Un journaliste de La Presse (dont je tairai le nom pour des raisons évidentes) m'envoie ce petit courriel en réaction à ma chronique sur l'État Desmarais.
Partons du principe que Gesca et La Presse ne font pas une cenne. Que c'est un véhicule pas rentable dont se sert Desmarais pour faire passer ses idées. On ne se le cachera pas, c'est fort probable que ce soit le cas. Guy Crevier, le président et éditeur de Gesca, nous rappelle d'ailleurs régulièrement que La Presse ne fait pas de profit.
Mettons que les actionnaires voient ça et se révoltent. Ils exigent que Power se départisse de la filiale. Tu écris:
"Voilà qui serait réjouissant. Car, si le pouvoir médiatique du clan Desmarais n'est pas aussi énorme que le prétend Philpot, la concentration de la propriété des médias demeure un réel problème. Tout ce qui pourrait contribuer à la diluer est plus que bienvenu."
Ma question: tu pense sérieusement que la qualité de la presse écrite au Québec en sortirait gagnante? Tu penses que la population serait mieux servie par un journal davantage soumis aux dictats des profits et de la croissance. Tu penses que La Presse continuerait d'envoyer des journalistes à l'étranger, qu'elle garderait des journalistes spécialistes qui couvrent des beats pointus comme l'alimentation et l'environnement, tu penses que La Presse garderait 6 journalistes en permanence dans les bureaux politiques et presque autant dans des bureaux étrangers?
La réponse est non. Bien sûr, je suis syndiqué dans cette boîte et je protège un peu mon steak. Mais je suis aussi intimement persuadé qu'une Presse plus profitable serait une perte immense pour la qualité de l'information au Québec. On a vu ce que cette logique donne chez CanWest.
À ce compte-là, je pense qu'accepter qu'une fois de temps en temps Desmarais tire les ficelles pour que, par exemple, le passage de Sarkozy à Québec soit couvert mur à mur, n'est qu'un moindre mal. Et pour le reste, pour l'opinion et et la ligne éditoriale que contrôlerait Desmarais, mettons que la chronique de Lysianne Gagnon ou d'Alain Dubuc, et même celle d'André Pratte, est pas mal moins lue que celle d'un Patrick Lagacé ou d'un Pierre Foglia…
Qu'en pensez-vous?
Si La Presse devait être indépendante, pensez-vous que sa qualité serait menacée?
D'ailleurs, je me pose une question: pourquoi n'y a-t-il aucun quotidien qui soit financé par les fonds publics? Pourquoi pas un journal d'État, comme on a une radio et une télévision d'État? Quelqu'un sait-il pourquoi ça n'existe pas?
Comme votre monsieur anonyme, je pense que La Presse est un excellent journal qui contribue beaucoup à la qualité de l’information au Québec. Même chose pour le Devoir.
Maintenant, le premier est affilié à Gesca, l’autre est indépendant.
En fait, je suis bien loin de croire que les journalistes de La Presse sont moins bons ou que leur travail est moins louable simplement parce qu’ils travaillent au nom d’un conglomérat qui souhaite juste engranger des profits. À vrai dire, je suis d’avis que les journalistes, peu importe leurs employeurs, s’en foutent un peu. Ils veulent faire leur boulot, c’est tout.
Je vais prendre le risque de me couvrir de ridicule en ce dimanche ensoleillé et essayer de vous répondre, monsieur Proulx :
1) Qu’en pensez-vous? Je pense que La Presse vu comme une entreprise de mécénat par un journaliste syndiqué issu de ce journal a le mérite d’être plus surprenante que la thèse du complot d’un soi-disant État Desmarais.
De plus, ce qui est mentionné concernant les shadow edtitorial des médias de Canwest est encore plus pertinent. Surtout quand on lit un spécial de plusieurs pages, s’étendant sur quatre jours dans The Gazette, portant sur Izzy Asper et son esprit de « rebel médiatique ».
En lisant cet éloge d’un homme qui ne se cachait pas du tout pour revendiquer le même esprit paternaliste que William Randolph Hearst envers son empire médiatique, je crois qu’on peut se compter chanceux de lire La Presse financée (peu importe que ce soit avec ou sans profit direct pour les compagnies détenues par Paul Desmarais), ça, c’est certain !
2) Si La Presse devait être indépendante, pensez-vous que sa qualité serait menacée?
La qualité des journalistes et, par extension, des articles qui y sont présentés ne seraient pas menacée en ce moment par une indépendance proclamée soudainement par ses journalistes.
Au contraire, les moyens de diffusion mis sur pied par les gréviste du journal de Québec, s’ils étaient combinés à une infrastructure virtuelle telle que celle développée par Cyberpresse ou le site de la SRC pourrait donné de bons résultats au public.
Par contre, je me demande si l’indépendance de la source de financement directe liée à l’édition papier ne causerait pas une perte irrémédiable : celle provoquée par une spirale élitiste qui finairait inévitablement par faire ressembler La Presse au Devoir, à moyen terme…
3) Pourquoi n’y a-t-il aucun quotidien qui soit financé par les fonds publics? Pourquoi pas un journal d’État, comme on a une radio et une télévision d’État?
