Samedi dernier, le chroniqueur de La Presse Hugo Dumas y allait d’un texte sur les journaux intitulé Le plus beau métier du monde.
C’était un peu, si on veut, un cri du cœur d’un journaliste du papier qui voit l’économie du papier s’effondrer, et qui en a contre les «gourous patentés du Web qui dansent déjà sur la tombe des quotidiens».
Or, dans son tissu de lieux communs, Hugo Dumas se moque par la bande d’une de mes récentes chroniques. Je le cite :
Quand je lis des titres ridicules comme: «Les journaux, kossa donne?» mon sang d'encre fait trois tours. Qu'est-ce que ça donne? À peu près tout ce que personne sur la blogosphère ne daigne faire: éplucher des demandes d'accès à l'information, entretenir des réseaux de contacts, couvrir des conseils municipaux, surveiller les dépenses des fonctionnaires, assister à des réunions de citoyens, questionner les élus sur leurs agissements, voulez-vous que je continue?
Comme il semble s’être arrêté au titre de la chronique, j’ai cru bon lui écrire un petit courriel. Le voici:
Salut Hugo,
Je ne t'en veux pas d'avoir traité le titre d'une de mes chroniques de "ridicule". C'est de bonne guerre. T'aime le journal, tu veux partager cet amour avec tes lecteurs. C'est correct.
Cela dit, dans ta chronique, tu fais un périlleux lien entre "journalisme de qualité" = "journaliste qui travaille dans un journal".
Tu as à moitié raison. En 2009, une grande proportion de la presse écrite de qualité est encore l'affaire des journaux, c'est vrai.
Mais, est-ce qu'on peut supposer que ce sera toujours le cas dans 5, 10, 15 ans?
Il faut que tu sois aveugle pour ne pas voir que l'industrie du journal qui tache n'est pas une industrie d'avenir. À moins de s'appeler "journal gratuit" et d'être rempli de dépêches d'agence.
Et il faut que tu sois naïf pour penser qu'une industrie qui n'a pas beaucoup d'avenir aura encore pour longtemps les moyens de payer des journalistes pour faire de l'information de qualité.
Si La Presse s'en sort mieux qu'ailleurs, en ce moment, c'est surtout à cause du fait français.
Or, il est là mon point : est-ce que le déclin des journaux annonce nécessairement la fin du journalisme de qualité? Ça, je n'y crois pas.
Actuellement, on cherche de nouveaux modèles d'affaires pour continuer à financer une activité journalistique de qualité. La pub sur le web? Oui, mais le marché n'est pas encore assez payant. Le micropaiement? Peut-être. Le journal "personnalisable"? L'info sur téléphone cellulaire? Le journal sans but lucratif?
On va passer par un milliard d'idées avant de trouver la (ou les) meilleures. La majorité de ces idées seront probablement des échecs.
Mais je demeure optimiste. Si je ne vois pas comment on pourra sauver les journaux payants (enfin, pas tous) je suis sûr que le journalisme de qualité continuera d'exister. Quitte à ne devenir qu'une activité absolument pas rentable et subventionnée, comme la danse contemporaine! Mais bon, ça m'étonnerait beaucoup qu'on en arrive là…
Tu peux bien te moquer de Twitter, des blogues, etc., mais t'es jeune, mon vieux…
Si tu restes journaliste encore longtemps, c'est ce que j'espère, tout ça et bien d'autres choses pas encore inventées feront partie de l'écosystème médiatique dans lequel tu évolueras.
Tu n’es pas obligé d'aimer, mais si j'étais toi, je laisserais de côté mes souvenirs romantiques du bon vieux journal à papa, et je commencerais à m'intéresser sérieusement au monde d'aujourd'hui…
Sans rancune!
*
Une blogueuse, Michelle Sullivan, n’a pas non plus tellement apprécié la chronique d’Hugo Dumas.
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Michelle Blanc copie la critique percutante de cet internaute. Ouch.
