Hier, nous étions au show d’Émile Proulx-Cloutier au Cabaret d’Eastman. J’avoue, à mon grand désespoir, que nous allons rarement voir des spectacles de musique : priorité budgétaire oblige. Cette fois, c’était gratuit. Un cadeau d’une amie, une vraie.
Si on ne s’offre pas autant de spectacles qu’on aimerait, on s’offre au moins des disques, des vrais. Et on prend des risques et celui d’Émile Proulx-Cloutier se situait dans cette catégorie. Un risque en attirant un autre, notre amie, en entendant la chanson « Aimer les monstres » pendant un souper chez nous a décidé de nous offrir des billets pour ma fête. Et d’y être elle aussi.
Moi, spectatrice sur la scène
À cause d’un bébé, celui d’Émile P.C., le spectacle a été retardé de deux mois, et l’amie a pu remplacer les billets et les demander près de la scène. Je ne sais pas, vous, mais moi j’aime scruter les mimiques, le voir dégoûter et postillonner, chaque geste me convainquant à chaque seconde que la bête de scène n’est pas un monstre (même si on dit aimer les monstres !). Qu’il demeure un être humain. Cette fois, pour emplir le cabaret à pleine capacité, ils ont collé la table et ma chaise sur la scène. J’étais à deux pieds lorsqu’il chantait debout et à quatre lorsqu’il jouait au piano. J’étais gênée. Un spot m’illuminait. J’avais l’impression d’être vue plus que voir. Heureusement, lorsque qu’Émile Proulx-Cloutier s’est mis à échanger avec le public, il a dit qu’il ne nous voyait pas. Fiou ! Mon intimité de spectatrice était sauve. C’est ce que je pensais et je me suis royalement trompée ! Dans le courant du spectacle, il m’a parlé et lui ai répondu. Il ne voyait que moi, disait-il, et il m’a taquinée allègrement sur mon intensité. Je me suis fermement amusée.
Spectacle plus grand que le CD
Outre cette expérience, ma première exigence : « que le spectacle dépasse le CD » a été amplement satisfaite. Et je dirais même plus, plus et plus. De tous les spectacles que j’ai vus dans ma vie, c’est mon meilleur. Imprimé sur les sillons de ma mémoire, j’en suis sortie avec la conviction d’avoir vécu un moment qui ne se reproduira plus jamais. À cause de la relation du public et du performeur. Ils sont plusieurs artistes à dialoguer avec le public, cependant la majorité du temps, j’ai l’impression que les interventions sont poliment placées. Mais lui, y va à fond la caisse. Il plonge et se met en danger.
Poète théâtral
Il n’a pas nécessairement le don de la parole coulant à flot avec aisance. Il adore pourtant les mots, un à un. Et quand il mord dans les mots, le sang peut couler. Parce qu’il est poète jusque dans sa fibre la plus vibrante. Et sa poésie est théâtrale. Mais je reviens au fait qu’il n’a pas la parole facile. Un plein d’émotions l’habite, retient le flot de mots comme une bride mais parfois, ils sortent en vrac, en désordre, un peu échevelé. Il laisse voir son malaise ou sa maladresse (ce qui va souvent ensemble !). Le public est voyeur, plus qu’il n’y parait, un vrai détecteur à l’affût des moments de vérité. Il n’en veut plus de mur entre la salle et la scène, pas dans cette salle en tout cas. Et ce chanteur non plus, n’en veut pas. Il nous interroge, nous sonde, nous cuisine. On se relie. Il a d’ailleurs trouvé sa salle savante, hier. Durant un quiz qu’il nous propose, une dame l’a suivi jusqu’en Abitibi, sortant le nom d’un minuscule village, Kitcisakik. Désarçonné, il l’était.
Un conteur qui ne compte pas
Tentant de le traiter de conteur qui ne compte pas la quantité de mots à dire. Beau de le voir fier de fouiller la descendance des mots et des peuples. Il débroussaille les terres anciennes pour trouver des racines. Et ne vous fiez pas à sa tonitruante chanson « Votre cochon se couche », il aime voir les peuples se tenir debout !
Mise en scène
Chacune de ses chansons s’enveloppe d’une ambiance, d’une histoire qu’il nous expose avant. Il la met en scène, la prépare, nous prépare aussi. Il recréé pour nous, devant nous, le moment où il l’a crée. J’ai trouvé le geste généreux.
Improvisateur acrobate
Il saisit l’instant, l’empoigne, glisse avec ou trébuche. Entre ses tunes, il est parfois inconfortable et ne le cache pas. Attention, ne confondons pas, ce n’est pas par manque de préparation, parce qu’il l’est préparé. Très, très. Ses deux musiciens aussi, qu’ils nous offrent une gestualité muette ou sonore, en maniant une pluralité d’instruments. Le batteur tape sur la pédale, nu pied, son mollet entouré d’un bandeau à clochettes et se sert d’outils sonores non identifiés !
Homme de scène
Émile Proulx-Cloutier est un homme de scène. Est-il né sur une scène, on se le demande avec la mère et le père dont il a hérité. Ce comédien croqueur de vérités est un virtuose du piano. Sa voix semble connectée à ses doigts agiles et pendant qu’il nous parle des mains (Les mains d’Auguste), on reluque les siennes.
En forme ?
De ce spectacle renversant où a virevolté des mots, des sons, des mélodies, des virements d’ambiances, des divagations, des ultrasons, mais surtout, surtout, des émotions, on sort en forme. C’est la première question « En forme ? » que certains performeurs posent à un public qui répond invariablement « oui », vrai ou pas. Émile Proulx-Cloutier, c’est à la fin qu’il la pose. Une clameur « oui » se fait entendre, aussi vraie que le spectacle.
Être vous, je ne le manquerais pas cet été aux Francofolies au Gesu, le 13 et 14 juin. Il en est à la fin de sa tournée et son spectacle est réglé au quart de tour avec la fraicheur d’une première.