«J’ai l’honneur d’être un homme haï», écrivait Victor Hugo en 1866. Vous avez bien lu. C’est que dans le merveilleux monde des lettres, la querelle est un sport, et dans la valse des jalousies et des ambitions, compter quelques vigoureux ennemis est le gage d’une carrière préservée de l’oubli.
On m’a envoyé il y a quelques jours un étonnant bouquin, qui étudie le phénomène et recense quelques beaux exemples de rivalités. Dans Une histoire des haines d’écrivains, Anne Boquel et Étienne Kern ressuscitent les grands du panthéon littéraire français et montrent, dans un mélange de rigueur et de bonne humeur, que la plupart des monstres sacrés se sont haïs sans retenue. «N’ayons donc pas peur de le dire, écrivent les auteurs, qu’on l’appelle émulation ou jalousie, la haine, quelque forme qu’elle revête, est au fondement de la création littéraire.»
Parmi les perles:
– Viel-Castel sur Prosper Mérimé: «Il a de l’esprit, mais il a surtout celui de paraître en avoir plus qu’il n’en possède.»
– Jules Renard, sur ses collègues en général: «Le succès des autres me gêne, mais beaucoup moins que s’il était mérité.»
Vlan!
On ne peut s’empêcher de penser aux auteurs d’ici, de se demander si de telles estocades auraient leur place au Québec, en 2009. Mistral décoche bien quelques flèches à l’occasion, Claude Péloquin beugle un peu chaque fois qu’il sort de sa tanière, Patrick Brisebois croque parfois ses pairs en de féroces caricatures, mais force est d’admettre que les uns les autres, plus souvent qu’autrement, se tapent dans le dos à coeur de jour. Comme sur le plateau de Tout le monde en parle, on se dispute un brin, mais on n’est jamais loin du gros câlin…
Les guerres de mots manquent-elles à notre littérature?
Une histoire des haines d’écrivains, Éd. Flammarion, 2009, 314 p.
Si mon souvenir est bon, je crois que c’est André Breton – le pape ou le père du surréalisme ? – appelait l’auteur de Terre des Hommes et du Petit Prince « St-Exaspérant ».
Un peu plus près de nous, lorsque Richard Desjardins réussi à faire publier « Mer intérieure » dans le Devoir, avec la complicité de Lise Bissonnette, un imbécile (parce que je ne peux pas utiliser le qualificatif d’écrivain dans son cas, ce serait abuser des Belles Lettres) lui répond dans la Presse, avec la complicité de je ne veus pas savoir qui, en écrivant une lettre ouverte (de la même eau que le titre dont je viens de l’affubler) intitulée « Tu nous aimes-tu ? »
Heureusement, sur la même page, dans la même tribune libre, un ti-cul avec des lunettes qui vient d’Hochelaga-Maisonneuve envoie des compliments à l’auteur de la chanson du 350e de Montréal « Un bateau dans une bouteille » (musique de Dan Bigras et voix de Nanette Workman).
Devinez quoi ?
Je suis encore bien fier aujourd’hui d’avoir salué l’auteur de Vamp alors que Claude Jasmin faisait un fou de lui en posant une question stupide à l’un des poètes/chansonniers le plus important depuis Félix Leclerc.
Ça ne nous rajeunit pas mais quand même… ça fait du bien de s’en rappeler.
p.s. : j’ai encore la page de La Presse et la cassette audio chez moi et je crois encore que cette chanson-là était excellente / elle n’aura jamais tourné à la radio commerciale cet été là, et certains diront que c’est un Beau Dommage, d’autres diront que non… moi, en tous cas, j’étais fier d’être du même quartier de l’Est que ce gars-là…
Chapeau bas, bonhomme !