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Trappist-1 : Pas facile la vie

Le système Trappist-1
Le système Trappist-1

Le gros avantage de ne pas écrire en panique pour respecter un embargo médiatique est que l’on a plus de temps pour faire une analyse à froid. En effet, depuis quelques jours, la planète entière s’enflamme pour une découverte astronomique des plus intéressantes : la découverte d’un système de 7 exoplanètes semblables à la Terre donc certaines se trouvent dans la région dite habitable. Cette nouvelle a créé une vague de spéculations énorme sur la possibilité de vie extra-terrestre. Maintenant que la poussière est retombée, on peut prendre le temps de bien discuter de ce phénomène.

Pour commencer, il ne s’agit pas d’une découverte de la NASA. En effet, le projet Trappist est belge. Et oui, c’est effectivement un jeu de mots avec la bière trappiste. Il s’agit de deux télescopes de 60 cm qui observent le ciel à la recherche d’exoplanètes. D’ailleurs, cette équipe avait annoncé la découverte de 3 planètes dans ce même système en mai dernier, ce qui a mené à une étude plus approfondie par une armée d’instrument.

Mais surtout, il s’agit d’abord et avant tout du travail d’une équipe internationale. Ainsi, en plus des deux télescopes du projet Trappist au Chili et au Maroc, le télescope de 3,8 m UKIRT situé à Hawaii, les télescopes de 2 m Liverpool et le 4 m William Herschell situés aux îles Canaries et le télescope SAAO de 1 m situé en Afrique du Sud ont participé à cette recherche. À ces télescopes terrestres s’ajoute le télescope spatial Spitzer de la NASA. L’ensemble de ces instruments ont contribué à la recherche, néanmoins l’utilisation du télescope spatial Spitzer, en observant de façon continue pendant une vingtaine de jours (19 septembre au 10 octobre 2016), a permis une détermination précise des paramètres orbitaux de ces planètes. Conséquence de l’usage de ces multiples instruments, les auteurs de l’étude proviennent de pas moins de 8 pays : Belgique, Grande-Bretagne, Suisse, États-Unis, France, Maroc, Afrique du Sud et Arabie Saoudite.

La méthode utilisée pour cette découverte est celle des transits, c’est-à-dire que l’on observe le passage de la planète devant l’étoile, ce qui entraine une baisse de l’intensité de l’étoile pour quelques heures. Or, pour une planète de la taille de la Terre, cette détection n’est en général pas possible à partir du sol, car le signal est de l’ordre d’une partie dans 10 000 pour une étoile de la taille du Soleil. Il y a cependant moyen de tricher en examinant les naines rouges. Ces étoiles sont beaucoup plus petites (et nombreuses) que les étoiles semblables au Soleil, ce qui augmente énormément la force du signal et rend la détection plus facile. Ces étoiles avaient jusqu’ici été peu observées en raison de difficultés techniques et de blocages psychologiques (On cherche des mondes semblables au nôtre).

Dans le cas de Trappist-1 (2MASS J23062928-0502285 pour les intimes), l’étoile centrale est donc une naine rouge (type M8 pour les maniaques). Elle est très petite (un dixième du diamètre du Soleil), très froide (2560 K) et très peu lumineuse (1900 fois moins que le Soleil) et a un âge d’au moins 500 millions d’années. Les planètes sont littéralement collées dessus de sorte que leur période orbitale va de 1,5 à 20 jours. Dans le ciel de ces planètes, il y aurait un immense soleil rose et les disques des autres planètes seraient facilement visibles à l’œil nu. J’imagine que cela faciliterait grandement la vie aux astronomes locaux qui auraient mis au point un système héliocentrique assez rapidement. Cependant, pour admirer le paysage, mieux vaut être daltonien : un soleil géant rose avec des océans violacés sous un ciel turquoise, c’est pas très ragoutant. Par contre, l’observation des planètes dont le disque est visible à l’œil nu et les multiples transits doivent valoir le détour.

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Vue d’artiste à partir d’une planète de Trappist-1

Étant donné la proximité de l’étoile, les forces de marée seraient énormes de sorte de la rotation des planètes serait synchrone avec sa période orbitale : leur soleil serait à peu près stable dans le ciel, comme la Terre vue de la surface de la Lune. Par conséquent, un côté de la planète sera toujours exposé au Soleil alors que l’autre serait toujours dans la noirceur. Inutile de dire que cela pose un certain défi pour toute forme de vie qui serait sur ces planètes.

De plus, la définition de zone habitable est on peu plus vague : c’est la région autour de l’étoile où il est susceptible d’avoir de l’eau liquide à la surface. Or, la température de surface dépend non seulement de la distance d’une planète à son étoile, mais aussi de la composition chimique et de la densité de son atmosphère dont on ne connait rien pour le moment. Tout ce que l’on sait, gràce à des observations du télescope Hubble,  c’est que les planètes b et c ne possèdent pas d’atmosphère d’hydrogène. En fait, les modélisations numériques indiquent que seules les planètes e, f et g pourraient avoir de l’eau liquide à leur surface dans la plupart des scénarios, sans exclure qu’il puisse exister des régions des autres planètes où l’eau liquide serait disponible. Ceci dit le rayonnement UV a probablement complètement déshydraté les planètes b et c et fait perdre une quantité d’eau équivalente à celle de la Terre à la planète d.

