L’auteure de ce roman fait mentir tous ceux qui prétendent que la littérature québécoise se regarde le nombril.
Un jour, une petite fille blanche d’environ sept ans surprend une petite noire se faire malmener et demande à son père d’intervenir, ce qu’il fait, sans tenir compte des paroles de celui qui lui amène l’enfant « Prenez garde, on la dit possédée par le diable, elle ne vous servira pas à grand chose». Il faut savoir que nous sommes au milieu du 19e siècle au Sud des États-Unis à la veille de la guerre de Sécession, et l’esclavage va de soi. Les noirs sont faits pour travailler, comme d’autres penser, c’est une loi naturelle, c’est ce que pensent une bonne part des citoyens.
Ce qui fait qu’une blanche et une noire. à peu près du même âge, grandiront côte à côte sur un domaine où la blancheur règne ; les champs de coton de la Louisiane. Il ne faut pas croire que l’auteure fouillera les sillons de l’histoire avec son H majuscule, ce qui nous sera raconté n’a rien d’historique mais s’ancre plutôt par l’image, imprégnant le tissu d’un imaginaire, celui de chaque lecteur. Je commence à croire que Dominique Fortier aime coudre, pour le souvenir qu’il me reste du Bon usage des étoiles où elle a amalgamé des pièces sur d’autres pièces, qui ne semblaient pas aller ensemble mais qui, en bout de ligne, finissent par former un tout. Elle faufile des pans d’anecdotes ensemble, les couds avec des coutures si fines qu’à peine visibles, le résultat donne un seul morceau qui s’appelle un roman.
Avec La porte du ciel, on peut parler d’un patchwork, ce tissu fait de morceaux disparates cousus les uns aux autres. L’élément principal pour moi a été la vie de ces deux êtres de sexe féminin, la blanche au statut clair, la noire au statut embrouillé. J’ai éprouvé un intérêt curieux, presque voyeur, à les connaître intimement. J’aspirais à toucher de quoi était faite cette relation ambigüe. De quelle manière s’aimaient-elles dans ce contexte où celle qui n’est pas blanche couchait au pied du lit de celle qui l’est. La noire balayant le plancher, faisant du petit point dans la même pièce que les demoiselles blanches, mais retirée dans un coin. Pendant qu’une est toute en parole et en droits acquis, l’autre est toute en silence et en devoirs imposés. J’aurais aimé me faufiler entre les deux et voir l’émotion.
Pendant que j’attendais, courais même après cette émotion, l’auteure me sortait du quotidien des jeunes filles et m’amenait, plus haut, plus loin. La plume de Dominique Fortier vole au-dessus de l’étendue du monde, plume qu’on peut traiter de poétique par son utilisation du symbole. L’image forte toujours l’emporte, la métaphore, le sens caché, la parabole. Ce qui en fait un texte à réfléchir et à contempler. L’entrée en matière nous en donnera une bonne idée ; ne perdons pas de vue le Roi Coton !
Le silence s’entend entre les personnages. Les gens se parlent pourtant, leurs bouches font du bruit, mais ne sont pas particulièrement articulées par l’émotion. Les relations n’exposent pas l’écheveau des émotions humaines. Ça fait certainement curieux quand on s’y arrête, et je m’y suis arrêtée. Parce que l’émotion entre les gens se tait, certains pourraient accuser le texte de froideur. Je comprends que l’on puisse l’aborder de cette façon, mais quant à moi, pourtant grande consommatrice d’émotions dans la vie comme dans mes lectures, je me suis laissé entrainer par la grandeur et la beauté que l’auteure désigne. De toutes manières combien d’auteurs sont des spécialistes de l’émotion relationnelle ! À chacun son style.
Je ne vous ai pas encore dit qu’on y aborde la guerre, les moeurs du mariage, les traditions précieusement transmises. On parle aussi couleur, motif, tissu, coton. Et bien sûr, d’exploitation, de richesse acquise, de pauvreté extrême sur fond noir et blanc. Est rajouté à La porte du ciel, une voix narrative, qui apostrophe le lecteur sans crier j’arrive ! J’en ai été surprise, et à chaque fois. Je ne sais pas encore si j’ai aimé tellement elle m’a fait sursauter ! Qu’importe, puisqu’il en sera probablement autrement au prochain roman de Dominique Fortier. Ainsi vont les gens créatifs, à ne jamais faire deux fois la même chose.
Une auteure dont la plume est si belle que les mots restent là, bien ancrés en nous longtemps après les avoir parcourus. C’est signe d’un grand talent.