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Plan d’ensemble : les réalisateurs

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Je débute par une précision visant l’article précédent : la théorie soumise –  la télévision gagnera en popularité au détriment du cinéma –  tient effectivement la route comme le démontre clairement le récent rapport Le processus de choix de contenu audiovisuel des Canadiens commandé par le FMC et  la Sodec. On ne peut démentir de telles preuves factuelles. J’appuie également l’affirmation qui veut que la télévision deviendra le véhicule narratif audiovisuel prédominant, la télé bénéficiant déjà d’une grande liberté créative alors que le cinéma américain stagne comme en attestent les nombreux remakes, prequel, sequels et trop nombreux autres films de superhéros.  Un bémol toutefois : les œuvres ne tirent pas leur valeur cinématographique en se limitant à une bonne histoire, il leur faut plutôt cette singulière alchimie provoquée par les réalisateurs.

La télévision semble avoir intéressé les cinéastes depuis sa création; déjà, dans les années 50, Hitchcock s’amusait avec ses Alfred Hitchcock Presents, Bergman étudiait le couple des années 70 dans Scènes de la vie conjugale et David Lynch s’aventurait dans la ville de Twin Peaks au début des années 90. Trois réalisateurs mythiques se sont attaqués au médium télévisuel longtemps avant notre époque faste, repoussant les conventions de leurs époques respectives et créant des précédents importants dans l’esprit des décideurs mais surtout dans la mémoire des téléspectateurs.

Qu’apporte un réalisateur? Une inspiration, une vision d’ensemble, une structure complexe et cohérente reliant entre autres les moyens cinématographiques que sont les images, la mise en scène, le son et bien sûr l’intrigue. Nous nous attendons toujours à ce qu’un réalisateur raconte une histoire de la meilleure manière possible! Et par extension, nous espérons aussi qu’il s’intéressera à une bonne histoire… Le nom d’un réalisateur apposé à une série télévisée procure donc de la confiance, cette assurance de qualité: lorsque Scorsese annonce qu’il réalisera le pilote de Boardwalk Empire, tout fanatique d’histoires de gangsters se sent interpellé. Les amateurs de drames intimistes et néanmoins lourds de sens politique voient d’un bon œil la participation de Gus Van Sant à la série Boss (une série plutôt méconnue ici). Ces noms au générique nous disent en quelque sorte  « voici une bonne histoire », mais bien au-delà de cette attente toute à fait naturelle, nous espérons surtout que cette bonne histoire soit filmée avec intelligence et inspiration.

Ces histoires, par ailleurs, témoignent d’un changement majeur en télévision ces dernières années, surtout et spécialement dans les séries parrainées par des cinéastes : le storytelling, le point névralgique du petit écran, a grandement évolué. Les structures dramatiques auxquelles nous avons été si longtemps habitués se muent en différents essais parfois audacieux (Breaking Bad, True Detective et House of Cards), et même les sujets abordés deviennent plus étonnants (Top of the Lake, Fargo).  J’abonde alors dans le sens de Mali : les histoires sont effectivement meilleures puisque les différentes chaînes câblées américaines ainsi que les services de vidéo sur demande osent explorer – contrairement au cinéma commercial. Toutefois, cette exploration se fait presque exclusivement par la dramaturgie, évacuant alors tous les autres moyens cinématographiques mis à la disposition des créateurs (et donc des réalisateurs), ce qui nous fait assister trop souvent à un manque de cohésion narrative et stylistique. C’est là, à mon avis, une lacune importante de la télévision face au cinéma de manière générale : ce n’est pas parce qu’un cinéaste laisse une signature visuelle forte qu’elle possède un sens quelconque!

L’œuvre télévisuelle est en plein essor populaire et commercial, il faut en convenir. De même, le raffinement des séries est observable, certains cinéastes défiant les usages avec un plaisir sournois (notamment dans The Knick réalisé par Soderbergh) mais je crois fermement que le meilleur de la télévision est encore à venir dans son évolution en termes de qualités artistiques. Ceci dit, pour reprendre l’expression de Mali, je doute que l’évolution de la télévision se fasse au détriment du cinéma – je suis de ceux qui souhaitent que l’un émule l’autre.