C’était pas supposé qu’Antoine déneige trois communautos avant de réussir à venir me chercher. On était supposé partir pour l’aéroport à 8h45, pas 9h30…
C’était pas supposé que mon téléphone soit déchargée pis qu’il n’y ait plus de lave-vitre dans la voiture. On était supposé suivre les indications sur l’App Googlemaps et bien voir les pancartes à travers un pare-brise propre.
C’était pas supposé que le douanier accorde mon ukulélé et joue en me racontant son enfance. J’étais supposé payer des frais supplémentaires pour mon vélo, au lieu de rigoler avec ce natif d’Honolulu.
C’était pas supposé que j’oublie la notion du temps en jasant avec les agents de sécurité qui me propose de mettre un chapeau par terre et de jouer du ukulélé toute la journée au lieu de m’envoler. J’étais sensé leur sourire timidement pendant qu’ils me toisaient froidement.
C’était pas supposé que mon avion décolle pendant que je me coiffais dans la salle de bain. J’étais sensée être arrivée depuis trois heures, à attendre sagement qu’on m’appelle.
C’était pas supposé que je réalises qu’il est midi et une en sortant des toilettes. Tout le monde était tellement gentil, j’avais oublié que j’étais peut-être pressée. La madame m’a dit que même si j’étais arrivée à midi, elle m’aurait pas laissé embarquer. Un problème avec mes bagages, j’ai pas trop compris… Lui non plus, d’ailleurs.
Lui, il était là depuis hier soir. Depuis 10h hier soir qu’il dormait sur un banc parce qu’il a pas beaucoup d’argent et malheureusement il s’est pas réveillé à temps. En le voyant de loin, je me suis dit tiens un américain. Je décortiquais son look redneck pis dans ma tête, je riais. C’était pas fin fin. Les franges de cuir s’agitaient sous ses bras, du poignet à l’épaule. Ma dentiste de mère aurait pas vu ça, elle aurait même pas pu dire la couleur de ses yeux tellement ses dents attiraient l’attention : jaunes, tâchés de tabac, cariés. Il a pas beaucoup d’argent mais sa fille étudie en France et elle part cet été apprendre l’allemand, sa quatrième langue. Lui aussi il est coincé ici, même problème que moi avec ses bagages. Le hic? Il a pas accès à son compte en banque et il voulait faire du troc, me donner quelque chose ou me signer un chèque à la limite pour que je paye le taxi pour deux. Parce qu’on va devoir prendre le taxi tantôt, entre les aéroports new yorkais. J’ai pas voulu. Le taxi, c’est su’mon bill. Lui, y sait bien des choses que je sais pas. Lui, il est né dans la ville où je m’en vais étudier. Ça, ça ne s’achète pas.
C’était pas supposé que je débarques à New York faire une ride de taxi. J’étais pas supposée non plus rencontrer quelqu’un d’Adélaide, la ville où je m’en vais étudier.
J’étais supposé payer un billet d’avion, me faire chier aux douanes, pis tripper en Australie. Je suis pas encore partie de Montréal que le voyage est déjà commencé. Je suis pas encore sortie du pays que j’apprends déjà des choses que je ne savais pas. On s’en reparle, faut que je ferme mon ordi, on atterrit à New York live là.