Voilà c'est fait. Vendredi dernier, le Sergent recruteur est bel et bien tombé au combat. On a beau annoncer le déménagement des Dimanches du conte, l'incontournable rendez-vous hebdomadaire conté de Montréal, au Cabaret du Roy (363, de la Commune Est), l'annonce fait mal.
L'établissement, qui avait pignon sur la rue Saint-Laurent depuis 15 ans, ferme dit-on pour cause de diminution de la clientèle et de loyer élevé. On pourra inscrire le Sergent dans la colonne des pertes de la grande crise actuelle, comme s'il était plus facile de se consoler de l'inévitable, il n'en reste pas moins un arrière-goût, proche de celui qu'avait provoqué la disparition du Spectrum, il y a quelques mois: il est des endroits qui emportent avec eux un bout de notre histoire culturelle.
Peut-être que le conte québécois ou montréalais est dû pour mieux vivre sur CD ou sur MP3 comme chez Planète Rebelle.
Après tout, les conteurs ont le droit de vivre de leur métier un peu mieux et de toucher un plus large public, non ?
Il y a peu d’avantages à faire partie de l’âge d’or. Mais ça permet de voir que le paysage culturel est bien aléatoire. Qui sait que le Monument national était un théâtre prestigieux, où Sarah Bernard a joué en 1908 ? Qui sait que le cinéma Amour était aussi un joyau du théâtre québécois ? Qui sait que le Spectrum était jadis notre principal cinéma ? Que de salles ont disparu comme celle du célèbre Rivoli, qui est devenue un Jean Coutu au coin des rues Saint-Denis et Bélanger ! Même les sports ont connu des transplantations. Qui sait que les Canadiens jouaient dans un édifice occupé aujourd’hui par une friperie soutenue par Yvon Deschamps et sa femme ? Par contre, beaucoup d’autres institutions ont pris la relève. Le Rideau vert et le Théâtre d’aujourd’hui s’élèvent sur des sites commerciaux peu reluisants. L’Espace libre occupe une ancienne caserne de pompiers, dont il a défiguré la magnifique architecture. L’Olympia et le Corona connaissent un regain de vie. Malgré tout, j’entrevois la mort de nombreuses institutions. Montréal est devenu une ville inaccessible. On fait la chasse aux automobiles en multipliant les parcomètres et le péage pour stationner. Habitant l’extrémité est de Montréal, je dois me taper plusieurs heures d’autobus pour aller voir un spectacle et affronter certains quêteux qui m’insultent quand je n’ai pas d’argent, sans compter que le métro n’est pas adapté à ma mobilité. Je comprends qu’une population cultivée habite le Plateau pour être près des milieux culturels. Aller au théâtre Géordie de la rue Berri au coin de Duluth représente un défi incroyable, de même que d’aller au Sergent recruteur. De nombreuses disparitions sont à prévoir puisque le nouveau visage montréalais nous décourage de nous rendre au centre-ville. Heureusement, les banlieues démocratisent la culture. Elles offrent en plus des salles drôlement plus confortables en comparaison des chaises droites de La Licorne ou des banquettes bancales de L’Espace libre. De Pointe-aux-Trembles, je peux atteindre, entre 20 et 40 minutes, les belles salles de St-Hyacinthe, Joliette, L’Assomption, Ste-Thérèse, St-Jérôme, St-Jean d’Iberville ainsi que les salles magnifiques de quartiers. En plus, les boites de Montréal se montrent très cheap en n’accordant aucune importance à l’accueil de la clientèle. Elles nous enfournent dans des halls étroits ou nous laissent geler sur le trottoir par -20 degrés. Bref, les emplacements culturels se multiplient dans la couronne de Montréal pour le plus grand plaisir des résidants, qui, trop longtemps, ont été privés de divertissements de qualité à proximité.