Habituellement, l’adage commence par dis moi ce que tu manges. Moi je l’ai sorti de son contexte, je l’ai reviré de bord et j’ai ajouté un point d’interrogation à la fin: si je te dis qui je suis, tu me diras quoi lire? C’est arrivé dans un petit magasin de livres usagés à quelques pas de Berry-Uqam, moins de 24 heures avant le grand départ.
J’avais jamais eu le courage de demander à un libraire de me conseiller un livre. C’est délicat conseiller un livre à quelqu’un qu’on connait pas. C’est encore plus délicat de mettre des mots sur ce qu’on a envie de lire… Puisque je pars de Montréal pour 7 mois, je me suis dis que j’avais rien à perdre. Si j’ai l’air folle, je rougirai un peu et on ne me reverra plus dans ce magasin-là.
Chez Archambault, la plupart des employés ont mon âge. Ça prend de l’expérience pour conseiller un livre. Moi, je veux l’avis de quelqu’un qui a deux fois mon âge, ou trois fois même! Quelqu’un qui se laisse plus impressionner par les dernières tactiques de marketing en vogue. La dernière fois que j’ai ouvert un livre dont la couverture était dévisagée par un petit cœur Renaud Bray, j’ai pas fini l’œuvre. J’ai trouvé ça plate. Surtout après avoir lu, Les États-Désunis de Vladimir Pozner.
J’ouvrais des livres et je m’arrêtais… Même la bibliothèque de mes parents me décevait. J’ai pas fini L’amélanchier de Ferron, même si c’était bon. Je trouvais pas ça aussi bien écrit que le récit de la misère sous la plume de Pozner. Alors, j’ai demandé à un vieux libraire :
-Est-ce que vous êtes occupé?
-Non, non, je classe ça, pourquoi?
-Parce que j’ai une drôle de question, je fais jamais ça! Je pars en voyage et je veux m’acheter des livres pour m’inspirer mais je sais pas quoi. J’ai 21 ans et j’étudie en journalisme.
Ça n’en prenait pas plus pour que ses yeux s’allument d’un sourire et qu’il m’amène à vive allure vers les rayons en marmonnant j’espères qui est encore là. Il cherchait L’usage du monde de Nicolas Bouvier. Pas de chance, il l’a pas trouvé… Mais je suis quand même partie avec trois livres.
Si je me fais manger par un requin entre Melbourne et Sydney, j’aimerais dire une dernière chose avant de mourir : Je me suis jamais faite d’ami chez Jean Coutu! Leur slogan, c’est de la bullshit. Dans cette petite librairie? Oui. Enfin, presque. J’ai cru percevoir l’ombre d’une amitié quand le vieux libraire m’a lancé : tu reviendras me parler de comment t’as trouvé ça, ces livres-là, après ton voyage!
PS Ces livres-là, pour ceux que ça intéresse, c’est :
Ah ben, il a conseillé des classiques ! On dit que ce sont des valeurs sûres, ces titres-là que, ô calamité, je n’ai pas encore lus même si j’en ai un des trois dans ma bibliothèque (le Poulin).
Eh bien, moi aussi, j’ai hâte de savoir qu’est-ce que tu en penseras. On s’en fout de savoir qu’est-ce qu’une personne pensera d’un onguent (voilà qui explique la fable de l’ami chez Jean Coutu), mais un livre ! C’est très compromettant d’en conseiller un, à n’importe qui, même à un ami. J’en sais quelque chose.
Je vis pratiquement la même chose à chaque visite à ma bouquinerie préférée. C’est une librairie de banlieue, avec une affiche vraiment « BS », mais celui qui y travaille ressemble à ton vieux libraire. Un livre, c’est personnel, en conseiller un, c’est « touchy »… Mais lui, il peut te parler de littérature pendant des heures. Il pique la curiosité, dirige vers des titres auxquels on n’aurait pas pensé.
C’est mauvais pour le budget, mais c’est si bon pour l’âme.
@Venise: On en reparle! 🙂
@Valérie: Ça serait le fun d’avoir un prix pour les libraires passionnés et/ou un top 10 annuel, histoire de savoir à qui demander conseil!
Je suis justemment en train de lire « La traduction est une histoire d’amour » de Jacques Poulin, tu m’as donné envie de me procurer « Volkswagen blues » tout de suite après 🙂
Je note! Moi je viens de finir Gary, la dernière phrase est un chef d’oeuvre en soi! Et j’ai drôlement hâte de lire ta pièce jointe: Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino! Et je vais pt tenter de publier une fiction bientôt, mais avant jveux lire tout les The Art of Fiction du Paris Review, je t’envoies une photo de la bibliotheque de Melbourne; c’est plus beau qu’Harvard!