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L’information qui vend, qui vend

L’information, vulgairement parlant, sert avant tout à vendre des journaux, des magazines; à générer des auditoires de bulletins de nouvelles. Disons-le crûment : l’information est un produit de consommation.

C’est une vérité que l’on devrait enseigner sérieusement dans les cours de journalisme.
Remarquez, le sujet est tout aussi tabou chez les journalistes professionnels. On n’en parle pas.
Chaque automne au Congrès de la FPJQ, la profession discute de la protection des sources, du droit du public à l’information et des limites de la liberté de presse. Rarement cause-t-on de l’info en tant que produit.
C’est d’ailleurs une chose qui nous différencie des agents immobiliers. Je le mentionne, car pour la population sondée par Léger Marketing, les agents immobiliers inspireraient presque autant confiance que les journalistes.
Or, de quoi parlent les agents immobiliers à leur congrès annuel? Non, ils ne débattent pas de l’importance pour le citoyen d’avoir un toit sur la tête afin de mieux vivre en démocratie.
Ils se demandent comment mieux vendre des maisons. Et leur ritournelle est : « Moi, j’vends! Moi, j’vends! »
Les n’admettrons jamais qu’ils ont un produit à vendre.
Et pourtant, il le faudra bien.
Prenons les quotidiens, eux qui vivent des heures difficiles à cause d’Internet et des journaux gratuits. On en revient constamment à la même question : comment continuer à vendre des journaux?
Certains fondent beaucoup d’espoir dans les changements cosmétiques. On se dit qu’un journal plus compact, qui se lit plus facilement aux toilettes, se vendra mieux.
D’autres réduisent leurs dépenses. On dégraisse les salles de presse. On coupe dans la qualité du produit.
Mais au fond, le cœur du problème est peut-être la nature du produit en question. Pour quel genre d’information les consommateurs seront-il prêts à payer 70 sous plus taxes? Quelle information se vend bien?
Parlons-en.

Un rédacteur en chef a fait récemment cette observation intéressante à propos du magazine américain Men’s Health : « Chaque mois, on nous promet un régime ou des exercices qui donnent des abdominaux d’enfer. Ce sont toujours les mêmes titres qui roulent en alternance sur la couverture. Des titres identiques! Il n’y a que le mec musclé qui change. Au Québec, on n’oserait jamais faire ça. »
La recette de Men’s Health est pourtant simple : Parlez de ce que le lecteur veut savoir, pas de ce qu’il doit savoir (selon vous).
Et le lecteur veut des abdominaux d’enfer.
Que veut-il aussi, ce lecteur? Il veut que l’on parle de lui.
Croyez-moi, un lecteur se ruera sur la moindre publication qui daignera lui accorder ne serait-ce qu’une ligne de son espace éditorial.
Dans un journal, cela peut se faire d’un million de façons. Par exemple, publiez les photos des 100 plus beaux bébés de l’année. Il y aura 100 parents, 100 grands-parents et 100 marraines/parrains qui achèteront le journal. Quel que soit le prix. C’est garanti.
Tous ces gens découperont la photo du poupon pour la coller sur leur frigo.
C’est ce que le professeur de journalisme de l’Université du Missouri, Don Ranly, a nommé le « refrigerator journalism » (journalisme de réfrigérateur).
De l’information hyperlocale, qui pourrait même ne concerner qu’une seule famille.

En somme, on aura beau consacrer des pages et des pages à la couverture internationale et aux grands enjeux sociaux et politiques, la nécessité de vendre des journaux ramènera tôt ou tard l’information à son état de produit de consommation.
Et le fait est que, même si ça brasse en Afghanistan, le consommateur achètera en priorité le journal qui lui dira comment perdre ses bourrelets, et dans lequel il trouvera les résultats de la partie de soccer qu’a remporté l’équipe de son fils de 12 ans. Cela, même s’il connaît déjà le résultat.
Ça ne fait peut-être pas très « quatrième pouvoir » comme information.
Mais, sapristi, ça vend.

Chronique parue dans l’édition de septembre du magazine Le Trente.