Dans la série, cela donne quoi d’avoir un doctorat en physique.
Au début de l’été, ma sécheuse a rendu l’âme. Un matin, je mets le linge fraichement sorti de la laveuse dans la sécheuse, comme cela m’arrive 20 fois par semaine (2 préadolescents, 3 chiens, 2 chats, 4 aquariums cela salit pas mal). J’appuie sur le bouton de démarrage, mais il n’y a aucun signe de vie, aucun affichage, aucun voyant allumé. Ayant réparé l’élément chauffant l’an passé, je suis sûr de résoudre le problème. Je fouille sur internet et ramasse toute l’information sur les sécheuses ne voulant pas démarrer. Avec mon multimètre, je vérifie toutes les connexions. Tout semble fonctionner correctement. Il faut savoir qu’une sécheuse, c’est à peine plus compliqué qu’un grille-pain. Les modes de défaillance usuels sont liés aux thermostats de l’élément chauffant, aux interrupteurs et de temps à autre aux relais. Dans de rares cas, l’humidité peut entrer dans le circuit électronique et faire tout dérayer. Mais, c’était exclu dans mon cas, car tout était noyé dans le plastique.
Ayant épuisé les tests de base, je me suis procuré le manuel du technicien. Ce dernier est normalement placé à l’intérieur de la sécheuse, mais que j’avais perdu lors de la dernière réparation. J’ai alors suivi toutes les procédures décrites et après avoir quasiment complètement démonté la sécheuse, j’en suis venu à la conclusion qu’elle était morte, probablement en raison d’une défaillance de l’électronique et qu’il valait mieux la remplacer. Comme elle n’était pas très vieille, je me dis aussi que j’ai probablement affaire à un cas d’obsolescence programmée. Soupçons renforcés par la présence d’un compteur de cycle selon le manuel du technicien.
Comme c’est l’été, pas de panique, la corde à linge fera fait le travail, jusqu’à ce que je trouve un bon rabais. Alors que l’automne arrive, je me suis acheté une nouvelle sécheuse. Évidemment, comme tout n’est pas simple chez nous, je dois démonter le cadre de la porte du sous-sol qui est trop étroite pour la faire entrer et pour faire sortir l’ancienne.
Finalement, je branche la rutilante machine : rien, nada, aucune réaction comme mon ancienne sécheuse !!! Je me dis que c’est probablement un problème de connexion, même si j’avais vérifié dans le passé. Je sors mon multimètre et j’examine la prise. Tout est parfait. Je vérifie aussi avec le fil de la vieille sécheuse et tout est beau. Par contre quand je vérifie du côté de la nouvelle sécheuse, la tension est bizarre du côté de l’alimentation électrique.
En général, l’électricité pour usage domestique est distribuée par un système à trois fils à une seule phase. Un transformateur alimentant un système à trois brins à une seule phase en entrée. La sortie est double et connectée au centre de l’enroulement secondaire. Cette connexion centrale fournit le neutre. De cette façon, on a deux alimentations à 120 V qui peuvent se combiner en 240 V, quand on a besoin de plus de puissance. Cette configuration a été brevetée par Thomas Edisson en 1883 et a été adapté pour le courant alternatif par la suite.
Selon les normes en vigueur Canada, une alimentation à 240 volts possède donc 4 fils : la prise de terre (vert ou dénudé), le neutre (blanc) et deux fils actifs (noir et rouge). On a donc normalement, 120 V entre les fils actifs (noir et rouge) et la prise de terre ainsi qu’avec le neutre et 240 V entre eux. C’est ce que j’observais au niveau de la prise, mais pas au niveau de la sécheuse, où il n’y avait que le fil noir qui semblait donner la bonne tension avec le neutre. Logiquement, c’était une indication qu’il y avait un court-circuit à l’intérieur de la sécheuse ! Ce n’est vraiment pas de chance !
Je rapporte la nouvelle au reste de la famille. Mon fils de 14 ans (celui qui s’est assemblé un ordinateur avec des pièces usagées) me dit que la prise n’est pas bonne. Ma femme me dit que la prise n’est pas bonne. Pourtant, je suis certain que c’est impossible parce que je viens de vérifier et que les tensions sont bonnes. Ma femme décide de faire venir son père, parce que je suis un incapable, inutile dans la maison. En attendant l’arrivée de mon beau-père, je fais un dernier test. Je débranche le fil noir de la sécheuse et j’obtiens une tension de 240 V, tel que prévu. Ouf ! L’honneur est sauf : c’est un court-circuit interne.
Quelques instants plus tard arrive mon beau-père. On regarde la situation ensemble. Je refais les tests et j’observe toujours le même problème de tension électrique. Mais, au fil de la conversation, une idée me traverse l’esprit. Dans le temps que j’enseignais au cégep, un étudiant avait amené son multimètre à l’examen et n’arrivait pas à la bonne lecture, car il était en mode batterie… Le doute m’assaille. Suis-je vraiment un idiot incapable dans la maison ? Est-ce que je pourrais perdre de l’électricité en amont de la prise ? On suit donc le fil de la sécheuse afin de détecter des problèmes jusqu’à une petite boîte de relai. J’ouvre la boîte. Bingo ! Le fil rouge est complètement calciné ! Là se trouvait le problème.
C’était un cas classique de point chaud, qui est une des principales causes des feux électriques. Il y avait un mauvais contact entre les deux fils. Comme la surface de contact était faible, cela entraine une surchauffe locale. La chaleur entrainant l’oxydation de la surface, la résistance augmente et, avec elle, la chaleur. Cela ne dégénère pas toujours, et un état stable peut s’établir. Nous occupons cette maison depuis 15 ans et l’installation électrique de cette prise est encore plus vieille. Cela pourrait donc arriver à tout le monde.
