Mon billet précédent a suscité quelques réactions, dont celle de Jacinthe Bédard:
"Du bruit pour rien? Peut-être pas. Cet événement permet de réfléchir, une autre fois, les rapports qu'entretiennent les médias avec la pensée et les intellectuels. L'appropriation médiatique des intellectuels entraîne comme nécessairement la désintellectualisation de ceux-ci. (…) Le hic? Ces réinvestissements réducteurs occupent l'entièreté de l'espace médiatique. Peut-être nous serions-nous attendus à autre chose du Nouvel Obs…"
À ce sujet, il importe de souligner que le dossier préparé par l'Obs ne se contente pas de commenter les formes de Simone dénudée. Jacinthe a cependant raison, selon moi, en disant que les médias (j'ajouterais les médias "à fort tirage") ressentent l'obligation, pour aborder certains sujets, de servir ces derniers à partir d'une accroche sexy au possible, qui fait appel à tout sauf l'intellect. La question réelle soulevée par cette affaire, qui décidément fait jaser beaucoup, est d'ailleurs celle-là, bien plus que de discutailler sur le droit ou non de montrer les fesses d'une icône du féminisme: y a-t-il encore de la place pour les sujets de fond, pour les thématiques qui bousculent, dans un univers médiatique où l'on distribue essentiellement de l'info pré-mâchée, comme autant de bonbons sans arrière-goût? Les lecteurs demandent-ils autre chose, au demeurant?
Pour revenir à LA photo, j'ajoute que pour moi, l'image d'une femme libre, belle et bien dans sa peau, ne me semble pas antinomique avec les idées qu'a défendues Beauvoir tout au long de sa vie.
« Un adulte est un enfant gonflé d’âge. »
– Simone de Beauvoir, La Femme Rompue, 1967, Gallimard Folio
Critique et survol de l’oeuvre en trois temps :
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/2653
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Moi, ce que je trouve essentiel, au bout du compte, c’est qu’on replonge dans son oeuvre afin d’en créer une autre qui soit à la mesure de notre monde actuel.
Le Nouvel Observateur porte bien son nom, il a osé regardé Simone comme elle a accepté qu’on l’a regarde.
Et il est tout à fait normal que ce soit en Amérique que son oeuvre (le féminisme noble et décomplexé dans ses formes) finissent par pousser plus loin la réflexion sur le gonflement d’air d’un adulte qui a oublié ses rêves d’enfant, sur la rupture entre un homme et une femme, sur la littérature et sa fonction dans le monde réel.
Car ne nous y trompons pas, une vie de roman est tout aussi fictive qu’une vie « internetéressante ».
Bref, pour répondre à votre question, il y a la dure loi de l’offre et de la demande. Et je ne parle pas d’économie en ce moment… Je parle d’investissement personnel, d’effort intellectuel et de volonté d’aller au-delà de la représentation picturale. L’image, d’après moi, la VRAIE image, celle qui prend les contours de notre imagination immense, celle des poètes, est la seule qui compte vraiment. Car ce n’est pas une image qui vaut mille maux, c’est une image qui tout ce qu’elle devrait dire… et même plus, car l’auteur de l’image poétique lui-même ne peut soupçonner jusqu’où ira son rêve dans la vie de quelqu’un d’autre.