Tempête de neige sur Québec, ce matin. Les chutes de neige abondante et les vents forts ont enseveli la ville. Avant même de penser emprunter la route, il faut d’abord passer une demi-heure à déneiger l’entrée de la cour jusqu’au milieu de la rue afin de sortir la voiture. Évidemment, le seul endroit où il est possible d’envoyer la neige est contre le vent. De sorte que la moitié de ce que l’on déplace nous revient à la figure presque immédiatement, telle une version nordique du mythe de Sisyphe.
Après avoir réussi au prix d’un intense effort physique à sortir la voiture de la cour, on finit par atteindre les petites rues presque impraticables. Là, tout l’art de la conduite repose sur le contrôle de l’accélérateur. Impossible d’accélérer, car le freinage est virtuellement inexistant; impossible de ralentir, car c’est l’enlisement garanti. Voilà une belle image allégorique pour discuter de l’innovation au Québec.
L’innovation est une espèce de mantra que les leaders politiques et économiques ne cessent de répéter, visiblement sans vraiment en comprendre la signification. Pourtant, bien que l’innovation soit au cœur du discours public depuis plus d’une génération, en pratique, elle ne progresse pas bien au contraire. En effet, les dépenses en recherche et développement diminuent au Canada depuis l’an 2000 et depuis 2007 au Québec. Ainsi, le taux est passé de 1,7 % en 2006 à 1,3 % en 2013.
Il faut dire que la structure industrielle n’aide pas. Le secteur primaire ne faisant pratiquement pas de R et D, l’essentiel de la R et D se concentre dans quelques entreprises très innovantes. La première en lice est Bombardier, dont la division aéronautique produit a elle seule près du quart de la R et D québécoise. Pis encore, quasiment toute la recherche au Canada est produite par les universités ou en collaboration avec les universités, de sorte qu’il ne se fait presque plus rien en entreprises.
Il faut savoir que cette collaboration est fortement encouragée par de généreux programmes de subventions de toute sorte. De plus, entre vous en moi, quand pour un coût inférieur au salaire d’un concierge, vous avez accès aux talents d’un brillant étudiant, à la littérature scientifique et à de l’excellent équipement de laboratoire, vous seriez stupide de vous en priver.
Le problème est que ce système, bien qu’il soit très avantageux pour les entreprises, a pour conséquence perverse qu’il n’existe pratiquement pas de débouchés en dehors du système universitaire pour les diplômés des études supérieures, sauf chez les entreprises qui ont contribué directement à leur formation. Un de mes contacts d’affaires a décrit cette situation comme une voiture équipée d’un V12 turbo, mais avec une carrosserie de Lada. Il y a un potentiel énorme de disponible, mais il est inutilisable pour des raisons structurelles.
Ce qui est inquiétant, c’est que les finances des universités québécoises sont précaires. Déjà sous financées par rapport aux autres universités canadiennes, les luttes étudiantes du printemps érable ont eu pour effet d’exacerber la situation. En effet, les associations étudiantes se sont attaquées aux directions universitaires, ce qui a donné une image d’incompétence à ces dernières. Cette image dégradée a permis au gouvernement de couper un peu plus dans un système qui n’a aucune marge de manœuvre sans quasiment aucun risque politique. Le seul moteur d’innovation du Québec se trouve donc au bord de l’asphyxie.
Mais, tout cela n’est que le symptôme d’un problème plus fondamental. En effet, l’innovation c’est d’abord et avant tout une question d’une culture de la créativité et de la prise de risque. Une culture qui est marginale au Québec.
Entre les grandes entreprises qui évoluent à la vitesse de la dérive de continent et les petites entreprises familiales pour qui l’austérité est une vertu, il n’y a guère de place à l’innovation. Et, il ne faut pas plus compter sur les gouvernements, chez lesquels la vertu cardinale est l’obédience à l’autorité.
En matière de gestion, on peut choisir de maximiser les profits ou de réduire les dépenses. La première approche demande de concevoir des produits à plus grande valeur ajoutée et de maximiser la chaine de valeur, alors que la seconde travaille que sur la réduction de coût et souvent de façon très simpliste.
Or, la seconde philosophie est largement dominante au Québec. De plus, on exige des résultats à très court terme de sorte que tout ce qui ressemble à un investissement tend à être repoussé aux calendes grecques. Parfois, cela tombe carrément dans l’absurde.
Dans le domaine de l’efficacité énergétique, la norme est d’exiger des temps de retour sur l’investissement de moins d’un an! Si votre projet a un temps de retour de 18 mois, c’est bien trop long pour l’industrie. J’ai même eu vent d’une situation où un projet avec un temps de retour de six mois a été refusé parce qu’il n’y avait pas de subvention à la clé! Et là, on parle d’isolant et d’autres technologies basiques. On est loin des robots industriels et des mégadonnées.