Le rôle de l’État Providence ne s’est développé que tout récemment. Alors que les moyens d’imprimer du papier et de créer des « gazette » s’est, lui, développé sous des auspices et à des époques beaucoup moins propices à la liberté d’expression imprimée.
Par contre, si aujourd’hui les réseaux de diffusion et les moyens de production du média imprimé permet de rejoindre un public de plus en plus grand, celui-ci devient de plus en plus fragmenté (le phénomène de spécialisation et de niche qui s’applique) et, aussi, la presse libre ne peut se concevoir comme étant un contre-poids au pouvoir de l’État.
Sinon, c’est tout à fait imbécile de proposer un journal subventionné par l’État, cela reviendrait à proposer un concept développé en Union Soviétique au moment ou la Pravda ne contenait pas d’Izveztia et l’Izvestia ne contenait pas de Pravda.
Autrement dit, la Pravda (la Vérité en russe) ne contenait pas d’Izveztia (l’information en russe) selon la population ayant vécu les pires années de la guerre froide.
Cela étant dit, vous allez me dire :
– Oui, mais, à quoi sert une télé d’État alors, selon cette vision pessimiste de la concentration du quatrième pouvoir entre les mains d’un État démocraitque ?
Ça sert à soutenir une thèse démolie allègrement par Charles Bukowsky : celle qui veut qu’il y ait une différence majeure entre la démocratie et la dictature.
En fait, aujourd’hui plus qu’hier, la dictature est présente dans nos vies, d’ou le fameux cri de Pierre Falardeau : « la liberté est plus qu’une marque de yogourt ».
Cri auquel on peut répondre aisément, sans sombrer pour autant dans la boutade gratuite et facile :
« La liberté est plus qu’un périodique Québécois malheureusement trop peu lu par les Québécois. Tout comme les possibles sont un périodique Québécois trop peu connu par les Québécois. Tout comme l’Agora est plus qu’un périodique publié, lui aussi, comme les deux autres, avec des subventions de l’État, sans être davantage pris en compte par la population du Québec. »
Il est là le drame, au Québec, monsieur Proulx. Il ne se trouve pas dans l’absence de moyen de communication plus ou moins indépendants de la Finance ou du pouvoir public, il manque cruellement de lecteurs et d’abonnés pour faire vivre indépendamment ces différentes publications…
N’est-ce pas là le véritable problème, aujourd’hui ? Non pas l’absence de choix mais bien un certain embarras du choix jumelé à une paresse intellectuelle entretenue savament par… par qui ?
Je vous laisse deviner.
Mais je vous donne un indice : par ceux qui vous apprennent à l’école QUOI penser au lieu de vous apprendre COMMENT penser par vous même…
À lire le courriel de ce journaliste devenu anonyme quoique on se demande pourquoi considérant la teneur du message qui fait de Desmarais un mécène!
Plusieurs se diront en le lisant qu’il n’ y a rien de plus pire dans un journal qu’une chronique Médias pour entretenir le copinage entre les journalistes de toutes les salles de rédaction du Québec. Parce qu’au bout du compte, le corporatisme fort de son esprit de corps n’épargne pas les journalistes pour faire un mauvais pléonasme.
Si il y a un esprit de corps dans la police, pourquoi pas chez les journalistes dont notamment Steve Proulx. Pas de théorie de complot là dedans, rien d’autre que la réalité des intérêts individuels qui repose sur des pouvoirs acquis que l’on veut maintenir à tout prix.
Partout dans le monde occidental, le contre pouvoir journalistique apparaît de moins en moins crédible et convaincant miné non seulement par un esprit trop mercantile mais également par l’entretien d’une zone de confort rédactionnelle qui n’aboutit soit qu’au conformisme soit qu’à l’étalage de la propagande. Et selon cette optique de la liberté de la presse pessimiste, je suis assez honnête pour dire que le contrôle des salles de rédaction des journaux par l’État est sans l’ombre d’un doute le pire scénario possible. En ce qui regarde la réalité d’une chaîne généraliste comme Radio Canada sous mandat public fédéral ce n’est pas très fort non plus comme garantie de pluralisme des opinions et des idées. Un réseau comme Radio Canada en tant que moindre mal devrait voir 50% de sa propriété réservée aux actionnaires privés, le pluralisme s’en porterait mieux, il me semble.
Eh oui! Voir la propriété privée des journaux diversifiée ne peut être que bénéfique pour notre santé psychique collective de Québécois. La Presse qui change de mains, propriété tout compte fait du propriétaire de Voir, voilà quelque chose qui serait bénéfique pour nous tous. Gesca pourrait garder le contrôle du Soleil et du Nouvelliste ça suffirait selon moi. Et que La Presse prenne modèle sur le Devoir cela ne ferait en sorte que d’élever notre niveau intellectuel.
On peut rêver en attendant il nous reste nous lecteurs et citoyens, une toute petite prise du pouvoir réelle et symbolique par la révolution du web.
