Femmes aux fourneaux: trois chefs d’ici réfléchissent à leur place en cuisine
Bien que soit révolue l’époque où le rôle de la femme en cuisine était strictement celui de ménagère, les femmes ne jouissent toujours pas de la même notoriété et visibilité que leurs collègues masculins.
Normand Laprise, David McMillan, Martin Picard, Chuck Hugues… Le Québec peut se vanter d’avoir une enviable sélection de chefs dont la réputation n’est plus à faire, tant ici qu’ailleurs. En revanche, les femmes toquées – Anne Desjardins, Helena Loureiro, Marie-Chantal Lepage, Graziella Battista, Colombe St-Pierre, Fisun Ercan, pour ne nommer que celles-ci – sont incontestablement moins médiatisées, alors que c’est tout le contraire dans le domaine cousin de la sommellerie, où plusieurs têtes d’affiche – Véronique Rivest, Jessica Harnois, Élyse Lambert – sont féminines.
Sur les bancs d’écoles de cuisine, on retrouve pourtant autant – parfois plus – de femmes que d’hommes. Pourquoi celles-ci seraient-elles donc sous-représentées? «J’ai fait une technique en cuisine. Sur 50 étudiants, il y avait environ 13 gars, mais très peu de filles ont continué le métier après leur stage. En cuisine, c’est différent d’à l’école, c’est plus exigeant; l’irrégularité des horaires, le côté physique, la chaleur, le stress…», avance Isabelle Plante, chef-pâtissière au restaurant Le 47e Parallèle et concurrente étoile de l’émission Les Chefs!.
Quant à celles qui, comme Isabelle, poursuivent la profession, elles ont souvent à se prouver avant de faire leur place, selon elle. «Je l’ai vécu dans un restaurant connu dans l’Ouest, où j’étais la première femme à travailler dans la cuisine. Je me suis beaucoup fait juger. Les femmes doivent souvent en faire plus pour prouver aux autres leur talent et le fait qu’elles sont tout aussi capables qu’eux. Le plus dur est d’aller chercher le respect des gars, mais une fois obtenu, on devient l’une des leurs et il s’installe une belle complicité.»
Marie-Fleur St-Pierre, reine des tapas et chef des restaurants Tapeo et Mesón, l’a pour sa part vécu différemment. «Je n’ai jamais ressenti que je n’étais pas à ma place, je ne me suis jamais fait mettre dans un coin. Côté physique, je pense qu’être une femme ne fait aucune différence. Côté personnalité, il pourrait peut-être avoir parfois des problèmes sur le plan de l’autorité. Dans mon cas, je ne suis jamais arrivée dans une équipe qui était déjà montée, j’ai toujours travaillé avec des gens que je connaissais. Donc, il y avait déjà beaucoup de respect entre nous.»
Marie-Fleur est mère depuis deux ans et demi et selon elle, ce serait plutôt la maternité qui s’avérerait problématique, la conciliation travail-famille étant particulièrement laborieuse en cuisine. «Je crois que c’est le fait d’être femme et d’avoir un enfant qui fait vraiment la différence. C’est dur de ne pas avoir d’horaire régulier lorsqu’on est mère. Même si la famille passe évidemment avant, on se sent coupable de ne pas être au resto quand on est à la maison et vice-versa. C’est difficile de trouver un juste milieu, probablement plus que pour un homme.»
La situation des femmes chefs au Québec n’a toutefois pas beaucoup à envier à d’autres pays, notamment la France, d’où est originaire Émilie Rizzetto, chef au restaurant de l’Auberge Saint-Gabriel. «Ça marche beaucoup par pistons en France. Les portes s’ouvrent si tu connais tel ou tel chef. Ici, tu peux avoir un piercing et des mèches roses, on veut avant tout te voir travailler, voir de quoi tu es capable.»
C’est ainsi qu’on l’a invitée à combler la place du chef Eric Gonzalez en avril dernier, à la suite du départ très médiatisé de celui-ci. «Ça n’a pas été facile de passer après lui, car c’est un chef très réputé, il a une grande renommée. Au début, je n’avais pas confiance, j’avais peur de ce regard de comparaison que les gens allaient avoir, d’abord parce que je succédais à Eric Gonzalez, mais peut-être aussi parce que je suis une femme. Il y a un côté misogyne qui n’est pas facile en France», conclut-elle «Quand on est 14 en cuisine et que tu es la seule fille, il y a des petites pointes qui s’envoient; il faut faire sa place. C’est moins dur au Québec.»
« contestante »? Vous voulez dire « concurrente » j’imagine…
Effectivement, merci pour la correction!
L’émergence de jeunes cuisinières de talent au Québec est un développement heureux. Je tiens, pour ma part, la bonne cuisine de femme pour ce qui se fait de plus juste, de plus sincère, de plus respectueux des produits, sans tous ces chichis qui polluent la carte de nombre d’établissements réputés. Il y a une relève à prendre car, hélas, nombre de très grandes dames de la cuisine française ont passé la main depuis plus ou moins longtemps. La Mère Brazier, figure iconique de la grande cuisine de femme , qui a formé tant de grands chefs d’aujourd’hui, appartient à l’histoire. Fernande Allard, qui régnait sur son superbe bistrot de la rue St André des Arts, et a régalé des générations de parisiens, qui attendaient souvent deux mois une réservation, de son fameux canard aux olives, s’en est allée (Allard demeure une très bonne adresse). La majestueuse Léa, de « la Voute » grand bistrot lyonnaise à petits prix, n’est plus, mais sa tradition est maintenue. Mme Chagny, du « Cep » à Fleurie que certains tenaient pour le meilleur bistrot en France est partie, mais sa patte hante toujours cette belle adresse du Beaujolais. Olympe a déserté son beau restaurant parisien. La grande Hélène Darroze, elle est toujours-là. Visiteurs à Paris, courez-y. Ces femmes aux fourneaux, célèbres ou obscures, sont la bénédiction des gourmets. Incontestablement, leur succession tarde à venir! Avis à nos québécoises. Enchantez-nous! Il y a des places à prendre…