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État Desmarais: réaction de Philpot

Robin Philpot réagit à ma chronique sur son livre Derrière l’État Desmarais: Power. Je commente son message au fil du texte :

70 % de la presse écrite de langue française? D’où vient ce chiffre demande-t-on?

Le Québec compte dix quotidiens de langue française avec une salle de rédaction, dont sept appartiennent à la famille Desmarais, soit La Presse, Le Soleil, Le Droit, Le Quotidien de Chicoutimi, Le Nouvelliste de Trois-Rivières, La Voix de L’Est et La Tribune de Sherbrooke. (Les trois autres sont Le Devoir, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec).

J’ajouterais Métro et 24 Heures, qui sont relativement nouveaux dans le paysage, mais néanmoins incontournables.

Sept sur dix = 70 %. Aussi simple que cela.

En 2000, d’ailleurs, lorsque la famille Desmarais a mis sa main sur Le Soleil, Le Droit et Le Quotidien, c’est ce chiffre que les porte-parole gouvernement du Québec, qui ne s’est pas opposé à la transaction, a utilisé pour décrire la situation. Et tous les médias du Québec ont repris ce chiffre sans le contester.

Ce ne sera pas la première fois que les porte-parole du gouvernement diront quelque chose qui sera repris intégralement dans les médias… même s’il s’agit d’un chiffre très discutable!

Ce chiffre est un ordre de grandeur et comporte par conséquence des lacunes. Par exemple, il banalise l’influence de La Presse sur l’ensemble des médias d’information en le mettant sur un pied d’égalité avec Le Droit ou Le Journal de Québec.

Or, on sait que grâce notamment à des ententes secrètes de collaboration entre l’empire Desmarais et Radio-Canada, La Presse a une influence beaucoup plus importante sur les nouvelles que d’autres quotidiens.

Il est vrai que certaines révélations sur cette entente plus ou moins révélée par Le Québécois ont de quoi inquiéter. Notamment un message anonyme reçu par Le Québécois. Je cite cette portion :

"Mais la conversation la plus intéressante que j’eus à ce sujet, ce fut avec un journaliste oeuvrant au cœur même de la bête gescaïenne. Celui-ci m’a appelé pour me féliciter d’avoir obtenu des premières preuves officielles par rapport à l’entente unissant La Presse et Radio-Canada. D’emblée, ce journaliste m’a raconté qu’à l’époque, les gens de Power Corporation avaient fait le tour des salles de presse des journaux appartenant à Gesca pour interdire aux journalistes qui couvraient Radio-Canada de continuer de le faire en adoptant des points de vue critiques. « Les gens de Power Corporation qui oeuvrent à Montréal sont des voyous, des gens brutaux. Ils ont accroché des journalistes par le collet et leur ont clairement dit, en utilisant un vocabulaire de voyous bien sûr, que c’était fini les critiques contre Radio-Canada » !"

C’est inquiétant. Malheureusement… Quiconque lit les chroniques Télévision dans La Presse sait que Radio-Canada passe dans le tordeur de temps en temps!

Tenez, Richard Therrien du Soleil (qui publie souvent dans La Presse) n’a pas hésité à écorcher la couverture de l’élection américaine radio-canadienne récemment (Radio-Canada diffusait La zone alors que Barack Obama prononçait son discours). À la dernière campagne électorale fédérale, Hugo Dumas de La Presse n’a pas non plus hésité à critiquer la soirée électorale de Bernard Derome. Richard Therrien en est venu aux mêmes conclusions.

À mon avis, il y a deux ou trois nuances à apporter à cette "entente secrète". La Première chaîne de Radio-Canada invite souvent des journalistes de La Presse, certes. Surtout à Christiane Charette (quand j'entends Marc-André Lussier et Marc Cassivi de La Presse être invités ensemble pour parler d'un film… je me dis: "Hey, la gang! Changez donc de talle un peu!).

Or, on entend régulièrement Marco Fortier du Journal de Montréal à la Première Chaîne, ainsi que ma collègue Josée Legault et bien d'autres qui ne sont pas de La Presse.

 

Mais ce chiffre est plus juste que les chiffres établissant le lectorat que Steve Proulx choisit d’utiliser, qui, eux, servent surtout à ventre de la publicité, non pas à établir l’influence sur l’ensemble de l’information au Québec.

Je ne suis pas d'accord. Le lectorat est de loin la moins pire façon de mesurer l'influence d'un groupe médiatique. Pas mal plus pertinent que le nombre de titres que ce groupe possède. Or, s’il y en a qui sont intéressés à l’influence d’un quotidien, ce sont bien les publicitaires… qui ne sont certainement pas intéresssés à dépenser leurs précieux dollars dans un journal qui ne touche personne!

Les chiffres de Steve Proulx ont pour effet, entre autres, de banaliser le rôle de La Presse en mettant sur un pied d’égalité avec le journal gratuit 24 heures. Combien de fois a-t-on entendu Marc Laurendeau ou Paul Arcand dire à la radio : « Le 24 heures nous révèle en primeur ce matin… ». Jamais!

Combien de fois Marc Laurendeau dit-il : Le Journal de Montréal révèle que… Le Devoir révèle que…
Si l’on écoute attentivement les revues de presse, on sait très bien que Marc Laurendeau ou les autres font le tour des journaux chaque matin. Si trois chroniqueurs/éditorialistes de trois journaux différents s’expriment sur la même question politique ou commentent la même déclaration d’un chef de parti, celui qui fait la revue de presse comparera les différents points de vue. Je vous défie, M. Philpot, de mesurer sérieusement l’influence de La Presse en vous basant sur le nombre de fois que ce journal est cité par Marc Laurendeau à la Première chaîne!

Par ailleurs, pour contrer ce problème de concentration des médias, problème réel selon Steve Proulx, les meilleures recommandations viennent de la commission royale sur les quotidiens Kent (1981), dont l’approche s’apparente à celle du livre Derrière l’État Desmarais.

Robin Philpot
Montréal
Le 21 novembre 2008.