Rarement, a-t-on vu une telle anticipation pour une découverte scientifique. Depuis des mois, les rumeurs annonçaient cette découverte sans jamais le confirmer officiellement. Les scientifiques concernés utilisant la rhétorique usuelle des militaires face à une question au sujet de projets secrets : nous ne nions, ni ne confirmons!
L’attente était donc énorme et les espoirs n’ont pas été déçus. En grande pompe, on a annoncé la première observation directe des ondes gravitationnelles. Bien que l’on attribue généralement à Albert Einstein, en 1915, leur prédiction théorique en 1915, historiquement, c’est le physicien français Henri Poincarré qui a été le premier à soulever cette hypothèse en 1905.
Les ondes gravitationnelles sont une conséquence de la théorie de la relativité générale. Alors que la théorie de relativité restreinte s’applique aux systèmes se déplaçant à une vitesse constante, la relativité générale s’applique aux systèmes accélérés, ce qui en fait aussi une théorie de la gravitation.
Le fondement de la relativité est que pour avoir des lois physiques cohérentes, il faut que la vitesse de la lumière dans le vide soit une constante. La conséquence directe est que l’espace-temps n’est plus rigide, mais déformable. Dans ce contexte, la gravité est expliquée par une déformation de l’espace-temps. Les objets suivants des trajectoires rectilignes, mais dans un espace courbe. Une des conséquences de cette théorie est la prédiction de l’existence d’ondes gravitationnelles. Il s’agit de déformation de l’espace-temps se propageant dans l’espace.
La difficulté ici est de détecter ces ondes qui sont tout à fait infinitésimales à moins de vivre à côté d’un trou noir ou d’une étoile à neutrons. C’est d’ailleurs par l’observation d’une paire d’étoiles à neutrons que l’on a eu la première preuve indirecte de leur existence. Ainsi, en 1974, Russell A. Hulse et Joseph H. Taylor découvrirent le premier pulsar binaire. Ce pulsar binaire est composé de deux étoiles à neutrons orbitant l’une autour de l’autre en 7,75 h. Or, cette période diminue avec le temps de façon mesurable. Cette réduction de la période est explicable par la perte d’énergie résultant de l’émission d’onde gravitationnelle. En fait, les observations concordent très bien avec les prédictions de la théorie de la relativité générale. Hulse et Taylor ont d’ailleurs reçu le prix Nobel pour cette découverte en 1993. Depuis, d’autres systèmes binaires ont été découverts, ce qui a permis de raffiner les tests de la relativité générale.
On avait donc de bonnes raisons de croire que les ondes gravitationnelles existent. Cependant, c’était là uniquement des mesures indirectes. Il faut dire que la mesure directe présente un défi extrême. En effet, les ondes gravitationnelles sont extrêmement faibles. Par conséquent, leur effet est extrêmement difficile à mesurer.
De toutes les approches permettant leur détection, c’est l’utilisation d’interféromètre qui semble la plus prometteuse. En effet, ce système optique fait interagir de la lumière avec elle-même de sorte que l’on puisse mesurer des changements de distance de l’ordre d’une fraction de longueur d’onde. Dans la plupart des applications scientifiques, cela veut dire quelques nanomètres. Or dans le cas des ondes gravitationnelles, ce serait encore bien trop grossier. La sensibilité nécessaire étant des dizaines de milliards de fois supérieure!
Il a donc fallu pousser le concept d’interféromètre à l’extrême. D’abord en construisant un interféromètre énorme avec des bras de 4 km de long. Ensuite, en recyclant la lumière des milliers de fois pour augmenter la précision de la mesure. Ce faisant, il a fallu fabriquer les miroirs les plus lisses et les plus réfléchissants de l’histoire.
Mais, là ne s’arrête pas la difficulté. L’interféromètre est l’instrument le plus sensible qui existe, mais il est sensible à absolument tout. De sorte que d’isoler le signal que l’on veut mesurer de tout le reste est un défi perpétuel.