Un collaborateur m’a expliqué que beaucoup de patrons préfèrent gaspiller des millions en énergie et inefficacité de production par manque d’investissement, parce que tout ce qu’ils connaissent c’est de faire baisser les prix et les salaires, ce qui donne des résultats garantis à court terme. La même culture d’évitement du risque les amène à refuser l’adoption d’une technologie à moins que les compétiteurs l’aient déjà fait avec succès.
Or, innover c’est se planter souvent de façon contrôlée. Le problème est que le québécois moyen est l’émule du troisième serviteur dans la parabole des talents (Mathieu 25:14-30, Luc 19:12-27), ce qui enterre la fortune qu’on lui a confiée de peur de la perdre plutôt que de tenter de la faire fructifier.
Innover, c’est à peu de chose près, comme démarrer une nouvelle entreprise. Dans le domaine du capital de risque, il existe la règle du 4,3,2,1. Dans des entreprises en démarrage, 4 sont des pertes totales, 3 ne font pas vraiment de rendement, mais ne perdent pas grand-chose. 2 font un rendement en % et une remporte 10 à 100 fois la mise. Cette règle correspond à peu près à ma théorie personnelle basée sur le théorème de Shannon qui veut que de façon optimale 35 % de recherches échouent. Pis encore, l’innovation prend du temps. Des années peuvent s’écouler entre un concept et un produit commercial, ce qui est psychologiquement inacceptable pour bien des gestionnaires.
Je doute que les politiques gouvernementales présentes et futures, qui consistent toujours à subventionner à outrance la R et D, puissent changer quoi que ce soit à cette culture du résultat immédiat et facile. Je crains donc que le Québec soit condamné à s’embourber à la moindre difficulté économique. Entre temps, ceux qui comme moi croient à l’innovation partagent un sentiment de faire du surplace, tout en ramant comme des fous. Qui sait, peut-être qu’un jour la démographie jouera en notre faveur? L’espoir fait vivre.
P.S. Oracles de l’internet. Parmi les pages suggérées par Google à partir du titre de ce billet, il y en a une sur le moteur-roue et une sur une machine qui fournit de l’énergie libre, deux mythes technologiques. Le message n’est que trop évident.
En effet…. Il existe une main d’oeuvre universitaire très qualifiée et abondante pour réaliser de beaux projets d’innovation dans les entreprises québécoises de tous les secteurs et de toutes tailles. Mais le contact entre le milieu académique et le secteur industriel ne se fait pas….l’engrenage ne fonctionne pas!
Pourquoi?
D’abord, pour trouver une entreprise »preneuse », se pourrait-il qu’au lieu d’utiliser la philosophie »PUSH » pour apparier les entreprises aux »académiciens nouveaux gradués », il faudrait utiliser la philosophie »PULL », soit, de former des candidats qui répondent aux besoins »manifestés et demandés » par les dirigeants d’entreprises? Est-ce que les universités travaillent avec les propriétaires d’entreprises pour mieux comprendre leurs demandes et développer des affinités?
De plus, nous avons décidé collectivement dans les dernières années d’investir dans l’industrie du savoir. Mais, un problème important est le déclin du nombre d’industries manufacturières au Canada depuis 15 ans. Les universités forment beaucoup de gens très qualifiés, mais les postes dans l’industrie pour qu’ils entament leur carrière ne sont pas au rendez-vous. Les sièges sociaux d’entreprises canadiennes préfèrent souvent implanter leurs usines là où la main d’oeuvre est moins chère et plus abondante, soit à l’extérieur du Canada. L’exode des industries constitue une perte d’opportunité , qui aurait pu permettre à nos universitaires québécois de mettre en pratique leur » savoir » dans les industries tout en contribuant à l’économie, à la prospérité du pays et à la création d’emploi. Au contraire, dans les pays où s’implantent ces usines, ce sont de belles opportunités d’apprentissage pour leurs travailleurs qui deviennent éventuellement des concurrents ;
Finalement, le programme RS&DE qui était un moteur et la source de financement la plus importante de la recherche et développement dans les entreprises canadiennes depuis sa création en 1985, n’est plus accessible aux entreprises qui veulent réaliser de la R&D pour développer de nouveaux produits de consommation et de nouveaux procédés concurrentiels, s’il n’y a pas d’avancement au niveau des connaissances scientifiques ou »haute technologie ». L’ objectif du programme RS&DE qui était initialement d’encourager les entreprises à faire de la R&D pour les aider à être plus compétitives est devenu, depuis 2008, un programme pour stimuler l’avancement scientifique et le développement de haute technologie . Mais n’oublions pas que le but (the goal) de toute entreprise est de »faire un profit » et non de la recherche et développement. Si on ne comprend pas ça, ce sera difficile de placer des candidats dans les industries. Il faut comprendre que la technologie qui a le niveau technologique le plus élevé, n’est pas nécessairement le meilleur choix.
Si la roue de l’engrenage de la R&D académique tourne dans le vide…. Il faut améliorer le contact … avec la réalité et les besoins des entreprises.
Pour répondre à votre question, les universités sont déjà en contact avec l’industrie. Il y a des bourses spécifiques pour cela. De plus, il y a plein de labos universitaires qui sont essentiellement une annexe d’entreprise privée.
