Il disait à ses amis que selon lui, rien n'était plus absurde que de mourir dans un accident de voiture. C'est pourtant l'absurde fin que la vie lui réservait, le 4 janvier 1960.
50 ans plus tard, Albert Camus fascine toujours. Tandis que certains résument son œuvre (qui compte romans, essais, nouvelles, pièces de théâtre) à deux ou trois titres majeurs, jugeant le reste un peu laborieux ou encore d'une morale facile, d'autres n'hésitent pas à voir le Prix Nobel de littérature 1957 comme l'un des principaux créateurs du XXe siècle. Chose certaine, on le lit encore beaucoup et dans toutes les langues.
Pour mieux comprendre et l'homme et l'œuvre, mais aussi l'exigence qu'il s'était imposée d'accorder les deux, je recommande l'incontournable Albert Camus, une vie, la biographie qu'Olivier Todd lui consacrait en 1996. Vivante autant que fouillée, critique autant qu'éprise de son sujet, elle montre bien les ambitions et les paradoxes d'un intellectuel jamais coupé du monde. On y lit par exemple:
Charmeur et ombrageux, sincère et théâtral, humble et arrogant, Camus voulait qu'on l'aime. Il y parvint, souvent. Il souhaitait, bien sûr, être compris, mais il n'y réussit pas à la fin de sa vie. Il parla trop du bonheur pour être souvent heureux et serein. Il faut l'imaginer malheureux aussi, comme Sisyphe. Des souffrances et autant de déchirements que de séparations le marquèrent. Mais sans elles, aurions-nous La Chute?
Et plus loin:
Camus se voulait dramaturge. À mon sens, Caligula tient toujours la scène avec force, les autres pièces moins. Bon acteur, Camus? Je ne sais pas, ne l'ayant jamais vu en scène. Il fut peut-être satisfaisant en Dom Juan ou dans le rôle du Gouverneur des Possédés. À la télévision, il était faible. Dans le rôle d'Albert Camus, à l'écran, il me paraît emphatique.
Il se sentait avant tout artiste, «créateur de mythes, incertain d'aboutir» mais «assuré de ne pas être autre chose». Il n'a pas imaginé un univers comme Stendhal, Balzac, Dostoïevski, Tolstoï, Melville, Faulkner, Graham Greene, Primo Levi, Mishima, Mario Vargas Llosa… Mais ses deux meilleurs romans-récits ont le ton original et puissant des chefs-d'œuvre. Il rédigea vite L'Étranger et La Chute. Malgré les oukases de certains doctrinaires de la déconstruction et de l'intertextualité ou d'ouvriers de la jeune et vaillante génétique littéraire, comparant les différentes versions d'une œuvre, malgré toutes les exégèses, ces deux livres retiennent une part de secret – inexplicable -, comme tant d'œuvres profondes.
Albert Camus, une vie, d'Olivier Todd. Éd. Gallimard, 1996, 864 p.
Oui, aussi bien que ce soit intéressant à lire à 864 p. ! J’aime l’esprit critique qu’il semble avoir vis à vis son sujet, ça change du bouche bée d’admiration.
« On lit encore beaucoup les oeuvres de Camus », dites-vous, et bien cela m’inclut. Suite aux premières journées de folie et de panique de H1N1, l’automne dernier, j’ai relu « La Peste ». Toujours d’actualité et surtout toujours très bon, sans compter qu’il m’a fait du bien.
Pingback depuis Savaglio & Cape ,Racine ??? Real Estate | Wisconsin white pages | Wisconsin Real Estate
Je compte me taper L’Homme révolté en fin de semaine. Il faut lire cet oeuvre en ces temps fous et soi-disant modernes.
Quand j’étais au cours classique, en 1958, les curés ont bougrement réussi à m’éloigner des….classiques de la grande littérature française, en nous imposant ses crétins les plus talentueux. C’est ainsi que j’ai détesté le théâtre pendant cinquante ans à cause qu’on m’a obligé, en classe de Méthode, d’aller voir « L’Annonce faite à Marie », de Claudel. Alors qu’Elvis révolutionnait la musique et notre sexualité d’adolescent, et surtout rendait plus charnelle notre appartenance à l’Amérique du Nord,il aurait fallu que je fasse oeuvre de chasteté devant l’Immaculée-Conception!!! Une jeune femme que j’adore m’a guéri de ça, il y a quelques mois, en m’amenant voir de courtes pièces jouées et inventées par des étudiants en théâtre.
Camus , ce fut encore pire. En Belles-Lettres, on nous imposa « Le Mythe de Sisyphe » , son essai philosophique le moins réussi, le plus enchevêtré, le moins naturel, parce que l’auteur, un joyeux luron normalement,y essaie de jouer les esprits sérieux, probablement à cause d’une admiration secrète pour son grand ennemi, Jean-Paul Sartre. Moi qui cherchait le révolté, mon frère, je dus me morfondre devant un auteur contrefait, que je ne reconnaissais plus. Il en résulta ma mise à la porte de ce collège, le Saint-Viateur, et de tous les autres collèges par la suite.
La grande force de Camus, c’est le doute. Je ne pense pas qu’on puisse lire adéquatement son oeuvre, si on ne doute pas soi-même de tout, et de soi-même d’abord, en charité bien ordonnée.
Camus était un sportif, en plus, qui adorait le soccer et les voitures de course. De quoi le rendre incompréhensible à jamais aux yeux de nos intellos qui écrivent dans « Le Devoir », qui n’aiment ni le sport, ni les voitures de course. Ces gens-là, bien sûr, ne doutent de rien, et c’est pourquoi ils se trouvent si beaux, en photo de groupe. Camus était seul, très seul, toute sa vie, et encore plus devant les propres contradictions au coeur de sa pensée, qu’il ne pouvait dissimuler, car alors comment aurait-il pu nous faire cadeau de la totalité de sa personne. La générosité, chez Camus, était sans limites et se manifestait en outre dans ses yeux lorsqu’il regardait les femmes. C’était un regard perçant, nous dit Todd dans son livre,sans opprobe,porteur de la seule vraie profondeur, pas celle qui creuse, mais celle qui s’étend. Une caresse , si on veut, qui faisait la joie de certaines femmes, qui déplaisait royalement à d’autres…
On lui a reproché à n’en plus finir son refus de l’engagement durant la guerre d’Algérie. Il fut quand même résistant. Et plus important, il dénonça le sort fait au peuple kabyle. La Kabylie, cette colonie algérienne, comme le Québec, province de plus en plus exsangue d’un Canada de moins en moins défini…
Il faut lire « L’Homme Révolté », bien sûr, et de toute urgence, à notre époque de ghettos de la pensée, à gauche comme à droite, qui risquent de jeter l’humanité dans la plus totale confusion.
« Révolte », quel beau mot dangereux, inséparable d’un autre, très malmené lui aussi, le mot »Amour »….