Photo de la comète Hale-Bopp et de l’observatoire du mont Mégantic (9 février 1997)
C’est la seconde fois que cela arrive. Alors, que je m’apprête à écrire un texte d’opinion sur un événement d’actualité, conséquence directe d’une décision gouvernementale particulièrement stupide, je n’ai même pas le temps de finir d’écrire mon texte que le gouvernement fait volte-face.
La première fois, c’était il y a quelques semaines à la suite de coupures dans le financement de la communication scientifique et hier c’était la fermeture de l’observatoire du mont Mégantic. Deux gouvernements, deux décisions d’une stupidité innommable, deux voltefaces rapides suite à une réaction extrêmement négative du public.
La question qui me vient alors à l’esprit est de savoir comment on a pu en arriver là? Qu’est-ce qui pousse de décideurs à faire une telle ignominie? Contrairement à la majorité des gens, je ne blâme pas la stupidité de la classe politique, car ces décisions étaient tout de ce qu’il y a de plus logique.
En effet, il y a une règle de base en politique : Il y a toujours de l’argent pour construire, mais rien pour opérer. J’ai appris cette règle, il y a une vingtaine d’années, de la bouche de René Racine, ancien directeur de l’observatoire du mont Mégantic et du Télescope Canada-France-Hawaii, lors d’une conversation avec mon directeur de thèse, Jean-René Roy, qui deviendra directeur du projet Gemini quelques années plus tard. Dans le cas de l’observatoire du mont Mégantic, cette règle a atteint la limite de l’absurde. En effet, ces dernières années 12 M$ ont été investis pour améliorer les performances du télescope alors qu’il n’y avait plus d’argent pour payer les opérations.
La logique politique sous-jacente est facile à comprendre. Quand on fait des annonces, on a des rubans à couper, on peut se faire voir. Les montants sont généralement plus gros aussi. De plus, construire, cela veut dire aussi souvent donner des contrats à l’industrie, ce qui est toujours une bonne chose. Du point de vue macro-économique, les coefficients de multiplications du secteur manufacturier et de la construction sont pas mal plus élevés que ceux des universités. Donc à court terme, c’est cette solution qui a le plus de sens. Le problème est qu’il y a plein de choses qui ne se gèrent pas à court terme. La recherche fondamentale en est une. Et, là se trouve le nœud du problème.
Pendant un examen oral, dans le cours d’instrumentation astronomique, j’avais eu à répondre à cette question (c’est ce qui arrive quand tu as Jean-René Roy comme professeur):
Tu as cinq minutes pour convaincre le premier ministre que c’est important d’investir dans l’astronomie. Qu’est que tu lui dis?
La réponse est somme toute assez simple. La recherche fondamentale, par définition, repousse les limites et force les gens à se dépasser et la technologie à s’améliorer. Le problème est qu’il est souvent difficile de chiffrer ces retombées.
La première retombée, c’est des personnes; des PHQ (personnel hautement qualifié) dans le langage administratif. Si cela veut dire d’abord des compétences techniques précises, c’est beaucoup plus que cela. En effet, dans le domaine de la recherche fondamentale aux études supérieures, les étudiants sont souvent appelés à travailler à l’étranger et sur des grands projets de collaboration multidisciplinaire et multinationale. Difficile de trouver un environnement aussi exigeant. Dans mon cas, j’ai travaillé sur le premier système d’optique adaptative du télescope Canada-France-Hawaii à la maitrise et sur les balbutiements du projet de télescope James Webb au doctorat.
À titre personnel, une retombée secondaire de mon stage à Hawaii en 1993 a été la prise de conscience du problème de la pollution lumineuse au mont Mégantic lors de mon retour. Ce qui m’a amené alors à concevoir le projet de réserve de ciel étoilé qui a vu le jour en 2007; une première mondiale.
Dans le cas du mont Mégantic, on a quelques exemples précis de retombées à peu près directes. Ainsi, après l’achat de la première caméra électronique, il a fallu concevoir un système d’acquisition. Ce travail a été donné à des étudiants qui ont fondé par la suite la compagnie Matrox. De même. Un producteur de films numériques de Montréal a conçu son premier produit au moyen du système d’affichage d’images astronomiques de l’Université de Montréal. Son entreprise, Softimage, est devenue un chef de file dans la visualisation informatique et la production vidéo. Des rejetons plus directs encore sont Photon etc et Nüvü camēras, qui ont été fondées par des anciens de l’OMM.
Il y a aussi les anciens de l’OMM qui travaillent dans toutes sortes d’entreprises de hautes technologies et qui contribuent à la richesse économique du Québec. Sans compter tous ceux qui travaillent dans les maisons d’enseignement et en communication scientifique. Ceux qui passent par ce système sont équipés intellectuellement pour relever de grands défis.
Évidemment, il va toujours trouver des gens pour dire que nous n’avons pas comme société les moyens d’investir dans ce genre de projets. Disons les choses simplement : c’est une idiotie! Le Canada est l’un des pays de l’OCDE qui investit le moins en recherche et développement et encore moins en recherche fondamentale. Dans bien des domaines, le ratio de dépenses par habitant entre le Canada et les États-Unis dépasse 5 pour 1!
Pourtant, malgré ce sous-financement chronique, les chercheurs canadiens arrivent à tirer leur épingle du jeu. C’est le cas en astrophysique, en science atmosphérique, en sciences spatiales et en recherche militaire pour ne parler que des domaines que je connais. Ainsi, il n’est pas rare de voir un chercheur canadien faire aussi bien (voir mieux) qu’une équipe américaine dix fois plus grande!
