Au sujet du film Les pieds dans le vide, La Clique du Plateau pose la question qui tue et écorche la critique qui encense le film:
Mais la vraie question la plus importante: est-ce que si le même film avait été produit par Universal (mettant
en vedette Lindsay Lohan, Shia Leboeuf et Robert Pattinson par exemple)
les critiques québécoises auraient été les mêmes?Et ma question: est-ce que l'indolence de la critique québécoise fera en sorte que, pour obtenir un avis utile sur un produit culturel donné, il faudra s'en remettre aux blogues rédigés sous pseudonyme?
–Richard Therrien sur l'état de la critique au Québec;
–Patrick Lagacé sur Richard Therrien sur l'état de la critique au Québec;
-Une vieille chronique de votre humble serviteur sur le même sujet: Les complaisants.
J'ajouterais aussi une observation de l'humoriste Guy Nantel (magazine Trente, juin 2009) au sujet du journalisme culturel:
"Je ne me ferai pas d'amis, mais je n'en reviens pas à quel point les journalistes artistiques qui connaissent vraiment leurs dossiers sont rares. Les journalistes sportifs savent tout des sportifs, de leur carrière et de leurs statistiques. C'est la norme. En politique, c'est pareil. Fais un sondage, demande [aux journalistes culturels] qui se souvent du titre de mon premier spectacle… D'ailleurs, on m'a souvent dit que mon spectacle ressemblait à Yvon Deschamps. Une fois, j'ai demandé: "À quel numéro ou spectacle en particulier?" La réponse: "Euh… En général…"
C'est vrai. Et c'est peut-être une partie de la réponse. Les journalistes culturels québécois sont peut-être complaisants par pure crainte de se tromper. Quand on n'a pas les outils pour défendre une opinion ou une mauvaise critique, on lance des fleurs et ça passe toujours..
Est-ce que le « public-cible » de cette sauterie en parachute financée avec des fonds publics prend la peine de :
a) lire les critiques avant d’aller voir une bêtise ou un film de divertissement (que ce dernier soit ou non produit au Canada avec plus ou moins de fonds publics) ?
b) si oui, est-ce que ce même public va prendre en considération le point de vue négatif développer par un critique cinématographique alors qu’il veut VOIR une vedette faire du parachute sur grand écran (car si on fait des films de genre inspirés de la machine hollywoodiene, on fait aussi des castings du même genre) ?
Ce qui m’amène à dire que :
1) est-on obliger de confondre divertissement et culture en critiquant la première affaire comme si on faisait face à la seconde option ?
2) si on se sent obliger d’en parler, me semble qu’on joue le jeu du « parlez-en en bien, parlez-en mal mais parlez-en », donc le jeu du producteur et de la machine à faire éclater du pop corn ;
3) est-ce que les maisons de production ne se tirent pas elle-même dans le pied en essayant d’éviter à tous prix la polémique ou la critique à rebrousse-poil ET est-ce que les critiques de cinéma ne s’abusent pas en se croyant plus fort que le bouche à oreille – le plus vieux média du monde ?
Bref, une fois qu’on sait que le film présenté ne réinvente pas le joujou des frères Lumières, la critique ou le critique devraient s’arrêter là et critiquer ceux et celles qui fabriquent de la mémoire (le septième art) ou ceux et celles qui fabriquent de l’oubli (la télévision).
Ce qui m’amène une autre question : quand on mélange l’oubli et la mémoire (la télévision et le cinéma), qu’est-ce qu’on fait ? De la télévison d’État.
Je n’ai pas vu le film et il se peut que j’attende assez longtemps avant de le visionner. Toutefois, c’est l’aspect médiatique qui m’a frappé au plus haut point. Comment expliquer qu’à Radio-Canada, tant à la radio qu’à la télévision, on ait dû subir de longues entrevues complaisantes et complices, entrevues mettant en vedette Mariloup Wolfe et Guillaume Lemay-Thivierge?
J’aimerais bien qu’on m’explique le pourquoi du comment et j’aimerais bien que le sens critique soit plus développé sans être nécessairement dévastateur et négativiste.
