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Pour plus de liberté d’expression lors du vote!

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Me voilà pris dans un sérieux dilemme : pour qui vais-je voter? En effet, j’habite la circonscription de Jean-Talon et il y a présentement une élection partielle. Normalement, les élections partielles ne soulèvent que peu d’intérêt. Or, en raison de la grogne contre les politiques du gouvernement, la bataille est beaucoup plus rude qu’à l’accoutumée. Ainsi, pas moins de 10 candidats se présentent à cette élection.

Si certains ne me disent rien, il y a quand même plusieurs candidats très valables, ce qui rend mon choix des plus difficiles. En effet, le candidat et chef d’Option Nationale est un ancien collège, le candidat du Parti Québécois, Clément Laberge est le mari d’une amie. Bien qu’un peu trop à gauche, l’idéologie de Québec Solidaire ne me laisse pas indifférent. Et puis, j’ai été approché par la Coalition Avenir Québec pour me présenter. Logiquement, je devrais appuyer leur candidat ou même le candidat du Parti Libéral qui est un ancien de la Coalition. Au moins quand je me présentais pour le Parti Vert du Québec, la situation est simple. Mais, depuis le virage fédéraliste-gauchiste-néoluddite-extragranola, c’est difficile pour moi de les appuyer. Ce n’est pas toujours facile d’être d’extrême centre.

Bref, me voilà face à un sérieux questionnement à savoir où placer mon vote. Il faut dire que la pluralité est l’un des pires modes de scrutin possible pour choisir un gagnant parmi une liste de choix. (Pour ceux qui se posent la question, c’est l’antipluralité -on vote pour le pire candidat- qui est le pire système possible). Sans compter qu’il incite fortement à voter stratégiquement, ce qui n’arrange pas les choses.

Déjà si je pouvais moduler mon choix, l’expérience de voter serait plus satisfaisante. La modification la plus simple serait de ne pas m’obliger à voter pour un seul candidat. Ce mode de scrutin, le vote par assentiment, permet une bien meilleure mesure du choix de l’électeur. Ainsi, Si avec le scrutin uninominal, j’ai droit à 12 options de vote (10 candidats + 1 vote annulé +1 bulletin blanc), avec le vote par assentiment, j’ai droit à 1024 façons différentes de voter.

Afin de maximiser la quantité d’information que l’on peut aller chercher de l’électeur, on peut lui demander d’ordonner les candidats par ordre de préférence.  Avec 10 candidats, cela donne 3 628 800 façons possibles de voter. Une fois cette information en main, il y a plusieurs façons de l’exploiter. La plus simple est d’allouer un nombre de points décroissant avec la position du candidat (1er 10, 2e 9, 3e 8, …) et de cumuler les points pas la suite. Cette approche est connue comme la méthode de Borda. On peut aussi comparer les candidats par paire afin de trouver celui qui bat tous les autres, c’est la méthode de Condorcet.

Il y a cependant un problème pratique avec les méthodes d’ordonnancement. Quand la liste de candidats devient longue, il devient très difficile pour l’électeur de produire un ordre décent des candidats. De sorte, qu’après quelques candidats, la mesure devient aléatoire. De même, on ne mesure pas l’intensité des rapports de supériorité entre les candidats. En effet, un candidat peut être très légèrement supérieur à l’autre pour la majorité de la population, mais totalement détesté du reste de la population de sorte qu’en moyenne le gagnant serait moins aimé de la population. Un bon mode de scrutin devrait éviter cette tyrannie de la majorité.

Une solution simple serait de noter les candidats plutôt que de les mettre en ordre. Le gagnant étant celui qui a la meilleure moyenne. Cette approche, cardinale au lieu d’ordinale, permet de s’affranchir de certains paradoxes classiques en théorie du choix social.  Notez qu’au sens strict, la méthode de Borda est une méthode cardinale soumise à des contraintes.

Si cela semble une évidence même, il y a tout de même certains problèmes. En effet, la valeur subjective du point supplémentaire entre 9 et 10 n’est pas la même qu’entre 0 et 1. J’ai d’ailleurs observé ce comportement dans un scrutin expérimental en 2007. La distribution de la valeur de votes suivait une distribution exponentielle (Comme l’avait d’ailleurs proposé Laplace). De plus, l’échelle de mesure influence le vote. En effet, une expérience française a montré que les résultats d’un vote avec l’échelle -1,0,1 n’était pas le même qu’avec 0,1,2! Un autre problème que je perçois, mais qui ne semble pas être documenté dans la littérature scientifique est que tous les profils de vote n’ont pas la même valeur, ce qui fait que le vote de chaque électeur n’a pas le même poids.