Afin de minimiser les perturbations, on fait donc circuler la lumière dans des tubes sous vide (ce qui en fait la plus grande chambre à vide de monde). Afin de les isoler des vibrations, les miroirs sont suspendus dans le vide par de fines fibres de verre, elles-mêmes rattachées à un système d’amortisseurs qui fait 10 mètres de haut. De plus, dans le système LIGO deux détecteurs ont été construits à des milliers de km l’un de l’autre afin de ne pas être perturbés par les mêmes sources naturelles.
La complexité de la tâche était tellement énorme qu’il a fallu une bonne vingtaine d’années pour réussir à atteindre la sensibilité nécessaire à la détection d’un phénomène astronomique. En effet, les situations susceptibles de produire des ondes gravitationnelles dans la nature sont rarissimes, ce qui impose d’observer des régions énormes de l’Univers pour les détecter.
En l’occurrence, on a observé, le 14 septembre 2015, la collision de deux trous noirs massifs à 1,3 milliard d’années-lumière de nous. Les deux trois noirs s’approchant de plus en plus vite l’un de l’autre en émettant une quantité copieuse de radiations gravitationnelles. L’événement de moins d’une seconde a été détecté par deux détecteurs situés à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, ce qui a entrainé un léger délai de 7 ms entre les deux mesures en raison de la vitesse de propagation des ondes gravitationnelles qui est la même que celle de la lumière. L’analyse du signal indique que les masses des deux trous noirs étaient de 29 et 36 masses solaires. Ces derniers ont fusionné en un seul trou noir de 62 masses solaires, ce qui indique que 3 masses solaires d’énergie ont été émises sous forme d’ondes gravitationnelles! La puissance dissipée est totalement colossale : 50 fois plus que toutes les étoiles de l’Univers simultanément. Pourtant, sur Terre, la distorsion de l’espace-temps a atteint un maximum d’une partie dans 10-21!
Cette première observation est excitante pour deux raisons. La première étant que l’on dispose maintenant d’un moyen supplémentaire de tester la relativité générale en particulier dans le cas de champs gravitationnels très forts. Cela devrait permettre de faire le ménage dans les multiples théories de la gravité et ainsi aider les théoriciens dans leur travail. L’autre aspect excitant est que cela ouvre une nouvelle fenêtre sur le cosmos. En effet, en 1980, l’astrophysicien américain Martin Harwit a montré que les découvertes en astrophysiques dépendaient essentiellement du progrès des techniques d’observation. Or, d’après ses calculs, plus de la moitié des phénomènes astrophysiques observables dans le domaine électromagnétique ont déjà été découverts. De sorte que l’astrophysique pourrait devenir stérile dans quelques décennies. De plus, il ne faut pas oublier que 95 % du contenu de l’Univers (la matière et l’énergie sombres) n’interagit pas avec les ondes électromagnétiques.
L’utilisation des ondes gravitationnelle ouvre donc une nouvelle voie d’observation qui permettrait possiblement de découvrir et d’étudier de nouveaux phénomènes dont on n’avait pas soupçonné l’existence jusqu’ici.
Nous vivons à une époque excitante!
P.S.: La masse des trous noirs est elle-même intriguante. En effet, la formation de trous noirs aussi massifs n’est possible qu’à partir d’étoiles très massives ayant des vents stellaires très faibles. Une situation se produisant uniquement que lorsqu’il y a très peu d’éléments lourds dans le gaz interstellaire. Il s’agirait donc du premier signe visible des étoiles de population III, soit les toutes premières étoiles s’étant formées dans l’Univers.
Excellent billet sur une découverte majeure bien qu’attendue! En plus d’ouvrir la voie de l’astronomie gravitationnelle, cette découverte est en fait multiple: première observation disons « directe » de trous noirs, premier signe visible des étoiles de population III.
Aussi merci de donner un peu de crédit à Henri Poincaré (pas Poincarré) Oups! Poincaré mériterait une plus grande reconnaissance de son travail, sans contester le mérite d’Einstein!
En fait, c’est une découverte inattendue. Personne n’avait modélisé des paires de trous noirs de 30 masses solaires. De sorte, que le signal était beaucoup plus fort qu’attendu. Si bien, qu’il a fallu un bon mois pour que les chercheurs se convainquent qu’il ne s’agissait pas d’un canular.