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Deux énormes personnes

Le jeune poète Alexandre Dumont, dont nous parlions il y a quelques jours, nous envoie une réflexion sur l'essence du poème, son pouvoir de transformation et de révélation.

Ce qui particularise la poésie, c'est qu'elle organise ces concepts selon des ordres différents de ceux auxquels la vie nous habitue chaque jour. Ainsi, le poète transforme les perceptions du lecteur en lui présentant des images qu'il a déjà en lui, mais en l'invitant à les voir sous un nouveau jour. [.] Des verbes peuvent « côtoyer » des noms auxquels ils ne s'unissent jamais pour créer de nouvelles images, de nouveaux sens, et ainsi enrichir l'écriture. La portée de la poésie dépasse les concepts : elle les manipule, les modèle et les réunit.

De mon côté, je poursuis ma lecture du Cohen, et suis rendu assez loin pour en être convaincu maintenant: la traduction de Garneau est une pure réussite, audacieuse, volontaire, glissant des «'stie» s'il le faut pour évoquer la fréquente rugosité des mots de Leonard, rendant à la fois montréalaise et universelle cette écriture incarnée, qui prend souvent source dans de petites choses, dans l'anecdote même. Cohen, donc, chez qui désir, érotisme et spiritualité s'entremêlent toujours:

MA COMPAGNE

Il y a cette femme énorme (Ô D–u qu'elle est belle), cette femme énorme qui, bien qu'elle soit entièrement femme, a un caractère bien spécifique: cette femme énorme qui vient à moi parfois très tôt le matin et me cueille en me sortant de ma peau ! Nous «roulons à travers le paradis» plusieurs milles au-dessus des pins et il n'y a pas le moindre espace entre nous, mais nous ne sommes pas Un ou n'importe quoi de ce genre. Nous sommes deux énormes personnes, deux immenses corps de tendresse et de délice, avec tous les plaisirs sentis et magnifiés pour se mettre à notre taille. Chaque fois que ça se passe je suis habituellement prêt à pardonner n'importe qui ne m'aime pas assez même toi, Sahara, spécialement toi.