It’s a pity that none of the qualities of good
journalism that Dumas celebrates are evident in his article. No sources
for any assertion, no quotes from anyone, no obvious research done. If
he was a subject-matter expert in the field – blogs, social media,
comparative journalism – that might be excusable, but even in that
case, we readers should be informed of what degrees or published
research make him an expert.I know (we all know) a dozen people in Montreal who ARE
subject-matter experts and have the experience and/or education to
prove it. That none of them were consulted for such an article is to me
the key reason why newspapers are in crisis – the web isn’t doing it to
them, they’re doing it to themselves.
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Là-dessus, j'aimerais souligner l'existence d'un petit guide pratique que je lis présentement et qui devrait se retrouver sur la table de chevet de tous les blogueurs et/ou citoyens et/ou journalistes qui cherchent à partager leurs avis sur la Toile ou sur des arbres morts: L'art de défendre ses opinions expliqué à tout le monde, de Louis Cornellier.
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Un billet fort bien documenté. Les nouvelles sont éternelles, de Martin Lessard.
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Martin Petit s'invite dans le débat…
Beaucoup de mauvais foi dans la chronique de Hugo. Ce passage m’a particulièrement fait grincer des dents: « les meilleurs blogueurs, les plus crédibles, bossent pour Cyberpresse, L’actualité, Canoë ou Châtelaine. »
Vraiment? Les plus en vue, peut-être, mais selon moi, la vaste majorité des « meilleurs » blogueurs sont indépendants. Et ce n’est pas parce qu’on n’est pas payé par La Presse pour regarder Star Arcadémie qu’on n’est pas crédible…
(mauvaisE foi)
Pingback depuis Hugo Dumas et son d??dain des blogues • Michelle Blanc, M.Sc. commerce ??lectronique. Marketing Internet, consultante, conf??renci??re et auteure
Hugo Dumas a raison…un peu. La blogosphère, c’est jeune, échevelé, ça s’éparpille,ça se perd dans tous ses sens,l’essentiel s’y mêle allègrement au superflu, voire au grossier, ça fait souvent beaucoup de vacarme pour pas grand chose, bref, c’est le Big Bang recommencé,version journalisme. Et c’est désormais incontournable.
La fin du journal imprimé? Pas du tout. Bien au contraire. On prédisait le même sort au disque en vinyle il y a dix ans. La semaine dernière je suis allé dans un magasin qui les remet en vente sur les présentoirs. Avec des trucs extraordinaires, pour collectionneurs et amants de la musique que l’on ne trouve plus en CD. Ma table tournante va recommencer …à tourner. Magique!
Quelques questions en passant. Combien de journalistes de « La Presse » sont allé en Irak depuis le début de la guerre? C’est trop dangereux? Ça coûte trop cher? Plus cher, moins important que les funérailles de Jean-Paul II, que le Festival de Cannes? Et les Talibans, tiens. Hugo Dumas pense-t-il que Michelle Ouimet fait du grand journalisme quand elle vient nous dire ( si on la lit entre les lignes) qu’elle n’a rien aimé de ce qu’elle a vu en Afghanistan parce qu’elle mal dormi sur son lit de camp? Et Lagacé à Gaza, un désastre absolu dénoncé à l’intérieur même de la profession, c’est quoi ça? Et Martineau, dans la marde jusqu’au cou avec le conflit au JdeM,qui continue de faire le jar comme si de rien n’était, qui ne se rend pas compte qu’il est en train de se discréditer aux yeux de tous, c’est brillant, ça? Et Foglia, superbe en littérature mais nul en journalisme d’enquête depuis des lunes,qui capotait sur Geneviève Jeanson sans jamais nous apprendre quoi que ce soit sur la vraie nature de sa carrière , il faisait quoi le Foglia, en dehors de sa prose de faiseux surestimé? Quand est-ce que Hugo Dumas, qui aime tant son métier, va-t-il nous exposer en détail dans sa chronique ce qu’il pense du livre de Philpot sur l’empire Desmarais?
Pas de réponses?? He bien, les réponses, c’est ici dans la blogosphère qu’elles commencent à sortir. Et ça va aller en s’amplifiant. En largeur comme en profondeur. Dans tous les domaines de l’intelligence humaine. Hugo Dumas a des compétences que je n’ai pas. Si j’avais son âge aujourd’hui, j’irais étudier en journalisme. C’est LE MÉTIER de pointe, à mon avis, dans la comphréhension du monde à venir. La blogosphère, qui en compte déjà un certain nombre, aura besoin de tous les journalistes de talent disponibles pour donner la pleine mesure de ses possibilités, qui sont presqu’illimitées.