Le pire est que je n’ai guère d’espoir de voir les choses s’améliorer. En effet, les élections se gagnent en allant chercher le vote des épais de la fraction de l’électorat la moins informée, parce que c’est la seule que l’on peut faire changer d’idée. Cela est bien compris par les stratèges politiques.
C’est pourquoi on reste toujours pris dans les mêmes ornières, parce que pour se faire élire, on est absolument obligé d’utiliser des slogans et des recettes puériles pour résoudre des problèmes compliqués. Pour avoir fait moi-même de la politique, c’est malheureusement trop vrai.
Bref, on a les gouvernements que l’on mérite et on a que nous à blâmer.
«Ainsi, il n’est pas rare de voir un chercheur canadien faire aussi bien (voir mieux) qu’une équipe américaine dix fois plus grande!»
Nous étions en compétition avec un laboratoire de l’UCLA pour trouver un gène de la tomate résistant à la sécheresse. Nous étions deux, moi et le docteur Chen. Sous-équipés, il a même fallu quémander du matériel au Docteur Béliveau (Le Dr Richard Béliveau travaillait sur molécule antirejet extraite du rein) tellement on était sous financer.
Le labo du l’UCLA comportait 12 chercheurs et ne manquait d’aucun équipement.
Nous avons publié avant eux (2 jours) et nos résultats étaient plus significatifs que les leurs.
J’ai passé des nuits et des fins de semaine entières à faire des électrophorèses.
Tellement vrai.
En passant, pour compléter votre passage sur la « réserve de ciel étoilé », il y a eu une retombée économique importante, qui est systématiquement passée sous silence*: Les commerçants et municipalité qui ont été convaincus d’y participer ont découvert que le nouvel éclairage (concentré pour éclairer ce qui devait être éclairé et non pas tous azimuts) leur faisait faire des économies d’énergie substantielles.
En plus d’assurer un éclairage plus sécuritaire pour les passants (une histoire de zones d’obscurité voisinant des zones trop éclairées avec le système habituel).
*C’est fou comme les lobbys financiers « oublient » systématiquement toutes les retombées des dépenses publiques…quand elles ne vont pas dans leur poche. Là ils font preuve d,une imagination débordante pour y inclure et inventer tout ce qui peut, de près ou de loin, se rapporter à « leurs » projets, y ajoutant des « prévisions » loufoques.
Le problème est que la recherche fondamentale génère de la richesse non commercialisable. Je suis allé à une conférence donné par des biologistes, il y a quelques semaines, qui portait exactement sur le même genre de problème.
Il y a de l’argent public pour faire de la recherche commercialisable, mais pas pour la recherche qui enrichi la société de façon globale.
« C’est pourquoi on reste toujours pris dans les mêmes ornières, parce que pour se faire [lire], on est absolument obligé d’utiliser des slogans : » On a les gouvernements que l’on mérite. »
et des recettes puériles :
« On a que nous à blâmer ».
Vrai.
Gentil comme commentaire, mais vu que c’est le dernier paragraphe du texte, ce paragraphe n’incite pas les gens à la lire.
J’apporterais un gros bémol là-dessus.
Le système politique actuel ne permet pas aux citoyens de choisir vraiment dans un choix ouvert. D’une part le système électoral favorise le bipartisme d’une manière éhontée, poussant les électeurs à « voter stratégique » (« tout sauf le PLQ » ou « tout sauf le PQ »).
D’autre part, l’argent joue un rôle prédominant dans les campagnes électorales. De même que la concentrationd es médias (qui se réusme à deux gros empires (GESCA et Québécor), un petit royaume (les frères Rémillard: radio-poubelles et canal-V), ne laissant que Radio-Canada (en train d’être démentelé), le Devoir et une poignée de médias locaux encore indépendants comme contrepoids.
Et finalement, une fois élus, les gouvernements peuvent oublier leurs promesses et se mettre à l’écoute des lobbyistes plutôt que du bien commun. Aucun compte à rendre avant les prochaines élections, où les règles du jeu jouent contre la démocratie.
On a plus les gouvernements qu’on nous impose (avec un choix illusoire) qu’autre chose.
@P. Lagassé
Le mode de scrutin, c’est une chose qui peut aider. Si cela vous intéresse, ma préférence va au scrutin majoritaire équitable avec un proportionnalité différente en région qu’un milieu urbain pour facileter la transition.
Cependant, le mode de scrutin n’est qu’un élément mineur. Il y a toute une culture anti-élitiste en Amérique du Nord qui pose problème.
C’est clair que la question du financement vous touche. Avez-vous déjà songé à créer des organismes sociaux du genre association qui vous appuieraient financièrement («Les Amis des Étoiles», par exemple)? Dans notre système fédéraliste colonialiste basé sur le déni des nations et sur la prévalence du corporatisme, les communications et le quotidien politique leur appartient. La formation d’associations d’intérêt m’apparaît une façon de court-circuiter ce contexte.
Le financement de la recherche hors des institutions étatiques est très difficile. Si je me fie aux universités, les coûts d’opération des fondations sont des l’ordre de 10 % des revenus. Dans le cas de l’observatoire du mont Mégantic, cela voudrais payer quelqu’un à temps plein pour chercher de l’argent. Cela ne fait guère de sens.
De plus, les gens donnent rarement pour payer des salaires, mais pour acheter des équipements, ce qui fait que l’on ne s’en sort pas.