BloguesAngle mort

À la mémoire de Claire Morissette…

La piste cyclable qui sillonne le boulevard Maisonneuve a été officiellement inaugurée ce week-end en prenant le nom de piste cyclable Claire-Morissette. Qui est Claire Morissette? Décédée trop jeune en juillet 2007, elle a fondé l’organisme de réutilisation de vélo Cyclo Nord-Sud. En juillet 2005, je la rencontrais pour le défunt magazine Guides Ressources.

En guise d’hommage, voici l’entrevue qu’elle m’avait accordée :

Claire qui roule…

Il y a près de 30 ans, à une époque où le mot « véloroute » n’était pas encore entré dans le dictionnaire, Claire Morissette faisait la promotion du cyclisme au sein du regroupement Monde à bicyclette. « On demandait des pistes cyclables à la Ville de Montréal, raconte la dame confortablement allongée sur son sofa. On avait vraiment l’air d’une bande d’hurluberlus! » À cause de son implication dans la cause cycliste, la maison d’édition Écosociété lui demande, en 1993, d’écrire un essai portant sur les bienfaits sociaux et environnementaux de la bicyclette, intitulé Deux roues, un avenir. « J’ai appris en faisant ma recherche tout le bien que pouvait faire un vélo, particulièrement en ce qui concerne la situation des femmes dans les pays du Sud », dit-elle. Tranquillement, germe dans son esprit l’idée d’un organisme qui recueillerait de vieux vélos pour les envoyer dans les pays du Sud. Cyclo Nord-Sud se concrétise finalement en 1999. Depuis, près de 14 000 vélos ont été expédiés en Afrique du Sud, au Burkina Faso, au Guatemala, au Bénin, au Pérou, au Togo, etc. Mais après six ans à faire « tourner la planète plus rond », l’organisme est menacé. Celle qui « pédale » actuellement pour la survie de Cyclo Nord-Sud explique le rôle de premier plan que peut jouer un vélo dans le développement soutenable des pays pauvres…

Avant de fonder Cyclo Nord-Sud, vous avez aussi lancé le service Communauto à Montréal…
En écrivant Deux roues, un avenir, j’ai dressé la liste des solutions aux problèmes causés par l’automobile. Or, j’ai appris qu’il existait des coopératives de partage de véhicules en Allemagne et en Suisse. J’ai aussi appris qu’il y avait quelqu’un qui était en train d’en démarrer une dans la ville de Québec (Benoît Robert). Je suis donc allé le voir en lui disant que c’était une trop bonne idée et que ça ne pouvait démarrer à Québec sans démarrer à Montréal! On s’est donc mis en partenariat et, de mon salon, j’ai mis sur pied la succursale de Communauto à Montréal! Après un certain temps, j’avais la langue à terre. J’ai donc pris une année sabbatique et c’est à ce moment, vers 1999, que j’ai commencé à développer Cyclo Nord-Sud, en m’inspirant du groupe Pedals for Progress (New Jersey) qui avait alors expédié 6000 vélos usagés en un an. Notre premier conteneur de vélos est parti en 2000…

Pour des communautés pauvres, quel genre d’impact peut avoir l’arrivée d’un vélo?

Ce n’est vraiment pas pour la balade! C’est un vélo qui travaillera très dur, qui servira probablement de moyen de transport pour des micro-entreprises, des bicytaxis (taxis à vélo), des services de livraison, etc. Il permettra à des gens de se rendre au travail et transportera trois fois plus de marchandises en quatre fois moins de temps. Concrètement, l’arrivée d’un vélo peut relever les revenus de toute une famille en plus de servir à la voisine, aux cousins, etc. On nous a dit que chaque vélo servait 5 à 10 personnes! Une bicyclette permettra aussi à des enfants de poursuivre leurs études secondaires, parce que les écoles sont souvent éloignées.

En somme, le vélo est un véhicule tout-terrain particulièrement bien adapté aux pays du Sud parce qu’il ne réclame pas de pétrole, ne nécessite que de légères réparations et, lorsque la route est trop abîmée, il peut être transporté à travers l’obstacle. Mû à l’énergie humaine (qui est en surabondance dans le Sud) le vélo est tout à fait adapté à la réalité économique et géographique de ces pays.

Même les pièces sont réutilisées…
On a vu des moulins à farine, des génératrices, des pompes à eau, des instruments aratoires et même une machine à barbe à papa faite à partir de pièces de bicyclettes!  C’est vraiment un savoir-faire assez développé, particulièrement au Guatemala.