Simple blogueur, et fier de ce titre, je fais ce que je peux ici, dans cet espace où je me sens comme un poisson dans l’eau. J’y redécouvre et j’essaie de mettre au service de la communauté de VOIR bien tardivement un certain talent pour l’écriture qui m’a donné une enfance heureuse. Surtout, je crois dur comme fer que nous sommes dès la naissance les dépositaires de plusieurs dons. Et je constate à l’usage que nous, blogueurs, sommes tous (un peu) journalistes dans l’âme. Ce serait là un virus que nous aurions contracté après une très longue et si décevante fréquentation des journaux imprimés…
Dans son profil, Hugo Dumas se réclame de deux écoles: celle du journalisme et celle de la vie. Méchant programme!!! Mais attention, l’école du journalisme ne peut en aucun cas se substituer à celle de la vie. On peut être top niveau comme journaliste mais nul à chier comme personne humaine. Et vice versa. Le mépris nage à merveille dans ces eaux-là. Et personne , journaliste ou blogueur, n’est à l’abri. Bienvenu dans le vrai monde, Hugo!
Monsieur Dumas,
Parler du travail du journaliste comme «le plus beau métier du monde» est une chose, rabaisser les blogueurs en est une autre.
«Quand je lis des titres ridicules comme: «Les journaux, kossa donne?» mon sang d’encre fait trois tours. Qu’est-ce que ça donne? À peu près tout ce que personne sur la blogosphère ne daigne faire: éplucher des demandes d’accès à l’information, entretenir des réseaux de contacts, couvrir des conseils municipaux, surveiller les dépenses des fonctionnaires, assister à des réunions de citoyens, questionner les élus sur leurs agissements, voulez-vous que je continue?» Source : Le plus beau métier du monde, Hugo Dumas, La Presse, 4 avril 2009
Vous faites preuve d’une grande méconnaissance de la blogosphère dans vos propos. D’abord, il ne faut pas généraliser, pas plus que dans le cas de la presse écrite. Ensuite, il faut savoir qu’on retrouve dans la blogosphère plusieurs sources d’informations professionnelles uniques et inédites, des informations exclusives inconnues ou délaissées par la presse écrite.
Sans la blogosphère, par exemple, je ne pourrais pas suivre la révolution en cours dans le domaine du livre. Le quotidien La Presse en parle peu et ne fait pas d’analyse sur le sujet. Votre quotidien se contente des informations officielles, souvent à la suite de nouvelles américaines, et en provenance des agences de presse. C’est le cas, par exemple, de votre couverture des nouvelles au sujet du livre électronique du libraire en ligne Amazon, le Kindle. Les trois derniers articles publiés sur le sujet sur le site Internet Cyberpresse, section Technaute, étaient tous des textes de l’Agence France-Presse [ Amazon présente le Kindle amélioré ] [ Les auteurs s’inquiètent de la fonction audio du Kindle ] [ Amazon accusé de violation de brevet pour son Kindle ]. Si je veux des analyses, je dois me rendre sur des blogs spécialisés : La feuille, Les Numériques et autres.
La révolution dans le domaine du livre concerne tous les intervenants de la chaîne du livre, y compris des milliers de lecteurs québécois. Mais votre quotidien reste sourd à un traitement québécois du sujet. Le meilleur exemple que j’ai en main, c’est le fait que La Presse n’a jamais glissé un mot à son lectorat au sujet de la Fondation littéraire Fleur de Lys, le pionnier québécois de l’édition en ligne avec impression à la demande. Votre lectorat n’a donc pas le choix de se tourner vers Internet pour s’informer sur le sujet.