Ce problème fait dire à certains chercheurs, notamment Michel Balinski et Rika Lariki, qu’il ne faut pas additionner les scores individuels. Ces chercheurs ont d’ailleurs proposé un système, le jugement majoritaire, basé sur ce principe.  La procédure consiste à donner une évaluation qualitative aux candidats (typiquement 7 ± 2 niveaux en raison des limites cognitives déterminées en psychologie). Le niveau médian de chaque candidat servant à déterminer son score, la fraction des valeurs au-dessous ou au-dessus de ce score est alors utilisée pour séparer les égalités.

Le problème principal de cette méthode est qu’il s’agit d’un système électoral médian. Cela a pour conséquence de renforcer le pouvoir de la tyrannie de la majorité face à la minorité. Bref, quelques soi le mode de scrutin, on finit toujours par trouver un cas pathologique pour lequel un mode de scrutin va échouer lamentablement.

Je note au passage qu’en ingénierie des systèmes, pour faire les évaluations qualitatives et les analyses de compromis, on utilise en général une échelle à 7 niveaux (+++ à — en passant par zéro) et que lon additionne les points suivant une échelle de Borda (+3 à -3). Le questionnement sur la méthode portant plus sur le poids à donner à chaque paramètre ou à experts, que sur la méthode d’agrégation des votes. De plus, il est entendu que si deux solutions ont des résultats proches, qu’il convient de faire des analyses fines sur chacune d’elles pour les départager. Les institutions démocratiques n’ont pas ce luxe.

Cette constatation soulève d’ailleurs une question intéressante au sujet de la théorie du choix social. En effet, la grande majorité des travaux dans ce domaine sont construits autour d’arguments théoriques (Théorème, axiome, lemme). Les recherches expérimentales dans ce domaine sont récentes. Qui plus est, le mode de scrutin affecte l’état d’équilibre entre les partis. De sorte, que ces expériences sont nécessairement boiteuses, sauf dans quelques cas particuliers. Ainsi, les pays qui utilisent la pluralité  se retrouvent généralement avec deux grands partis et des grenailles (Loi de Duverger) en raison du vote stratégique. Alors que ceux qui utilisent la proportionnelle et se retrouvent avec une masse de partis significatifs (Loi de Gregory). Les pays ayant un système proportionnel présentent donc des problèmes plus intéressants du point de vue de la théorie du choix social. Sauf que dans la majorité des cas, il n’y a pas d’élections à un poste unique. On se retrouve donc dans une situation où la France avec son système à 2 tours et ses élections présidentielles présente un des meilleurs laboratoires pour les nouveaux modes de scrutin. Le Québec est aussi intéressant en raison de la fragmentation prononcée de l’électorat.

Personnellement, je crois que dans la mesure où l’on utilise autre chose que la pluralité, l’enrichissement de l’espace politique va faire converger les résultats des différents modes de scrutin vers une solution globalement similaire. C’est pourquoi j’ai toujours eu un petit faible pour le vote par assentiment. Son origine remonte à la République de Venise, où il fut utilisé de sans interruption de 1268 à 1797. C’est loin d’être le plus performant, mais c’est le plus simple à mettre en œuvre, car il ne demande la modification que d’un seul article de la loi électorale. Il est aussi complètement compatible avec la loi sur le financement populaire des partis politiques. De plus, dans l’état actuel des connaissances scientifiques, l’obligation de ne voter que pour un seul candidat pourrait être considérée comme une restriction inadmissible de la liberté d’expression.

Bien que totalement inapproprié pour former une assemblée, car il concentrerait les sièges dans les partis centristes, il devrait être utilisé pour les élections où il n’y a qu’un seul poste en jeu. C’est-à-dire les élections partielles et l’élection des maires.

Qui sait? Peut-être que le Québec est prêt pour cette réforme du mode de scrutin.

En attendant, il faut bien que je choisisse pour qui je vais voter.