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ICI: On signe ici, sinon…

Je publie une lettre de Stéfane Campbell, journaliste indépendant et ex-collaborateur à l’hebdomadaire ICI Montréal. Il raconte les événements qui l’ont poussés à cesser d’écrire pour l’hebdo culturel.

CULTURE D’ENGAGEMENT?
Difficile de contenir son malaise devant l’édifiante nouvelle campagne promotionnelle de Quebecor Media. Se targuant de représenter « une équipe de 17 000 passionnés qui aident nos créateurs, artistes et artisans à porter notre culture vers de nouveaux horizons », on ajoute à ces sages paroles que l’investissement annuel dépasse les 350 millions de dollars « dans la création » parce qu’ils ont « à cœur de faire vivre notre mémoire collective et d’assurer notre avenir culturel ».

Mais de quel « engagement » est-il réellement question ici?

Je fus jusqu’à tout récemment journaliste pour le compte de Corporation Sun Media, importante filiale de l’Empire Quebecor qui regroupe plus de 150 publications […]. Plus précisément, j’écrivais pour l’hebdomadaire culturel ICI Montréal à titre de collaborateur régulier et rémunéré au tarif fixe de 55$ le feuillet (250 mots). Toutefois, la donne changea dramatiquement au mois de février dernier alors que la direction du journal nous transmit une Convention de Cession à signer impérativement et selon laquelle le collaborateur devait céder à l’Éditeur (Corporation Sun Media) les droits d’auteur ainsi que moraux sur les textes vendus au journal.

Sous prétexte qu’un site web pour le journal ICI était en chantier, Sun Media exigeait du collaborateur qu’il « s’engage à céder et cède exclusivement à l’Éditeur et ce, sans limitation de durée ou de territoire, tous les droits d’auteur qu’il détient sur l’Oeuvre, incluant, sans limitation, tous les droits de publication, de diffusion ou de reproduction de l’Oeuvre sur tout support et par tout moyen ou procédé que ce soit ». Ainsi, les textes peuvent rebondir sur n’importe laquelle des centaines de plateformes détenues par Quebecor et ce, au gré des humeurs de l’Empire, sans aucune rémunération additionnelle au tarif de base. Une missive qui fut notamment dénoncée par l’AJIQ, la FPJQ de même que l’UNEQ*, ce qui eu pour effet d’en décaler l’échéance jusqu’à tout récemment.

Moment-clé s’il en est puisque l’Empire a rompu toute négociation avec le syndicat de son premier grand fleuron, le Journal de Montréal, dont la convention collective expire le 31 décembre prochain. Sachant que si la tendance se maintient, les conflits pourraient mener vers un scénario similaire à celui du Journal de Québec, les collabos ayant signé le fameux contrat pourraient du coup devenir les « scabs » de service et « franchir les lignes de piquetage » malgré eux afin de noircir les pages du quotidien en eaux troubles. Un fait qui n’a d’ailleurs été nié par aucun de mes supérieurs lorsque je leur en ai fait part.

Mais l’emprise ne s’arrête pas là, en stipulant que « Le Collaborateur renonce aux droits moraux qu’il détient sur l’Oeuvre tant au bénéfice de l’Éditeur qu’au bénéfice de tout ayant droit de l’Éditeur», notre cher Empire s’assure du même coup de pouvoir faire dévier le contenu même des textes selon le besoin, comme en témoigne d’ailleurs l’utilisation abondante de critiques et autres textes connexes aux produits vendus sur le site de Archambault.ca. De journaliste à publicitaire, il n’y a qu’un pas. Une dangereuse tendance qui fragilise le statut du journaliste lui-même mais, et surtout, la qualité et la pertinence de l’information publiée. Culture d’engagement ? Vraiment ?

Notons également que tout signataire se doit de « garder confidentielle les modalités de la présente Convention », ce qui donne encore plus de « charme » à l’entreprise susmentionnée.

Jusqu’où iront les abus commis à l’égard des journalistes?
L’histoire reste à suivre. Mais d’ici là, de grâce, épargnez-nous votre mièvrerie sur une supposée Culture d’engagement envers la mémoire collective. D’autant plus que votre mémoire semble bien courte si l’on se souvient les prémisses qui ont vu naître le Journal de Montréal, alors qu’une grève faisait rage à La Presse et qu’un dénommé Pierre Péladeau s’était donné comme mandat d’offrir une alternative populaire à la société – tout en assurant des conditions de travail équitables à ses artisans.   

Alors qu’aujourd’hui, visiblement, la culture se marchande et les journalistes : on s’en « clisse ». 

-Stéfane Campbell, Journaliste Indépendant

*Association des Journalistes Indépendants du Québec, Fédération Professionnelle des Journalistes du Québec, Union des écrivaines et des écrivains québécois