«Minute, moumoutte. Le prochain scandale des commandites n’éclatera pas sur Twitter, ni sur Facebook, ni sur un site web obscur. Et avant qu’un blogueur non rattaché à un grand média (les meilleurs blogueurs, les plus crédibles, bossent pour Cyberpresse, L’actualité, Canoë ou Châtelaine) ne déterre un Watergate, le nouveau CHUM aura le temps d’être construit, démoli, puis reconstruit.» Source : Le plus beau métier du monde, Hugo Dumas, La Presse, 4 avril 2009
Ça, on le savait déjà : la presse imprimée se nourrit de scandales et gruge son os jusqu’à la mœlle, jusqu’à écoeurement de son lectorat, pis encore, jusqu’à donner une fausse perception de la société dans laquelle nous vivons. Car «informer, c’est choisir» et les journalistes choisissent «leurs» scandales. Autrement dit, tous les scandales ne sont pas couverts par la presse et ce n’est pas parce que les vérités de faits manquent ou qu’elles ne peuvent pas être vérifiées, contre vérifiées et mises en contexte. Il y a des scandales qui ne font pas vendre, tout simplement. Le fait que la loi québécoise sur le développement des entreprises dans le domaine du livre soit discriminatoire en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne [ Lire ] n’est pas un scandale traité par la presse. Est-ce parce que ce scandale ne concerne pas suffisamment de gens pour faire vendre des copies ?
Quoiqu’il en soit, si bon nombre de gens se tournent vers la blogosphère plutôt que vers la presse écrite, c’est parce qu’ils trouvent dans les blogs une information qu’ils cherchent et qu’ils ne retrouvent pas ailleurs. Au lieu de dénoncer et d’abaisser la blogosphère et l’Internet, les dirigeants et les journalistes de nos journaux imprimés devraient s’adapter aux besoins des gens.
«1. Pourquoi de plus en plus de gens s’informent-ils ailleurs que dans les journaux?
Prenons un exemple dans l’actualité récente. La déclaration de Benoît XVI sur les préservatifs. Les journaux ont fait beaucoup de millage là-dessus.
Comme tout le monde, ça m’a interpellé. Alors, faute de trouver le mot à mot dans les journaux, je suis allé voir sur Internet ce que le pape avait dit.
Comme l’explique Bernard Poulet (voir «Référence» ci-dessous), on enregistre depuis les années 80 une montée spectaculaire de la défiance du public à l’égard des journalistes : «Le journalisme objectif s’est peu à peu mis à distance de ses lecteurs. Cette ambition d’exercer un magistère moral est mal acceptée par les lecteurs, qui s’agacent de la prétention des journalistes à détenir la vérité et à leur faire la leçon.»
D’autre part, en privilégiant l’émotion au détriment de l’information, ils ont fini par lasser. Internet permet de les ignorer. Il suffit de cliquer ici et là.» Référence : «Bernard Poulet publie La fin des journaux chez Gallimard, un essai de 224 pages. Le constat est accablant : il n’y a pas d’avenir pour les journaux.» Source : La place des journaux est-elle au musée?, Didier Fessou, Le Soleil, 29 mars 2009
Personnellement, je crois qu’il y aura toujours des scandales et que la réputation de «chien de garde» du journaliste ne doit pas supplanter celle de bâtisseurs [ Lire ].
Malheureusement, le journaliste d’aujourd’hui tire trop souvent sa fierté du scandale qu’il a découvert plutôt que de l’innovation qu’il a aidé. Il y a ici des rendez-vous manqués avec l’histoire voire des retards au sein de notre société attribuables aux journalistes. [ Lire ]
«(…) Et plus jeune, j’accompagnais souvent mon papa journaliste dans la salle de rédaction du Soleil, un endroit magique et bordélique où s’alignaient de grosses machines à écrire en métal, perdues au milieu d’un fatras de feuilles jaunies, de cendriers archi pleins, de crayons gras et de photos en noir et blanc.» Source : Le plus beau métier du monde, Hugo Dumas, La Presse, 4 avril 2009
Moi aussi j’ai fréquenté la salle de rédaction du Soleil. Dans les années 70, le rédacteur en chef du Soleil, Claude Masson, me recevait régulièrement dans son bureau pour corriger les textes que je lui proposais à titre de pigiste pour renflouer mon budget d’étudiant, des leçons de journalisme inoubliables.
