L’on m’aurait dit qu’un jour j’en serais au tome 8 d’une série BD, je ne l’aurais pas cru. On aurait rajouté que cette série, portant sur le Québec profond des années 20, serait née de deux Français débarqués au Québec voici une dizaine d’années, j’aurais sursauté.
Je me souviens être entrée dans cette série un peu méfiante en égard à mon œil peu averti à suivre un dessin effiloché, surtout dans les cases sombres assez nombreuses. J’en profite pour mentionner que les cases de cet album me sont apparues plus éclairées et la ligne du dessin moins hachurée. La neige éclaire l’album en entier. Ce petit coin de pays est vite enseveli lors des tempêtes et l’ambiance feutrée se prêtait drôlement bien aux secrets entre femmes et à la solidarité venant d’un rapprochement. Rappelons-nous qu’en ces années-là la majorité des hommes partait dans le bois l’hiver.
Il y sera donc question de préoccupations essentiellement féminines : grossesses, enfants, robes, couture, amour et… bigoterie. Le curé a une crise de foi, Marie est enceinte, ne peut identifier le père, et l’envie prend aux femmes de danser le charleston. Et, pour danser le charleston, il faut la robe en conséquence, de là une expédition hors du nid. Pourtant, un curé qui ne veut plus dire la messe dans un village pieux, des bigotes qui occupent l’église par contestation, une veuve qui tombe en famille en se fichant du père, sont autant d’événement qui pourraient ébranler un village, même en 2012.
Mais Notre-Dame-des-Lacs est une alcôve où règnent d’exceptionnelles valeurs de solidarité et d’ouverture d’esprit. Ces habitants sont marginaux, et le lecteur attaché aux personnages au fil des tomes joue le jeu avec plaisir. Même les mégères du village deviennent amusantes sous les traits d’humour des auteurs. J’ai entendu à la radio à Medium Large une entrevue avec Loisel &Tripp qui s’insurgeaient de ce commentaire généralisé sur leur petit dernier : il n’y a pas d’action. Ils se défendaient, disant qu’il n’y en avait jamais eue ! J’y ai réfléchi et je vais le dire autrement ; on y retrouve moins d’intensité dramatique que certains autres et, quoiqu’en penseront les auteurs, je l’affirme avec aplomb.
Plus que jamais, la vie de ce patelin apparait comme un paradis sur terre, ce genre d’endroit qui existerait peut-être, si ce n’était de la nature humaine étant ce qu’elle est, assez souvent basse et faible. Tout le monde se respecte, se comprend et je dirais même plus, se materne.
Est-ce qu’il en serait ainsi si le monde était dirigé par des femmes, rien que des femmes, y ajoutant quelques hommes, hors du circuit, plus détendus et moins compétitifs ? En tous les cas, la maturité règne et ce volume peut se prendre comme un remède à déposer sur nos plaies vives de voir la misère humaine engendrée par nos travers humains. Certains diront, ça ne se peut pas, mais n’a-t-on pas besoin parfois de voir qu’est-ce qui pourrait être si, oui si, on arrivait à ne jamais juger l’autre ?
Un baume oui, mais qui ne sent à aucun moment l’eau de rose. Lecture idéale dans le temps des Fêtes, cet espace d’accalmie où la neige éclaire les figures les plus sombres.
Une série qui a son entrée chez Wikipedia :
Magasin Général, Auteurs & Illustrateurs : Régis Loisel et Jean-Louis Tripp, Couleurs : François Lapierre, Expressions québécoises : Jimmy Beaulieu, Décembre 2012.