Depuis une dizaine d’années, les chercheurs se sont attaqués au problème de la détermination des facteurs qui rendent un aliment savoureux. Si apparemment, il s’agit d’un problème extrêmement complexe, ces recherches ont toutefois permis d’établir certaines bases théoriques.
En plus des cinq saveurs fondamentales – le sucré, le salé, l’amer, l’acide et l’umami –, il existe des milliers de composés organiques perçus par le sens du goût, mais surtout par l’odorat. Ainsi, un aliment peut contenir de 10 à 100 de ces substances volatiles qui déterminent son goût propre.
Or, par l’analyste statistique des grandes banques de données de recettes culinaires combinées à celle du contenu en substances aromatiques des aliments les chercheurs ont pu montrer que les recettes tendent à regrouper des aliments qui partagent les mêmes substances volatiles.
Par exemple, les fromages parmesan et mozzarella, le vin blanc et les tomates, qui sont à la base de la cuisine italienne, possèdent un grand nombre d’arômes communs. De plus, il a été montré en étudiant les recettes de cuisine précédant la découverte de l’Amérique, à une époque où la pomme de terre, de tomate, le maïs, les piments, les poivrons, les haricots, la courge, l’avocat, l’arachide, la sauge, la vanille et le cacao étaient absents des tables européennes, les cuisiniers construisaient tout de même leurs recettes en essayant de combiner des aliments avec des saveurs complémentaires.
Toutes ces observations semblaient indiquer clairement que les règles de pairage des saveurs ont des fondements théoriques solides. Seulement, il y a un problème. Si ces règles sont bien établies dans le cas de la cuisine occidentale, ce n’est pas dans le cas des cuisines asiatiques et en particulier de la cuisine indienne.
En effet, dans le cas de cuisine indienne, les recettes tendent à empêcher les combinaisons de saveurs semblables. Qui est plus cette différence semble se refléter uniquement dans le choix des épices, les autres ingrédients ayant un impact très mineur. Ainsi, des dix ingrédients favorisant un pairage négatif, neuf sont des épices : le piment de cayenne, le poivron vert, la coriandre, le garam masala, le tamarinier, le gingembre, la pâte d’ail, le clou de girofle et la cannelle.
Les auteurs de l’article supposent que le rôle des épices est une caractéristique héritée de la culture culinaire liée aux pratiques médicales. De plus, les épices ont des propriétés antibactériennes aidant la préservation des aliments. Consulté à ce sujet, François Chartier, sommelier réputé spécialiste du pairage des saveurs, émet aussi l’hypothèse que les épices étaient aussi utilisées pour camoufler le goût désagréable des protéines qui commencent à se détériorer sous l’effet de la chaleur. Dans ces conditions, le pairage négatif prend tout son sens.
Personnellement, j’y ajouterais une troisième hypothèse ; la saturation des capteurs biochimiques. En effet, contrairement aux aliments usuels, les épices sont extrêmement riches en arômes. Si dans le cas des aliments usuels, il convient de les combiner entre eux afin de produire une sensation forte, dans le cas des épices, ces dernières peuvent facilement saturer les récepteurs chimiques de sorte que cela ne sert à rien d’apparier des aliments pour amplifier la sensation, ce qui force à sélectionner d’autres arômes.
Qui sait? Peut-être que la compréhension du mystère de la cuisine indienne mènera-t-elle à la création de nouvelles recettes encore plus surprenantes.
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