Au cours des année 80, devenu un jeune entrepreneur dédié à la création d’emplois alors que la crise économique battait son plein au sein de ma génération, j’ai vu les journalistes s’impliquer dans de nombreux projets d’entreprises en leur donnant écho dans les pages de leurs journaux. Jamais nous n’avions entendu autant parler des PME (Petites et Moyennes Entreprises) et même des TPE (Très Petites Entreprises) en démarrage. Tout le monde savait à l’époque, y compris les journalistes, qu’une bonne revue de presse ajoutait du poids à la demande de subvention de l’entrepreneur. Plusieurs de mes projets ont bénéficié d’une telle revue de presse, notamment, le Club d’initiation aux médias et ma firme de recherche en marketing. Merci au Soleil de m’avoir permis de lancer ces projets. Sans couverture de presse, mes projets n’aurait pas levé.
Puis, j’ai vaqué à mes occupations d’entrepreneur pour revenir avec un nouveau projet en 2003. Il me fallait une fois de plus l’aide des journaux pour sensibiliser la population et la classe politique à ce projet : la première maison d’édition québécoise en ligne sur Internet avec impression à la demande. Mais quelle ne fut pas ma surprise de constater jusqu’à quel point le milieu des médias n’était plus aussi accessible que dans ma jeunesse. Et c’était plus particulièrement le cas de tout ce qui concernait les nouvelles technologies et l’Internet. Les médias avaient soutenu le développement de ces nouveaux secteurs allant même jusqu’à recommander à leurs lecteurs d’y investir. Puis, ce fut l’éclatement de la bulle boursière et plusieurs journaux se virent dans l’obligation de faire leur mea culpa auprès de leurs lectorats. Dans ce contexte, mon projet d’édition en ligne tombait à un mauvais moment pour la presse. Malgré tout, je suis parvenu à obtenir une certaine couverture médiatique mais jamais dans votre quotidien, LA PRESSE, même après notre déménagement de Lévis à Montréal. Alors, comme plusieurs, je me suis tourné vers la blogosphère.
Serge-André Guay, président éditeur
Fondation littéraire Fleur de Lys
http://manuscritdepot.com/internet-litteraire/actualite.251.htm
Or, il est là mon point : est-ce que le déclin des journaux annonce nécessairement la fin du journalisme de qualité? Ça, je n’y crois pas.
Peut-être que non. Mais peut-être que oui. Du moins, peut-être la fin du journalisme grand public tel que nous le définissons. Je m’explique.
Pendant que tout le monde s’extasie sur la migration de l’information du papier vers le numérique, on oublie que le facteur déterminant est plutôt le pouvoir dont dispose le lectorat. Chacun peut se constituer son fil d’information en fonction de ses intérêts personnels ou professionnels. Résultat, certains internautes, plus riches, paieront sûrement un jour pour une information de qualité, mais une info qui les concerne directement, spécialisée: éducation, culture, science. Par exemple.
Pendant que le plus grand nombre restera attaché à de grands médias-sur-le-web, qui se financeront, peut-être, par la pub. Ou par les subventions.
Il pourrait en résulter, si nous n’y prenons garde, une info à deux vitesses: l’info journalistique de qualité, où on peut se permettre de fouiller et d’analyser et de faire de brillantes synthèses, parce qu’on est payé pour (que ce « on » soit des journalistes professionnels ou des experts devenus journalistes), mais qui ne rejoindra que des clientèles atomisées. Et de l’autre côté, l’information pour la masse, faite par des gens sous-payés, faite également en partie par des bénévoles-journalistes-citoyens et par des légions d’autres blogueurs qui seront prêts à faire ça pour le fun (et pour la gloire d’écrire dans La-Presse-sur-le-web).
On peut construire des balises pour prévenir cette évolution, mais ce n’est sûrement pas en perpétuant un pseudo-antagonisme « mauvais journalistes – bons blogueurs » (ou vice-versa) qu’on aidera qui que ce soit.
Pas très réjouissant, mais en droite ligne des tendances qu’on observe depuis 10 ans.
