Ce n’est pas d’hier que la critique est critiquée, que l’on en fait tantôt un mal nécessaire, tantôt «la puissance des impuissants», tantôt encore «un impôt que tout candidat à la célébrité doit payer au public» (Joseph Addison).
Il n’empêche, dans un pays comme la France, la critique est un sport national, et la relecture, des décennies plus tard, de ce qui a été dit de Proust, Céline ou Camus est à la fois jouissif et révélateur de l’époque ayant accueilli certains titres depuis passés à l’histoire. Dans «Ceci n’est pas de la littérature…», Sylvie Yvert a collectionné les perles de la critique littéraire française, perles stylistiques, souvent signées, faut-il dire, par des journalistes par ailleurs écrivains (les «agents doubles», comme les appelle Pierre Mertens); perles aussi de méprise et de courte vue, les futurs classiques étant parfois traités d’écrivaillons par leurs contemporains.
Des exemples?
Sur Balzac…
«En le lisant, ce Balzac, j’avais parfois le sentiment de lire un livre de cabinet de lecture, parce qu’il n’était ni un styliste ni ce qu’on peut appeler un artiste en littérature.»
– Jules et Edmond de Goncourt
«Lu la triste Eugénie Grandet: ces ouvrages-là ne supportent guère l’épreuve du temps. (…) Point de mesure, point d’ensemble, point de proportion.»
– Eugène Delacroix
Sur Proust…
«La vie est trop courte, et Proust est trop long.»
– Anatole France
«Lu Le Temps retrouvé de Proust. Effroyablement ennuyeux, à peine soutenable.»
– Paul Claudel
«(…) ces phrases qui se mordent la queue après d’infinis tortillages. Cela pue l’impuissance.»
– Louis-Ferdinand Céline
Cet exquis petit livre aborde aussi, dans sa passionnante introduction, le problème d’un appareil médiatique qui juge des écrits «d’après leurs auteurs, et non des auteurs d’après leurs écrits» (la tournure est de Jacques Julliard). Jusqu’à la mort de l’écrivain, évidemment. Qui est, selon Charles Dantzig, «le moment de la séparation du marketing et de la littérature.» Amen.
«Ceci n’est pas de la littérature…» – les forcenés de la critique passent à l'acte
de Sylvie Yvert
Éd. du Rocher, 2008, 228 p.
Amen, comme vous le dites, mais il est bien dommage que l’on doive attendre la mort de l’écrivain pour séparer le marketing et la littérature.
Mais je crois que le livre n’est pas la seule victime de cette étrange et perverse malédiction… La chanson aussi, la peinture aussi (et même la politique…). Quand l’individu a plus d’importance que l’oeuvre. Cette pratique ne date donc pas d’hier. Intéressant. Moi qui croyait que le culte de la personnalité était tout récent. Et ben v’lan dans les dents!
Mais qu’est-ce que l’art? Oh… la… la… vous me voyez venir avec mes grands sabots… Je m’explique: Si à chaque époque l’art est perçu différemment… Qu’est-ce qui le définie alors vraiment? Qui a raison?
Les contemporains de l’oeuvre? Nous?
Quels avis a le plus d’importance? Celui de l’expert? Celui du simple lecteur? Le mien par exemple, moi simple lectrice sans doctorat en littérature.. A-t-il moin d’importance? Il a moin de portée, ça c’est un fait, mais a-t-il moin de valeur?
Je m’explique (encore et encore pour éclairer ma pensée… ça m’aide aussi): Histoire de Pie par exemple n’a jamais su susciter quoi que ce soit en moi outre le fait que je me suis questionnée sur ma réelle capacité à apprécier une oeuvre. Je n’ai pas aimé ce roman… pourtant il a été honoré ici et ailleurs. Alors c’est moi qui suis dans le tort? Est-ce dire que je ne comprends rien à l’art? Vous me dites; les goûts ça ne se discutent pas. Oui peut-être, n’empêche qu’il doit y avoir un consensus pour que certains romans soient classés chefs d’oeuvres et d’autres navets… Non?
En ouverture vous citez les mots de Christian Bobin: Un vrai livre, ce n’est pas quelqu’un qui nous parle, c’est quelqu’un qui nous entend. Si je comprends bien c’est dire que l’oeuvre se doit en quelque sorte d’être un genre de miroir. L’homme doit se reconnaître dans l’homme. Mais faut-il seulement qu’il se reconnaisse? Je veux dire ne doit-il pas aussi ressentir? Pour moi, et c’est là une tentative de paraître intelligente (quoique je déborde d’humilité) je juge l’art par sa capacité à m’inspirer. L’art qui provoque l’art…ça c’est du bon, du vrai, du pure…
Peut-être qu’ici je traite d’un sujet qui me dépasse. Ces questions ont du être posées des milliers et des milliers de fois et par des gens beaucoup plus intelligents que moi (je n’en doute pas). Mais je m’en fou! (un peu) et je me dis qu’ il n’est jamais mal que l’être humain réfléchisse.
En tout cas votre billet m’aura fait réfléchir. Amen!