JSB
Complaisante, la critique au Québec? Oui et non… Surtout confuse, selon moi. D’abord, il faudrait qu’on arrête de tout mélanger. Par exemple, en parcourant les pages Web proposées ci-dessus, j’ai lu quelque part qu’on reprochait à Monique Giroux une déclaration dans laquelle elle admettait candidement ne jamais dire du mal d’un artiste de la chanson. Et après? Monique Giroux n’a jamais prétendu exercer le métier de critique : c’est une animatrice de radio très talentueuse qui s’est donné pour mission de faire connaître et aimer les artisans de la chanson francophone d’ici et d’ailleurs. Exigeons des critiques qu’ils fassent leur job, mais laissons les autres tranquilles!
Ensuite, sachons distinguer les vrais critiques des faux. Pour ma part, je lis régulièrement les critiques de La Presse, du Devoir et, bien entendu, du Voir, qui m’aident souvent à faire des choix cinéma éclairés et généralement satisfaisants. Toutefois, j’écarte systématiquement tous les articles portant la mention « les frais de ce reportage ont été payés par les studios Machin » — pour les mêmes raisons que je ne lis pas les pages culturelles du Journal de Montréal, où l’on porte systématiquement aux nues tous les produits de l’empire Québecor, même les plus merdiques, tout en dénigrant ou passant sous silence ceux de la concurrence.
Restent les quelques rares vrais passionnés qui écrivent sur le cinéma avec sensibilité, intelligence et compétence : ils ne sont pas si nombreux, et leur avis ne fait guère courir les foules — parlez-en à André Forcier, à Rodrigue Jean, à Robert Morin ou à Bernard Émond, cinéastes encensés par les meilleurs critiques mais trop souvent boudés par les distributeurs et le public.
Cela dit, la critique au Québéc peut aussi se montrer particulièrement vache : « L’äge des ténèbres » de Denys Arcand, par exemple, n’était certainement pas son meilleur film, mais ne méritait quand même pas la volée de bois vert que lui a servi une critique québécoise probablement excédée par ses trop nombreux succès, et trop heureuse de pouvoir renvoyer enfin à l’un de nos plus grands réalisateurs le balancier de la gloire en pleine face! Le malheureux Gilles Carle, après « La Guêpe » et, dans un autre domaine, Jean-Pierre Ferland, après « Gala », ont aussi goûté à cette médecine : tout à coup, ils étaient devenus des « has-been » et ne pouvaient plus rien faire d’intéressant.
Le problème, au fond, c’est peut-être que nous avons trop de critique d’humeur et pas assez de critique compétente, réfléchie et engagée. Et le très imbécile anti-intellectualisme qui sévit depuis trop longtemps au Québec, qui sclérose notre société et obscurcit nos horizons, est évidemment un frein à l’émergence d’une critique digne de ce nom. Comment voulez-vous exprimer un avis un tant soit peu éclairé dans un pays où l’on se fait cracher au visage dès qu’on a l’audace d’utiliser un vocabulaire de plus de 150 mots?
Quant au film dont il est ici accessoirement question, sans même l’avoir vu, je peux affirmer avec une quasi-certitude qu’il s’agit là, à l’évidence, d’un divertissement pour adolescents en mal de sensations fortes comme il s’en produit au kilomètre chaque semaine à Hollywood : ce n’est donc pas de l’art, ça n’en a pas la prétention et, par le fait même, ça n’a rien à faire dans un débat sur la critique cinématographique. Je n’ai rien contre l’existence de tels produits, il en faut et il y a un public pour ça; le fait qu’on produise ce genre de films me semble même un signe de santé pour une industrie cinématographique comme la nôtre, microscopiquer sur l’échiquier mondial. Mais les oeuvrettes de ce genre sont au cinéma ce que les chaînes d’alimentation rapide sont à la gastronomie : ce n’est évidemment pas là que le cinéphile moyen trouvera son compte.
Notre époque est dominée par les relations publiques, et les « reportages », entrevues complaisantes et « notes parfaites » dont sont inondés nos médias participent de cette vaste entreprise de marketing. Un tri s’impose. Cherchez; sortez des sentiers battus; ne vous arrêtez pas à un seul avis; lisez des revues spécialisées comme Séquences et 24 Images. La bonne critique est comme l’art : il faut la rechercher sans relâche; elle doit se mériter. Bon cinéma!
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