D’ailleurs, qui sont les organismes internationaux avec qui vous collaborez?
Nous recherchons des O.N.G. (organismes non gouvernementaux) accréditées, reconnues dans leur milieu et gérées démocratiquement. Préférablement des O.N.G. qui vont distribuer les vélos aux femmes ou, encore mieux, qui sont gérées par des femmes. Étant donné que ce sont elles qui se chargent des corvées et qui transportent la majorité des marchandises dans les pays du Sud, nous trouvons que les instruments de transport devraient leur revenir en priorité.

Par exemple, nous avons un groupe de femmes du Burkina Faso (en Afrique) qui n’avait pas réellement d’états financiers à nous soumettre, mais qui nous a envoyé des rapports de distribution de vêtements. C’est un groupe qui aide les veuves (qui sont souvent ostracisées par la communauté) et qui gère un orphelinat. Le projet « vélo » leur a essentiellement permis de générer des fonds (tirés de la vente des vélos).

Donc, les vélos ne servent pas toujours directement au fonctionnement des organismes avec qui vous collaborez?
Pas toujours. Dans le cas de cet organisme du Burkina Faso, la vente des vélos leur a permis d’accueillir plus d’orphelins. Quand on a commencé avec elles, leur orphelinat comptait 60 enfants, il en compte aujourd’hui une centaine. Il y a d’autres organismes où les vélos ont toutefois réellement servi à une mission particulière, comme pour AfriBike (Afrique du Sud). Là, les vélos ont été distribués en bonne partie auprès des patrouilleurs antibraconnage dont la mission était la protection du rhinocéros blanc. Patrouiller à pied ou à vélo, cela fait une méchante différence!

Quelle route prennent les vélos usagés d’ici aux pays du Sud?
À nos organismes du Sud, on ne fait jamais payer quoi que ce soit pour les vélos; uniquement pour les frais maritimes. En fait, on envoie le premier conteneur en trouvant un donateur pour couvrir les frais maritimes (qui oscillent entre 4000$ et 8000$). Arrivés là-bas, une partie des frais de la vente des vélos génèrent les fonds pour le deuxième transport. Dans chaque conteneur, on envoie beaucoup de vélos, mais on glisse entre ceux-ci des montagnes de pièces. On a plusieurs boutiques, surtout à Montréal, qui font partie de notre « réseau de dons d’organes de vélos » et qui nous fournissent des pièces usagées (des pneus, par exemple) sur une base annuelle.

Cette année, Cyclo Nord-Sud a remporté le Phénix de l’environnement (catégorie réemploi des matières résiduelles). Lorsqu’on vous a remis ce prix, vous en avez profité pour souligner les problèmes financiers dont souffre votre organisme…

Oui. On a eu des fonds de démarrage provenant Fonds d’économie sociale. On a cherché a construire notre autofinancement par la suite et le ministère des Relations internationales du Québec a embarqué dans le projet. On a donc eu un financement statutaire pendant 3 ans, qui a été coupé sous l’Administration Charest. On a aussi eu la chance d’être choisi par l’ACDI, mais là aussi notre financement a été coupé. En fait, notre dilemme vient du fait que nous sommes un organisme Nord-Sud dont les dépenses sont toutes au Nord. La plupart des programmes sont taillés en fonction d’envoyer les fonds au Sud. Je comprends la logique générale de la chose, mais je pense qu’on devrait quand même reconnaître les dons en nature que nous envoyons. Ce que nous cherchons à faire couvrir, ce sont nos dépenses : nos frais d’administration, de collectes, de promotion. Au Sud, ils ont les vélos pour s’autofinancer…

Est-ce que l’existence de Cyclo Nord-Sud est menacée?
Oui. Ce qui nous permet de boucler la boucle cette année, ce sont les petites réserves que nous avions réussi à mettre de côté. Mais nous sommes en train de brûler les meubles en ce moment. On ne pourra pas le faire deux années de suite. C’est un petit budget de rien du tout dont nous avons besoin (225 000$). Nous faisons de l’excellent travail en charriant 4000 vélos par année, en touchant des centaines de bénévoles, en faisant la promotion du commerce équitable… On a un vaste consensus de gens qui trouvent que ce que l’on fait a besoin d’être fait. Les seuls qui brillent par leur absence, en ce moment, ce sont les gouvernements…

Cyclo Nord-Sud