D’ailleurs, les rayons UV présenteraient un défi pour toutes espèces vivant à la surface de ces planètes. Si en temps normal, le flux UV d’une étoile aussi froide est bénin, ces dernières sont sujettes à de fortes éruptions qui font augmenter énormément le flux UV. Et ces dernières se produisent environ une fois par semaine sur Trappist-1. Si l’atmosphère de la planète contient le moindrement de l’oxygène, la couche d’ozone qui se formera protégera efficacement la vie à la surface. Sinon, il sera absolument essentiel que la vie se cache dans le sol ou sous la surface des océans pour ne pas être brûlée par les UV.

Or, l’oxygène sur Terre est produit par la photosynthèse et utilise la lumière visible qui est très faible pour une étoile aussi froide émettant le gros de sa lumière dans le proche infrarouge (au environ de 1000 nm). Sur Terre, les bactéries pourpres arrivent à utiliser de la lumière dans le proche infrarouge (1030 nm), mais ne produisent pas d’oxygène [elles cassent le sulfure d’hydrogène (H2S) au lieu de l’eau]. Les cyanobactéries, les organismes terrestres utilisant la lumière la plus rouge pour produire de l’oxygène, ont besoin de photons d’au moins 720 nm. Même s’il n’est pas exclu que la nature ait trouvé d’autres moyens de produire l’oxygène, c’est mal parti pour avoir une couche d’ozone sur ces planètes. Encore que le rayonnement UV et X pourrait rapidement éroder toute l’atmosphère des planètes surtout celles situées plus près de l’étoile.

Particularité intéressante, les planètes b à g ont des orbites résonantes, c’est-à-dire que leurs périodes orbitales sont dans des rapports rationnels (8/5, 5/3, 3/2, 3/2 et 4/3). Cette particularité indique qu’elles se sont formées plus loin de l’étoile et que, par la suite, elles ont migré vers le centre. Cela indique aussi qu’il y a de fortes interactions gravitationnelles entre les planètes, qui entrainent des perturbations significatives de leurs orbites. En mesurant ces perturbations, on est parvenu à mesurer approximativement leur masse. Celles-ci vont de 0,41 à 1,38 fois celle de la Terre, mais les incertitudes sont considérables. Puisque l’on connait les diamètres en raison des transits, on peut aussi calculer leurs densités. Si ces dernières sont largement incertaines, elles demeurent compatibles avec une planète faite de roche sauf pour la planète f qui est si peu dense qu’elle ne peut être qu’une planète océan. C’est-à-dire un monde largement composé d’eau avec aucune terre émergée.

De plus, étant donné la proximité des différentes planètes, les forces de marées planétaires sont loin d’être négligeables. Ainsi, la planète b subirait une force de marrée due à la planète c 40 supérieure à celle causée par la Lune sur la Terre ! Cela doit probablement avoir des conséquences géologiques, mais se produit relativement peu souvent, comparé aux marées lunaires. Pour les planètes potentiellement habitables, les marées sont grandes, mais pas excessives étant généralement inférieurs à 2 fois celle de la Lune sur la Terre, sauf dans le cas de la force de marée de la planète g sur la planète f  qui est six fois supérieure à celle de la Lune sur la Terre. Toutefois, si c’est effectivement une planète océan, cela ne sera par perceptible.

Il est aussi à noter que la proximité des différentes planètes favorise la panspermie. De sorte, que si la vie apparait sur l’une des planètes du système, elle pourrait relativement facilement ensemencer ses voisines. On pourrait alors se trouver avec plusieurs planètes avec de la vie dans le même système stellaire. De même, énergétiquement, la difficulté pour voyager entre les systèmes serait similaire à la nôtre, sauf que le temps de transit serait beaucoup plus court. Un environnement idéal pour un scénario de science-fiction donc.

En résumé, on ne sait pas encore grand-chose sur ce système des plus excitants. Cependant, on peut s’attendre à ce qu’une partie du mystère se lève rapidement. Tout d’abord, ce système a été observé par la mission Kepler dont la prise de mesures se terminera le 4 mars. Contrairement à la pratique habituelle, les données brutes seront relâchées immédiatement en pâture à la communauté scientifique en raison de l’intérêt particulier de Trappist-1. La précision des paramètres orbitaux des planètes ainsi que les estimations de masse devraient alors être grandement améliorées. Cela aura pour conséquence immédiate que l’on connaîtra beaucoup mieux la nature géologique des planètes dans un horizon de quelques mois.

Suivront ensuite d’autres observations par d’autres télescopes qui devraient permettre de mieux comprendre ce système. En particulier, on devrait avoir des contraintes sur les atmosphères de chaque planète assez rapidement gràce aux observations du télescope Hubble.. De plus, ce système fera aussi partie des premières investigations du projet James Webb, qui sera lancé l’an prochain, et qui devrait être en mesure de détecter relativement facilement l’atmosphère de plusieurs des planètes.

De plus, dans le futur proche, les nombreux programmes de recherche en cours et futurs trouveront certainement d’autres systèmes semblables et encore plus exotiques. Nous ne sommes donc pas au bout de nos surprises.