Toute personne qui achète le New York Times s’attend à ce que lire un journal généralement favorable aux Démocrates. La très grande majorité des chroniqueurs et éditorialistes du NYT sont pro-démocrates.
Toute personne qui achète Le Devoir s’attend à lire des chroniqueurs et éditorialistes souverainistes.
La lecture de Joseph Facal ou de Bernard Landry dans le JdeM nous apporte le point de vue d’auteurs convaincus que l’indépendance du Québec est vitale à son épanouissement.
À l’opposé, lorsque l’on achète La Presse….on retrouve des éditorialistes et des chroniqueurs politiques plutôt fédéralistes.
Sérieusement quel mal il y a ça ? D’ailleurs c’est pas nouveau, et ça ne date pas de l’achat par Paul Desmarais. Depuis leur création La Presse et le Soleil ont toujours été des journaux plus favorables au Parti libéral.
Si problème il y a avec Gesca, ce n’est pas qu’il contrôle Le Soleil et La Presse. Après tout, Le Devoir, le JdeM et le JDQ font amplement contrepoids.
Le problème de concentration de la presse possible c’est dans les régions où une alternative n’est pas disponible aux médias que possède Gesca.
Il faut tout de même souligner que l’Empire Québécor distribue ses journaux de Gaspé à Lasarre.
Voici un commentaire que je publiais dans Voir, il y a quelques années lors de la fermeture du Journal indépendant de gauche, Recto-Verso .
La convergence des médias n’est pas le fruit du hasard
Il y a plusieurs façons de restreindre la liberté de paroles, d’empêcher la diffusion d’idées et de solutions alternatives au libéralisme sauvage. Dans une société démocratique, il est rare d’assister à une interdiction pure et simple de publier. La libre circulation de l’information est préservée par la Constitution.
Alors comment est-il possible de museler la presse de gauche indépendante ? C’est simple. En coupant ses subventions à un magazine comme Recto-Verso, un magazine qui existe depuis 1951, sous le nom de Vie Ouvrière, devenu depuis 1997 un magazine à grand tirage.
Pendant que des groupes de presse (Roger, Transcontinental et Quebecor) sont subventionnés à hauteur de millions$$$ par les fonds publics, Recto-Verso se fait couper ses subventions de 30,000$ avant d’être exclus des deux programmes de Patrimoine Canadien: le Fonds du Canada pour les magazines et le Programme d’aide aux publications.
Pourquoi ? Parce que le magazine était distribué gratuitement dans le grand public et que, sans refuser la publicité commerciale, le magazine s’assurait que le contenu rédactionnel ne soit pas influencé. Une campagne d’actions symboliques qui a permis d’amasser 50,000$, grâce à la participation de quelques 500 actionnaires, n’a pas suffi à éponger la dette de 200,000$. «Nous avons pris la décision de cesser d’engager de nouvelles dépenses, parce qu’il n’y avait aucune perspective réelle permettant d’étaler la dette», selon la directrice du magazine.
Pendant ce temps, les groupes de presse de ce monde, grassement subventionnés, ne font pas des journaux que pour l’argent. Ils font aussi de la politique. Et la droite conservatrice continue à répandre l’idée reçue que la convergence de la presse est le produit de la libre entreprise.
Recto-Verso aussi faisait de la politique en publiant des dossiers sur le commerce équitable et l’agriculture mondiale, l’économie sociale, les dangers pour la santé des nouvelles formes d’organisation du travail, les mensonges du workfare, la lutte contre la pauvreté, le développement durable, les problématiques des pays du tiers-monde, l’éco-féminisme. C’est dans Recto-Verso que la photojournaliste Zahra Kazemi avait publié ses dernières œuvres, avant sa mort en Iran. Avec un titre prophétique: «Nous avons trahi les Afghans, nous trahirons les Irakiens». Je me souviens aussi d’une entrevue avec Madeleine Parent, la militante syndicale de 84 ans qui fut de toutes les luttes, et dans laquelle elle dénonçait l’utilisation du terrorisme par la propagande américaine dans un but de conquête planétaire.
Recto-Verso ferme ses portes, et c’est la presse indépendante qui perd un porte-parole. Les 175,000 lecteurs qui n’avaient pas à subir l’assaut des annonceurs de parfums et d’autos pourront se rabattre sur les grands médias qui «la plupart du temps s’empresse à nous garder dans le divertissant et le léger, propose des potins et de la psycho-pop, des entrevues complaisantes masquant à peine les relations publiques des grandes entreprises.» (Recto-Verso)
La droite fait passer ses idées à l’aide subventions, alors que la gauche se fait couper les siennes.
Une autre façon est de s’assurer une ligne éditoriale partisane à l’image des intérêts de Power. Le Devoir ne fait pas le contrepoids de l’empire Gesca, mais au moins lorsque l’on est pas trop fatigué pour s’informer, on peut y lire des points de vue diversifiés. Quant à la presse de gauche indépendante, il existe À Babord et L’aut’journal. Mais là, on s’enfonce dans le bolchévisme !
Évidemment, c'est LA nouvelle dont tout le monde parle dans le petit monde des médias aujourd'hui