Il y a eu un resserrement des critères pour les subventions RS&DE, parce que ce n’est pas à l’état de payer pour l’amélioration continue des produits. Les subvention de R&D servent à minimiser le risque technologie. S’il n’y a pas de risque technologique, c’est pas de la R&D, c’est pas difficile à comprendre.
Le coeur du problème est que la connexion entreprise-université est très difficile à faire, s’il y a personne qui fait de la R&D en entreprise.
Merci pour cet excellent article qui permet de mettre en relief l’étrange relation amour/méfiance qui peut exister entre les milieux académiques, politique et industriels en général (et Québecois dans le présent exemple, bien que ce constat soir désormais généralisé).
Le système académique est présentement saturé (particulièrement dans les sciences biomédicales). La plupart des « étudiants » (en fait faux salariés déguisés) et professionnels, veulent s’exfiltrer du milieu et entamer un parcours dans leur domaine ou même dans un nouveau domaine, ce qui représente un énorme gâchis de connaissances et de ressources pour les universités mais comment les blâmer…Je rêve que les émissions grand publique – Découverte, Code chastenay ou autre, fasse une édition spéciale sur le parcours d’un chercheur de la maitrise jusqu’au poste de prof ou l’insertion extra-académique en présentant chiffres et données salariales et conditions de travail. C’est pas sexy mais cela devient vraiment nécessaire si on veut encore présenter de belles histoire de succès scientifique tout en demystifiant la vision que le grand publique a de la recherche (belles conditions de travail, perspective de carrière).
J’identifie 3 situations très problématique actuellement.
1/ Le discours des partenaires industriels ou politique…Comme pour tout discours nous subissons une hypocrisie éhontée. L’économie du savoir, le besoin de se positionner sur des produits a forte valeur ajouté, réduire notre dépendance aux matières premières etc… Devant ce discours optimiste (comme vous même le notiez), les bras nous tombent face au peu d’empressement des politiques, administrations, organisations et surtout industries a le mettre en pratique. Je n’ai jamais eu le sentiment que les laboratoires universitaires se faisaient « voler » leur étudiants comme cela peut-être le cas dans d’autres secteurs.
2/ La peur: les entreprises et les organisations ont juste peur de se tromper. On pourrait quasiment parler d’anxiété industrielle généralisée. Dans une culture omniprésente de réduction des coûts et de maximisation des profits imposés par les administrateurs essayer c’est trop demander, trop effrayant, hors cadre. La recherche académique a énormément perdu en créativité et paradoxalement augmentée ses coûts de fonctionnement depuis l’introduction de techniques managériales d’évaluation des rendements et de la performance, bref on a transposé les problèmes des entreprises et de leur R&D dans le publique et on s’étonne d’avoir les même conséquences… (mais là encore on pourrait en parler longtemps). Bref la peur cela paralyse.
Ceci amène à son corollaire le point 3/ Les ressources humaines et les administrateurs. Ceux-ci ont pris une importance grandissante dans le devenir de nombre d’entreprise et se font de plus en plus l’écho des peurs sous-jacentes vis a vis de la technologie et de la recherche (notamment universitaire, mechant hippies;). Celles-ci adoptent bien souvent un comportement stéréotypée ou au mieux ne comprennent juste pas les réalités et sous-estiment bien souvent les capacités d’adaptation des personnes travaillant ou ayant travaillé en recherche et le potentiel de croissance et la valeur ajoutée que peuvent apporter des gens passionnés pour ce qu’il entreprennent et cela même en dehors du R&D. Une vision, la capacité de formuler des hypothèses et de les valider quelque soit le domaine cela n’a pas de prix. Combien de postes et annonces ai-je vu pour lequel on demandait un PhD (pour se donner l’impression de viser haut) avec une (petite) experience de gestion et qui finalement fini avec un technicien ou un employé avec un diplôme en gestion, ce qui est bien souvent rassurant à court terme mais le problème demeurera bien souvent (et l’annonce de réapparaitre assez vite).
Bref au plaisir d’encore livre vos billets.
Votre intervention résume à peu de choses près, tous les commentaires que j’ai reçus des gens qui sont des innovateurs. Tous mon confirmé qu’ils frappent un mur quand vient de temps de parler d’innovation avec les entreprises.
Effectivement, le gaspillage de ressources humaines est incroyable. Il en coûte 1 M$ pour former un Ph.D.! Si la société ne l’utilise pas correctement, c’est autant de ressources à la poubelle. Inutile de vous dire, qu’il y a une haine généralisée des ressources humaines chez les innovateurs qui sont totalement incapables de détecter le potentiel d’un candidat.
En fait, le seul commentaire négatif que j’ai reçu venait d’un gestionnaire. Selon lui, les entreprises en n’ont rien à cirer des connaissances, mais sont uniquement intéressé à des produits vendables. Il y a donc aucun intérêt pour la recherche et le gouvernement devrait absolument payer toute la R&D.