La gastronomie québécoise vue par : Daniel Boulud
Restos / Bars

La gastronomie québécoise vue par : Daniel Boulud

La 20e édition de Montréal en Lumière se tiendra du 23 février au 3 mars prochain. 20 ans d’incursions gastronomiques dans plus de 20 pays. Cette année pour le volet gastronomique, au lieu de mettre les projecteurs sur un pays en particulier, le festival a un nouveau mot d’ordre : « fêter, manger, créer… à la montréalaise! »

Après s’être penché sur ses habitudes culinaires et ingrédients des quatre coins du monde, concentrons-nous notre gastronomie, la cuisine québécoise. Que dit-on d’elle dans le reste du monde? On a posé la question à plusieurs grands chefs à la reconnaissance internationale.

Aujourd’hui, on discute avec Daniel Boulud, chef du restaurant Daniel à New York, et Président d’honneur de Montréal en Lumière en 2007.

VOIR : Votre Maison Boulud est à Montréal depuis 2007. Quel rapport avez-vous avec le Québec?

Daniel Boulud : Il y a souvent eu des chefs québécois qui ont travaillé pour moi à New York. J’ai toujours aimé visiter Montréal pour ses chefs et leur cuisine ; je reviens au moins 3 ou 4 fois par an.  

Avez-vous vu une évolution dans la gastronomie québécoise?

Ce qui se définit beaucoup plus aujourd’hui, c’est l’évolution dans les produits locaux et cette importance d’exploiter vraiment tout ce que le Québec peut apporter. Avant il était plus facile de recevoir des poissons de Gaspésie à New York qu’à Montréal! Depuis que j’ai le restaurant Maison Boulud à Montréal, j’ai pu découvrir beaucoup de produits très saisonniers ou éphémères, mais très typiques du Québec, qui deviennent aujourd’hui des symboles de sa cuisine.

Quels produits, par exemple?

Le piment Gorria, pas fort mais parfumé, qui est produit et séché par Le Jardin des Chefs, dans Charlevoix. Les miels d’Anicet à Ferme-Neuve, des miels bruts fantastiques – la famille produit aussi de superbes hydromels. Il y a les pigeons de la Ferme L’Envolée Sauvagine, avec qui on travaille depuis quatre ans. La qualité est superbe, le travail est familial et le plus naturel possible… On utilise aussi les algues de Gaspésie d’Océan de saveurs : ce sont des algues pêchées à la commande, avec plein de variétés selon la saison, totalement durables. Et l’agneau du Kamouraska de la ferme L’ami Berger, un produit d’exception 100% pâturage, très rarement vu au Canada.

Les fromages du Québec aussi sont extraordinaires. C’est l’exemple de toutes les possibilités que le Québec s’est donné avec ses richesses naturelles.

Depuis quand voyez-vous une évolution dans la cuisine québécoise?

Depuis quand même longtemps… Autant les chefs du reste du Canada se tournent plus vers les États-Unis pour des inspirations ou pour un peu de repérage, autant les Québécois se tournent vers l’Europe, la France notamment, mais aussi la Scandinavie.

Tout ce qui s’est passé en Scandinavie d’un point de vue culinaire, de puiser dans ses propres ressources, ça a réveillé un petit peu le Québec. Les chefs comme Normand Laprise le font depuis longtemps, mais il y a beaucoup de jeunes chefs formés un peu partout dans le monde qui sont revenus au Québec grâce à ça, et qui apportent un renouveau. Et il y a des chefs très locaux et typiques, comme Martin Picard, qui revendiquent très fort les produits québécois.

Il y a des restos que vous aimez particulièrement à Montréal?

Le Montréal Plaza par exemple, parce qu’on sait s’amuser, mais la cuisine, ça reste du sérieux. Et il y a des endroits comme Olive et Gourmando, qui n’est pas un vrai resto, où c’est vraiment délicieux.

Et des chefs que vous suivez?

Il y a bien sûr Normand Laprise, un ami, ou Martin Picard. Mais aussi des jeunes chefs émergents : Benjamin Mauroy Langlais du Petit Mousso ; Antoine Baillargeon, notre ancien sous-chef à Maison Boulud, qui gère le côté brasserie de Monarque ; Mehdi Brunet, déjà connu à New York mais qui a ouvert son restaurant Marconi en décembre 2016 à Montréal ; Vincent Dion Lavallée, ex chef du Pied de Cochon, qui vient d’ouvrir La Cabane d’à Côté en collaboration avec Martin Picard, un projet superbe avec un beau potager et un avenir durable et délicieux ; et enfin Marc-Olivier Frappier, chef du groupe Joe Beef, qui a ouvert un autre bar à vin nature (Mon Lapin) après le succès du Vin Papillon.

Quelle vision de la gastronomie québécoise avez-vous aujourd’hui? Trouvez-vous qu’elle fait sa place sur la scène internationale?

J’espère qu’un jour Michelin viendra à Montréal : les chefs estiment qu’ils le méritent, et le Guide prend bien trop longtemps pour venir. Il y a énormément de talents et ils n’ont pas toujours de reconnaissance.

En tout cas, la cuisine québécoise sait bien communiquer en anglais, et ça va beaucoup plus loin que de communiquer en français seulement. Pour être sur la scène internationale, la langue anglaise reste la plus courante… En attendant, je pense qu’il faut organiser plus d’événements à l’extérieur, ou avoir un festival gastronomique plus international pour entrer un peu sur la scène mondiale. Un peu comme Mad Symposium à Copenhague…

En tant que chef français à New York, la gastronomie québécoise, vous la sentez plus proche de la France ou des États-Unis?

Elle est à la croisée. Mais le Québec est notamment très connu et apprécié des Français, beaucoup plus que le Canada, parce qu’ici ils se régalent avec la cuisine mais aussi avec la langue. Ils se sentent un peu plus chez eux. Quand on parle à des jeunes d’ailleurs du Québec, ils pensent à des produits comme le chevreuil, les produits de la mer, à une cuisine plus européenne mais avec une originalité à elle, avec l’adaptation plus contemporaines des produits locaux.

Pour moi, la culture québécoise c’est un mélange de tradition, d’évolution et d’authenticité. Il y a cette richesse européenne avec toute l’immigration à Montréal, tout un savoir-faire qui est pour moi beaucoup plus proche de l’Europe que ce qu’on retrouve aux États-Unis.  

Le Mousso - Crédit : Frédérique Ménard-Aubin
Le Mousso    crédit : Frédérique Ménard-Aubin

Montréal en Lumière
www.montrealenlumiere.com
jusqu’au 3 février