Monsieur Proulx,
Ne croyez-vous pas que sans une organisation de qualité que seul un journal peut offrir, la qualité de l’information va en souffrir ? Un blogueur, malgré tout sa bonne volonté, n’a pas les ressources pour faire un travail exhaustif. De même, le blogueur n’est pas soumis aux même standards que les journalistes. Pas de conseil de presse, c’est donc le véritable Far-West.
Pour faire du bon journalisme d’enquête, ça prends du temps, de l’argent et des ressources (avocats, contacts, sources etc.) C’est un travail à temps plein ! Ce qui m’inquiète, c’est pas la disparition du format papier mais plutôt la disparition de ce type d’organisation. Comme Hugo Dumas, j’ai bien de la difficulté à concevoir une vraie enquête sans une organisation solide pour la soutenir.
@ Renaud Séguin:
Je crois absolument que pour faire du journalisme de qualité, il faut « une organisation », une « entreprise de presse ». J’ai écrit des chroniques là-dessus, plus qu’une.
Mais la portion « que seul un journal peut offrir » de votre intervention est le petit détail avec lequel je ne suis pas d’accord.
Pourquoi « que seul un journal peut offrir »? Selon qui? Est-ce coulé dans le béton?
Il est là aussi, mon désaccord avec le coup de gueule d’Hugo Dumas. Cette propension à voir le journal que le boutte du boutte en matière d’information de qualité.
Le « journal » est un type d’entreprise de presse, un modèle d’affaires en particulier qui a bien fonctionné et qui, dans certains cas, fonctionnera encore bien dans quelques années.
Mais il y aura d’autres modèles d’affaires, d’autres « entreprises de presse » qui fonctionneront selon un modèle radicalement différent de celui des journaux.
Je ne sais pas lesquels, mais j’ai hâte de voir.
*
J’ajouterais un autre détail. Ici, il est très personnel. Il concerne ma pratique journalistique à moi.
Depuis que je blogue, depuis que mes chroniques sont publiées dans un blogue et, par le fait même, soumises aux commentaires PUBLICS de tout un chacun, ça a changé ma façon d’écrire.
J’ai déjà, étant plus jeune (!) publié des articles pas tout à fait géniaux, pas très documentés. Plutôt mauvais, en fait. À l’époque, le pire qu’il pouvait m’arriver, c’est que quelqu’un m’écrive une lettre de bêtises par courriel. Mais ça se terminait là. Maintenant, la lettre de bêtises est publique. Sur le blogue. Tout le monde peut la lire et en rajouter.
Du coup, ça met une pression, ça impose une exigence, non pas de faire concensus, mais de publier, dans mon cas, des avis que je suis capable de défendre avec des arguments plus solides encore.
Ça stimule le doute. Je l’avoue, quand j’écris une chronique, je me demande ce que vous pourriez m’écrire pour obstiner. Je tente de boucher les trous dans mon argumentaire (même si souvent, la longueur est un frein), en pensant de façon plus plurielle qu’avant. Tout ça parce que je sais que, si j’écris n’importe quoi, il y aura quelqu’un parmi vous pour me le ramener en pleine face.
La voix du public, le pouvoir que tout un chacun a de me traîner publiquement dans la boue me force, plus que n’importe quel entreprise de presse ne l’a jamais fait, à hausser les « standards » de mes écrits.
C’est là au moins un bel avantage des blogues.
Pingback depuis HUGO DUMAS!!! « La clique du plateau
Une chose est certaine, en tout cas, c’est que le prochain scandale des commandites n’éclatera pas dans une chronique de Hugo Dumas… À moins que cet éventuel scandale concerne le passage d’un invité à Tout le monde en parle ou un des participants à Star Académie…
Et j’imagine que lorsqu’il parle des blogueurs très crédibles des médias de masse, il pense à Richard Martineau… La belle affaire… !
Ça me fait un peu penser à la polémique soulevée naguère par Christian Bégin, à propos du métier de comédien. Dumas est un peu au journalisme ce que Bégin est à l’art dramatique : pas celui qu’on nommerait dans un palmarès de qualité et de crédibilité, mettons…
Certes, une certaine organisation permet aux journalistes d’avoir les moyens de mener une enquête en profondeur. Mais cette réalité ne doit pas porter ombrage au concept de journaliste freelance. Et que le médias soit en papier qui tache ou en pixel ne change rien à rien.
