Drôle de coïncidence, dans le dernier numéro du magazine Trente, dont je suis rédacteur en chef, mon billet porte justement sur les concessions que devront faire les journalistes au cours des prochains mois. Et c'est aujourd'hui que La Presse menace de suspendre sa publication à moins de concessions de la part des syndiqués.
À l’heure des concessions
Concessions. S’il y a un mot avec lequel les journalistes syndiqués devront apprendre à cohabiter, c’est bien celui-ci.
Fin juillet, les membres du syndicat des journalistes du Boston Globe ont accepté des concessions : baisse des salaires de 5,94 %, avantages sociaux moins généreux, certains membres ont perdu leur permanence. Ces concessions devraient permettre au quotidien dans le rouge d’économiser 10 millions $ par année. Times Corp. a acheté le Boston Globe en 1993 au coût de 1,1 milliard $. Sa valeur actuelle oscillerait entre 250 millions $ et… rien du tout.Un peu plus tôt en juillet, les employés du Globe and Mail ont évité une grève en faisant, eux aussi, quelques concessions. Leur nouvelle convention collective prévoit un gel de salaires pour les deux prochaines années, ainsi qu’un régime d’avantages sociaux « à deux vitesses », selon La Presse. En bref, les nouveaux employés n’auront pas les mêmes avantages que les anciens.
Au début de l’été, tout en annonçant la mort de son édition dominicale, la direction de La Presse faisait part de son intention de réduire ses coûts de main-d’œuvre de 13 millions $ de plus par année (pour économiser un total de 26 millions annuellement).
On a déjà offert à certains de partir volontairement. Et le syndicat des travailleurs de l’information se prépare à un automne de concessions.
La convention collective des journalistes du Soleil vient aussi à échéance cet automne. Là-bas aussi, on s’attend à ce que l’employeur demande qu’on lâche du lest.
Au Journal de Montréal, les négociations entre les journalistes en lock-out et l’employeur font du vélo stationnaire depuis le 24 janvier dernier. Les lock-outés se disent pourtant prêts à faire des concessions, mais il semble que ce ne soit pas suffisant pour Quebecor.
La situation n’est pas non plus très guillerette du côté des journalistes des hebdos de Transcontinental. Leur convention collective est échue depuis un an. L’ambiance est tendue.
Et on ne parle pas de CBC/Radio-Canada, qui doit se départir de 8 % de ses effectifs pour compenser la baisse des revenus publicitaires.
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Le discours syndical est prompt à agiter le spectre de la baisse de la qualité de l’information chaque fois que l’employeur demande des concessions. Mais l’équation est-elle aussi simple?
Une coupure de salaire de 5,94 % rendra-t-elle les journalistes du Boston Globe moins rigoureux?
Le gel des salaires au Globe and Mail aura-t-il une incidence notable sur la pertinence des scoops publiés chaque jour?Avec leurs généreuses conditions de travail, les journalistes du Journal de Montréal sont-ils forcément de meilleurs journalistes que leurs collègues du Devoir? Bien sûr que non.
Qui plus est, le quotidien sort chaque jour, sans ses journalistes, et le commun des mortels n’y voit que du feu.Si l’on cherche une preuve qu’une main-d’oeuvre journalistique très bien payée est garante d’un travail permettant à une entreprise de presse de prospérer, un conseil d’ami : ne regardez pas du côté du Journal de Montréal. Le JdeM était encore rentable avant le début lock-out. On se doute qu’il l’est encore plus maintenant (ce qui est, d’ailleurs, l’objectif premier de cette entreprise).
*Les menaces à la qualité de l’information les plus souvent citées sont liées à la concentration de la presse et à l’exigence de profits des entreprises médiatiques.
Ce n’est pas d’hier qu’on parle de ces problèmes. C’est drôle, ils existaient avant la crise des médias, et bien avant l’heure des concessions. Quand l’argent rentrait, la qualité de l’information était, malgré tout, souventefois critiquée.L’industrie des médias est beurrée de rouge. Les journalistes syndiqués ne pourront plus espérer conserver leurs actuelles conditions de travail. Il faudra abandonner bien des acquis.
Aussi, dans les nombreuses négociations syndicales à venir, devra-t-on se poser la question : quelles concessions risquent vraiment de menacer la qualité de l’information? Quelles batailles méritent d’être menées?
Billet paru dans le magazine Trente, septembre 2009.
Pour ton information, Steve, j’ai eu l’occasion de rencontrer la haute direction de Cyberpresse, l’hiver dernier, afin de leur parler des avantages économiques que la mise en place d’un journalisme « open sources » et de reportages de vidéo légère, en direct ou en différé, confèrerait à la presse dite « écrite ». Mes interlocuteurs se sont dit favorablement impressionnés, mais liés par la convention collective de sept ans qu’ils venaient de signer avec leurs journalistes.
Crois-tu sincèrement que ce journal peut se permettre d’attendre sept ans avant de prendre le virage douloureux mais inévitable qui lui permettra de sauver sa peau et les emplois qu’elle protège? Les journalistes de La Presse préfèrent-ils être deux fois moins nombreux et gagner deux fois moins d’argent ou conserver leur train de vie en vivant avec leur temps, en se remettant en question comme bien des métiers et des gens, en apprenant à intéragir et à travailler autrement?
