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Fermer les livres

Exit les petits chapiteaux blancs des Bouquinistes, qui depuis une quinzaine d'étés donnaient, pendant quelques jours, un parfum parisien au Vieux-Port de Montréal. Il faudra passer par Québec pour les retrouver, l'organisation locale des Bouquinistes ayant trouvé in extremis un terrain d'entente avec Parcs Canada, qui les avait récemment éjectés de la Terrasse Dufferin en invoquant un très obscur motif: l'aspect désormais "trop commercial" de l'activité. Comme si tout n'était pas foncièrement commercial dans l'ultra touristique et très léché Vieux-Québec. Enfin, le nouvel emplacement (parc de l'Esplanade, à l'angle des rues Saint-Louis et D'Auteuil) semble faire le bonheur des organisateurs.

Ailleurs, cette adorable petite foire est bel et bien enterrée – rappelons que les Bouquinistes s'installaient tour à tour à Montréal, Québec et Ottawa. Il faut préciser que l'organisation était criblée de dettes (on parle de 300 000$) et que la fondatrice et directrice de l'événement, Hélène Tyrol, avait quitté son poste il y a quelques mois, elle qui manifestement tenait les Bouquinistes à bout de bras.

On ne connaît pas le fin fond de l'histoire, mais je trouve à tout le moins déplorable que certains en profitent pour faire le procès du marché du livre usagé, tel Didier Fessou, qui écrivait récemment dans Le Soleil: «Si les pouvoirs publics étaient sérieux (on peut rêver), ils ne subventionneraient pas une activité qui prive les écrivains de leurs droits d'auteur. Si les pouvoirs publics étaient responsables (on continue de rêver), ils mettraient un peu d'ordre dans une activité qui s'exerce aux dépens des écrivains.»

Le souci d'une juste rétribution aux auteurs est noble, mais le principe ne résiste pas à l'analyse: le livre usagé que l'on achète en farfouillant dans les étalages est presque toujours une trouvaille, un coup de coeur, un bouquin que nous n'aurions pas acheté neuf de toute façon. En tant qu'auteur, en tout cas, je suis ravi de savoir que certains de mes livres connaissent peut-être une deuxième vie plutôt que de prendre l'humidité dans une cave. Ça me suffit bien comme rétribution.

Je fais donc partie des déçus. J'aimais bien cette fête du livre à ciel ouvert, cette mise en valeur du démodé, de l'écorné, à l'ère où tout semble jetable, y compris bien souvent les idées.