Dans un autre domaine, pas nécessairement sans rapport, au début de l’ère du web 2.0, ils étaient nombreux de l’industrie du disque à me ramoner les oreilles en me disant que sans producteur, sans maison de disque, un artiste ne pouvait avoir les moyens de faire une proposition artistique qui se démarque et qui serait apte à percer le mur du public. Les mêmes arguments étaient en jeu : qualité, crédibilité, support organisationnel. On le sait maintenant. Ils se trompaient. Même les « majors », désormais, ouvrent des comptes myspace…
Or, il se passe en ce moment la même chose au niveau des contenus journalistiques… Le public se tourne vers les blogueurs indépendants pour s’informer de la même manière qu’il s’est tourné vers myspace pour se divertir. Eh oui, l’information, c’est encore un contenu culturel. Le contenant importe peu.
On en est sans doute encore, aujourd’hui, à trier le bon grain de l’ivraie au sein de cette multitude de blogues… Période de transition. Une telle circulation de l’information demande un effort du récepteur, une remise en question constante et une interaction entre le lecteur et le rédacteur. Tant mieux si l’information à l’ère de la cybercivilisation implique le doute de l’auditoire.
Et c’est peut-être la réelle crainte de Dumas au fond, de se voir remettre en doute… Lorsqu’on aura séparé le bon grain de l’ivraie, est-ce que sa chronique pourrait être semée dans le jardin ? C’est sans doute la question qu’il n’ose pas se poser, car ce serait aussi y répondre…
S.
Quant à moi je dirai, avec beaucoup de modestie, que je suis un petit peu plus pessimiste qu’optimiste. Mais, du même coup, je me dis que chaque fois que d’importantes mutations technologiques sont en cours, il s’en trouve toujours pour annoncer le pire alors que d’autres, indécrottables optimistes, envisagent enfin le meilleur.
Moi, ce qui me réjouit et me fait un peu peur, c’est «le journalisme citoyen». En démocratie il est bon que ceux qui le veulent puissent s’exprimer. Mais en démocratie l’information, ce quatrième pouvoir, revêt une grande importance. Et il est important que des professionnels bien formés soient chargés de nous informer de leur mieux, ce qui n’exclut pas occasionnellement (ou assez souvent) de sérieuses lacunes ou erreurs.
En fait, il y a eu, à travers l’histoire occidentale, cinq grandes sources de pouvoir et de justification de ce qui existe.
D’abord, Dieu. Lorsqu’on dit à des croyants que Dieu le veut, il est difficile d’argumenter avec ces personnes.
Ensuite, il y a la nature. Si je prétends que la nature (et peut-être Dieu) veut que les femmes soient des êtres inférieurs, il n’est pas facile d’argumenter.
Il y a aussi la tradition. Si je dis que Dieu, la nature et la tradition veulent que le sexe masculin soit le sexe supérieur, toute discussion est éteinte.
Aussi, il y a les experts, les spécialistes. Si je prétends qu’une «vérité» est démontrée par la science et approuvée par la majorité des experts ou spécialistes, je viens d’apporter un argument assez solide. Et, en théorie, les journalistes sont, dans la mesure le plus large possible, des «experts» de l’information, ce qui les oblige à manifester du doute et de la rigueur.
Puis, autre source de pouvoir: le peuple. En démocratie, ce que le peuple veut est presquement sacré. Et, pour le meilleur et pour le pire, Internet (et Wikipédia, pour ne prendre que cet exemple) prétend que la parole est enfin donnée à cette entité mystique appelée «le peuple». Chacun peut devenir un «journaliste citoyen».
Dans le contexte actuel il est évident que de nombreuses mutations sont en cours dans l’univers médiatique et journalistique. Hugo Dumas a raison de s’inquiéter face à ce qui risque d’arriver, ce qui ne le justifie pas de s’en prendre cavalièrement à Steve Proulx.