Par ailleurs, nous nous sommes croisés il y a quelques jours, toi et moi, au dernier 6@8 de l’AJIQ. Le lendemain, j’ai écris ma déception de voir ces jeunes et sympathiques (je suis sincère !) journalistes pigistes invoquer les tribunaux et la défense de la propriété intellectuelle afin de tenter d’assurer leur survie. À l’ère du Web 2.0 et de la gratuité, il s’agit là pour moi d’un combat d’arrière-garde, d’une cause perdue d’avance. Ouvrez les yeux, jeunes gens, et écoutez Barack Obama qui martèle : « The world has changed and we must change with us! »
Si tu veux agir ou réagir à cette vision d’un avenir meilleur pour la presse, ses artisans et ses commettants (voir mon blogue), je t’invite à participer à l’atelier sur le journalisme « open sources » que je vais animer à l’anticonférence Podcamp Montréal (podcampmontreal.org) le 19 ou le 20 septembre prochain.
Il est désolant de constater qu’une fois encore le fameux discours de la gratuité et du farweb si cher à certains est considéré comme un discours d’avant garde. Qui plus est en appelant Barack Obama à la rescousse ! Ah, que ferions-nous sans Obama 🙂
Les jeunes et sympathiques (sic) journalistes, et les moins jeunes et moins sympathiques comme moi, ont fait du journalisme un MÉTIER, souvent au prix de nombreux sacrifices. À plusieurs reprises, j’ai évolué avec mon temps (si, si). Je me suis remis en question. Et encore plus en ce moment. Mais, je ne vois pas pourquoi mon travail serait cannibalisé par des rapaces qui brandissent le spectre de la gratuité, du journalisme-citoyen (de la foutaise soit-dit en passant) et autres niaiseries pas assez dénoncées par la FPJQ, pour s’accaparer le travail des autres et s’en mettre plein les poches. Tout travail mérite salaire, un point c’est tout. Et cela n’empêche absolument pas de réfléchir, d’évoluer, de s’adapter. Je dis bien s’adapter, et non être flexible. Car qui dit flexibilité, sous-entend souvent capacité à plier l’échine et les genoux jusqu’à ce que la langue râpe le trottoir…
fabricedepierrebourg.org
J’ai une question pour M. Aubry: qui va payer? C’est beau, la gratuité du Web, mais j’ai encore peine à comprendre comment ça financer une enquête de trois mois qui va se décliner en deux ou trois papiers. Si tu fais tu gratuit, faut que ça coûte pas cher.
Et si tous les contenus se valent du point de vue de l’annonceur, et parfois même du lecteur, il n’en est pas de même lorsqu’il est question du pouvoir de surveillance des médias. Arrière-garde ou pas, c’est ça qui est en train de disparaître avec l’atrophie des salles de rédaction.
Bref, peut-êtes pouvez vous m’éclairer, mais il y a plusieurs grands médias qui ont tenté avec la gratuité de l’accès, et ça donne des résultats pour le moins mitigé: pour équilibrer les finances, il faut couper les coûts, parce que les revenus sont moindres.
Je tout à fait d’accord avec Fabrice. Personnellement, je parlerais même de profession. Le journalisme, ce n’est pas seulement d’apprendre à remplir les cases autour de la pub. Il y a des règles à suivre, dont la rigueur, la vérification, l’équilibre, etc.
Quant à confier la santé de la démocratie aux journalistes-citoyens, ça me paraît aussi farfelu que de confier la santé publique à des médecins-citoyens, ou la construction d’édifices à des ingénieurs-citoyens. Sûrement que quelques-uns auraient de bonnes idées, mais ça causerait beaucoup de dégâts. C’est pour ça que ça prend un professionnel pour décider au final.
Ce matin, j’étais dans le métro Laurier. Et qu’est-ce donc que je faisais dans le métro Laurier, un samedi matin ?? Je m’en allais voir des vues au FFM. J’attendais le train, mon scoop du jour, qui ne venait pas. Je regardais par terre, question de passer le temps et de ne pas voir les panneaux publicitaires débiles de la STM.
Tout d’un coup, j’en ai vu une. Une quoi??? Une coquerelle, pardi!!! J’ai regardé sur ma montre, il était 11hre54 précises. Je le tenais mon scoop, et il était encore plus fou. J’ai attendu moins longtemps ma coquerelle que le train du métro Laurier en direction de Berri-UQUAM ce samedi-matin à 11hre54 précises.
Une coquerelle, en plein jour et en pleine lumière, c’est rare. Et c’est pas bon signe, d’après les savantes études des professionnels de l’extinction de la vermine. Quand elle m’a vu, elle a déguerpi. Une formule UN cette coquerelle, un sprint à cent à l’heure pour faire son rapport aux 99autres qui attendent derrière le mur.Méchant party en perspective dans le métro Laurier chez les coquerelles, la nuit prochaine…Heureusement, je n’avais pas de sac d’épicerie avec moi, heureusement, dis-je, moi qui les dépose toujours par terre en attendant le train. Je vous dis ça en passant, mais je n’en ferai pas un éditorial. Vos sacs d’épicerie, vous pouvez bien les déposer où vous voudrez, dans le métro. Et puis vous n’êtes pas obligés de me croire, la vermine, c’est pas l’affaire des citoyens-journalistes, il faut laisser ça aux professionnels qui sont bien mieux capables de faire la job.
Alors, monsieur De Pierrebourg, je compte sur vous. J’ai dit 99, mais ça pourrait être plus…ou moins. Et la vermine, ça se reproduit vite, si vite…
C’est au métro Laurier. Moi, je vous dis ça en passant….etc,etc….