Le maire de Montréal et quelques ministres s'envolent aujourd'hui pour Londres, histoire d'y rencontrer le grand patron de la F1 Bernie Ecclestone. Parviendront-ils à sauver notre Grand Prix, dont tonton Bernie a confirmé récemment qu'il était retiré du calendrier 2009? La mission dépendra d'impératifs commerciaux, de redevances sur ceci ou cela, bien plus que de la notoriété de cette course et de son caractère historique, ou même de ses gradins bondés année après année. Les fous de F1, dont je suis, sont pour tout dire largués… La survie de cette orgie de vitesse et de bruit semble dépendre de tout sauf de ça: la vitesse, le bruit, les milliers de révolutions/minutes qui font vibrer jusqu'à votre moelle. Ce qui fait qu'on y va chaque année, à l'Île-Notre-Dame, du moins chaque année où l'on arrive à faire loger dans notre budget le rondelet prix des billets.
Mes premiers souvenirs de Grand Prix sont assez particuliers. Quand j'avais une dizaine d'années, ma grand-mère avait un faible pour Nelson Piquet, le pilote brésilien. Alors que je commençais à zyeuter du côté des circuits, elle me parlait souvent du fougueux jeune homme, en passe de conquérir son deuxième titre de champion du monde. Je dois préciser que ma grand-mère, descendante d'une vieille famille française des plus respectables, projetait tout sauf l'image d'une folle de bolides. Dans sa bouche, les mots turbo, sous-virage ou arrêts aux puits avaient l'air de gommes ballounes dans la bouche d'une comtesse. N'en reste pas moins que plusieurs années de suite, malgré l'expédition que ça représentait pour elle – elle avait subi des pontages quelques années plus tôt – nous nous rendions tous les deux au circuit Gilles-Villeneuve. Je me souviens d'une course enlevante, sans doute en 84, l'année où Piquet allait l'emporter de justesse devant Niki Lauda. Ma grand-mère frôlait l'infarctus chaque fois que la Brabham du Brésilien passait devant nous, pendant que moi je développais peu à peu une admiration durable pour Alain «le professeur» Prost. Le tout occasionnant une improbable et charmante rivalité entre une grand-mère bien mise et son petit-fils. Images incongrues et précieuses, que je garde au creux de moi.
Ma grand-mère est morte en 1995, du cœur. Si je m'intéresse pas mal, depuis, à l'évolution des moteurs, aux fréquentes modifications du règlement, aux nouveaux tracés et ainsi de suite, je suis convaincu que mon attachement pour ce sport en partie pourri – je suis capable d'en convenir – dépend de cette complicité qu'il a permis entre moi et elle. Elle qui, les jours de course, risquait sans doute sa vie davantage que les pilotes roulant à fond la caisse.
Qu'est-ce que fait ce billet «F1» dans un blogue littéraire? Eh bien, à qui le doit-on croyez-vous ce Grand Prix du Canada auquel nous sommes encore et toujours viscéralement attachés, bien que les bonzes du grand cirque se contrebalancent de tout ce qui n'est pas argent sonnant? Comme le rappelle Jacques Godbout dans son Autos biographie, c'est pour une bonne part Hubert Aquin qui nous l'a donnée, cette course, lui qui, au tournant des années soixante, avait abandonné un projet de film sur la francophonie qui l'avait mené en Europe pour aller rencontrer en Italie le champion Fangio, histoire de le convaincre de la pertinence d'un Grand Prix du Canada…
Faudra le rappeler à tonton Bernie.
Ce billet n’est pas littéraire seulement à cause de l’apport Hubert Aquin. Il y a une belle histoire bien racontée entre un petit-fils et sa grand-mère.
« Elle qui, les jours de course, risquait sans doute sa vie davantage que les pilotes roulant à fond la caisse ». C’est charmant. Mettons ta grand-mère sur le cas tonton Bernie. Elle a peut-être un pouvoir non négligeable maintenant qu’elle n’a même plus à se soucier de ses palpitations cardiaques.
A lire : Autocritique, petit article d’Aquin sur sa passion de l’automobile. Aquin a deja evoque des revolutions de moteur a defaut d’une revolution politique.