En entendant cette histoire, un ami enquêteur incendie m’a dit : « Tu as été chanceux, cela aurait pu partir un feu ». En effet, lors de l’échauffement, le métal peut alors atteindre une température considérable (>1200 °C) ; à partir de 200 °C, l’isolant se dégrade. Enfermé dans une boîte métallique ayant la capacité de dissiper de la chaleur, le risque reste minime sauf s’il y a de la sciure ou de la poussière dans la boîte électrique. C’est pourquoi, selon le code du bâtiment, les boîtes de jonction doivent être visibles et il ne faut pas mettre d’isolant combustible par-dessus.
Ce problème était invisible au multimètre, car il tire très peu de courant en raison de sa résistance interne élevée. Il n’y avait donc pas de chute de tension dans le point chaud. Cependant, l’électronique de la sécheuse offrant moins de résistance, presque toute la tension se perdait dans cette jonction, ce qui la rendait inopérante. Exactement comme mon étudiant qui utilisait sont multimètre en mode batterie, c’est-à-dire avec une faible résistance interne.
Maintenant, j’ai une sécheuse opérationnelle que j’ai acheté pour rien et une autre en pièces détachées qui peuvent servir à réparer la nouvelle sécheuse. À moins que je trouve le courage de la remonter.
Bonjour,
C’est pourquoi le meilleur moyen de tester une prise électrique reste ….. une lampe de bureau ou de chevet 🙂
Mais il faut reconnaître que la panne est vicieuse.
Cordialement
Dominique
Effectivement, mais c’est pas si simple avec une prise de 240 V en Amérique.
Cher Monsieur Dutil,
1) D’abord sachez que vous n’êtes pas le seul «castor-bricoleur» incompris par sa famille. Physicien de formation, j’ai la réputation d’être meilleur en théorie et avec un ordinateur qu’avec un marteau et un tournevis.
Souvent les connaissances en physique et la méthode scientifique nous aident à trouver une solution à une problème domestique, mais parfois elles nous en éloignent. Je dirais que le manque «d’expérience pratique» nous incite à chercher des explications trop compliquées à des problèmes simples.
2) D’autre part, votre billet constitue un excellent prétexte pour faire un peu de vulgarisation en physique.
J’ai l’impression que vous avez fait exprès pour ne pas parler de la loi d’Ohm, mais V = RI , n’est pas très méchant et tellement plus facile à conceptualiser. Surtout quand on parle de chute de tension, de résistance interne (faible versus élevée), d’intensité du courant et d’effet Joule (échauffement, W = RIeff^2).
Nous savons qu’il s’agit d’une loi empirique et que les vraies équations sont celles de Maxwell et plus fondamentalement encore celles de la mécanique quantique, mais la loi d’Ohm a le mérite d’être une excellente approximation et de se prêter à une belle analogie hydraulique.
En effet, cela ramène le tout à un problème de plomberie où la pression d’eau (analogue au voltage V, ou différence de potentiel en volts) amène l’eau à circuler selon une certaine intensité (analogue au courant électrique I en ampères ou coulombs/sec) dépendant de la résistance offerte par les tuyaux (analogue à la résistance électrique R en ohms).
L’analogie permettrait d’expliquer que les « points chauds » se trouvent aux points de jonction entre fils / tuyaux, particulièrement si la surface des contacts est réduite (tuyau de plus petit diamètre donc plus résistant, contact réduit des câbles multibrins, connexion pas assez serrée) et les matériaux différents ou dégradés (résistance associée à la formation d’oxydes).
Pour expliquer l’effet Joule, on peut assez simplement conceptualiser qu’une plus grande résistance entraîne un échauffement par interaction entre particules qu’on force à passer en grand nombre dans un plus petit espace. Ça se bouscule et ça s’échauffe… De plus la température va augmenter la résistance et il y a un risque d’auto-amplification.
3) Sur le plan pratique, serait-il envisageable de repérer les «points-chauds» d’une installation électrique avec de la thermographie infrarouge?
Scientifiquement vôtre
J’ai effectivement choisi de ne pas parler d’effet et de loi d’Ohm, ni expliqué pourquoi il n’y avait pas de tension sur le fil noir alors que c’était le fil rouge qui était défectueux. Le texte était déjà pas mal long alors j’ai du faire un choix éditorial.
Pour ce qui est des points chauds, l’utilisation de la thermographie infrarouge est une technique commune. C’est d’ailleurs un outil de base pour vérifier les circuits électroniques.
Vous avez sans doute raison! À trop vouloir expliquer, on finirait par faire un cours de « physique pour les nuls » (en tout respect, dans le sens de la série de bouquins jaunes) et cela prendrait des pages et des pages.
Merci pour la précision sur la thermographie infrarouge. À tout hasard, auriez-vous une idée d’un endroit et/ou des prix pour acheter / louer / bricoler une caméra infrarouge?
La seule caméra thermique abordable qui me vient en tête et un module qui se branche sur les cellulaires par FLIR. Sinon, la facture monte rapidement.
En passant, j’ai bien aimé votre schéma électrique d’un transformateur, cela m’a rappelé de bons souvenirs. Il est plus facile de sortir quelqu’un(e) de la physique que la physique de quelqu’un(e). C’est toujours agréable de parler sciences avec quelqu’un. Je n’ai pas souvent l’occasion. Merci pour vos chroniques.
Merci de vos commentaires. Dans les blogues, on peut aller plus loin dans l’analyse que dans les autres média de communication, ce qui est un gros avantage.
J’ai trouvé des caméras infrarouges FLIR et Seek Thermal à brancher sur téléphone intelligent (Android ou iOS). On parle de gadgets entre 300 et 450 $. Merci pour la piste…