son âge qui se sentent on ne peut plus insécures.
Il y a ici un phénomène fascinant. D’une part les nouvelles technologies communicationnelles se présentent comme des techniques visant à améliorer la communication entre les hommes en quantité (rejoignable en tout temps) et en qualité (retour plus rapide). Or, «le monde évolue de plus en plus vite et que cela demande par conséquent de plus en plus d’efforts pour s’y adapter…» (Le terme «monde» désigne probablement ces nouvelles technologies plutot que le monde lui-même. Il serait absurde de croire que le «monde» au sens large se totalise dans les nouvelles technologies. Ces dernières sont comprises dans ce monde et non l’inverse.)
Donc, si les hommes déploient de plus en plus d’énergie afin de s’adapter à leurs nouvelles prothèses communicationnelles, ils en déploient beaucoup moins ailleurs : consolider des liens amicaux, appronfondir ses connaissances, développer ses talents. On peut alors se questionner sur les prétendues vertus socialisante des nouvelles technologies. Si l’homme est réellement un animal social, les technologies communicationnelles le détournent de sa nature car au lieu d’être attentif aux Autres, l’individu est attentif à ses propres processus cognitifs. Plutot que d’entrer en relation direct avec les Autres, l’individu entre en relation direct avec lui-même via des prothèses informatiques.
Le choc technologique serait donc moins le sentiment d’être exclu de la société pour cause d’analphabétisme-technologique, que le sentiment de sa propre individualité dissolu dans les réseaux informatiques. Car pour exister comme individu il faut une société qui garantisse cette existence, il faut des structures qui rendent possible l’individualité et qui la reconnaisse comme telle. Or les réseaux informatiques liquident les bases même de la société ; d’une part, en transformant l’invidivu en base de données (il cesse d’être un individu pour devenir un ensemble de variable commutable) et, d’autre part, en remplaçant les structures de délibération et d’argumentation de la société par des algorithmes programmés (lesquels se servent des données commutables de chaque usagers).
Après une re-lecture très attentive du commentaire précédent, j’en conclus que le iPhone est un appareil sophistiqué muni d’une concurence déloyale envers l’esprit humain. Ce dernier devient alors la propriété exclusive (ou quasi absolue) de l’iPhone pour mieux le réduire à une mécanique purement séquentielle mais mortellement ennuyeuse. En terme plus simples, il dépersonnalise l’individu pour le reprogrammer strictement vers des objectifs de plus en plus performants. C’est l’éternelle rengaine de l’homme vs la machine sur laquelle il devrait avoir un pouvoir sans égal.
Paraît que c’est la définition exacte de ce que l’on appelle « le PROGRÈS dans la société. Mon oeil!