Mais si je me permets de me juger moi-même avec des critères «âgistes», je dirai que le risque principal que je cours, c’est d’être un peu déphasé et pessimiste face aux mutations en cours. Mais, du même coup, cela fait plus de cinquante ans que je cultive le doute méthodologique et c’est en me fiant à ce doute salutaire et hygiénique que je tente d’observer les nouvelles tendances.
Deux questions pour terminer: d’abord, qu’allons-nous gagner? ensuite: qu’allons-nous perdre? Comme je ne le sais pas de manière certaine, je continue à cogiter et à observer.
En toute modestie!
JSB, sociologue des médias
Bon, Patrick Lagacé se permet de me répondre personnellement sur son blogue parce que je questionne la neutralité des sacro-saints journalistes gescaïens, mais refuse de publier ma réplique. D’un côté, il confirme ce que je dis quant à la neutralité des journalistes, car même s’il blogue il en est un.
Je l’envoie ici en espérant qu’elle apparaîtra et démontrera au moins qu’il y a chez les blogueurs une plus grande recherche de neutralité que chez les journalistes gescaïens…
Mais bon, je sais qu’il y a des blogueurs tout aussi intransigeants et des journalistes plus ouverts à la diversité. Comme je lui écrivais au tout début, d’un côté il y a les « pros » de l’absence de neutralité de l’autre il y a les « amateurs » de l’absence de neutralité.
@Patrick Lagacé
Si je comprends bien votre propos, cette journaliste était l’exception à la règle. Tous les autres hebdos régionaux n’ont pas de tels journalistes. Mais bon, si vous n’avez pas vu que je questionnais plus que j’affirmais, comment pourrais-je accorder de la crédibilité à votre propos sur ce sujet? J’en accorde toutefois, par respect.
Je dois être tout un looser alors que mon parti recueille environ 1% des voix (Parti indépendantiste)!
Si vous n’êtes pas capable d’admettre que les positions éditoriales de La Presse sont pro-PLQ à un point tel que c’en est ridicule, je doute que vous puissiez juger correctement de la neutralité des médias. Dès que les noms des éditorialistes du quotidien en question sont prononcés à l’Assemblée nationale, c’est la risée.
Comment ne pas se rendre compte que les « Lucides » obtiennent plus que leur part d’antennes dans le quotidien pour lequel vous travaillez? Il y a bien sûr Foglia qui peut contrebalancer. L’ennuie c’est qu’il ne s’habille du titre d’expert en politique ou en économie.
Mais bon, si je critique la neutralité des médias, je fais fausse route. Ok, les médias sont neutres et c’est un faux problème que de questionner cet élément. Je m’en excuse…
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Le journalisme comme « une activité absolument pas rentable et subventionnée, comme la danse contemporaine »: la cruelle réflexion s’applique fort probablement à la grande majorité des acteurs de la blogosphère et du web2.0.
Il reste qu’un service d’information du public demeure vital dans une démocratie. Plus que la « danse contemporaine » entk.
Mais un service d’information du public peut-il être rendu possible par ce même public sans l’influence pernicieuse de puissants groupes d’intérêt finançant le service???
@Jean-Serge Baribeau
Qu’est-ce que Dieu vient faire là-dedans ? On parle d’un journaliste qui a affiché son mépris à l’égard des blogues, qu’ils trouvent trop démocratiques à son goût, parce que selon lui, seuls les journalistes qui sont affectés à un vrai journal peuvent faire des blogues intéressants.
Le reste, c’est du blabla inutile pour lui. Et dans les faits, le tirage des journaux en papier a diminué. Alors, il défend son parti.
Ce que Steve Proulx défend, lui, c’est la reconnaissance de ce qui n’est pas du journalisme traditionnel, ce qui est la tendance actuelle. On ne se gêne pas pour demander à quiconque qui serait témoin d’un événement d’en faire part aux médias. Je prends comme exemple une tuerie dans une école, quelqu’un avait capté des scènes avec son cellulaire. Les caméramans n’étaient pas encore sur place, alors…
Le journaliste citoyen a son rôle à jouer.
À Daniel Labonté!
Je n’ai pas su rendre claire ma pensée. À moi d’en payer le prix en étant incompris ou mal compris!
JSB