Au début du mois, l’Institut d’études canadiennes de l’Université McGill tenait un colloque multidisciplinaire nommé «La nuit urbaine : culture, sécurité, inclusion». Pour l’occasion, plusieurs intellectuels d’ici et d’ailleurs se sont réunis pour réfléchir sur la nuit et — encore plus intéressant — repenser la nuit montréalaise; source intarissable de fascination et de désaccords. Comme plusieurs d’entre vous, je ne pouvais y être, mais heureusement pour nous tous, Annie Billington, coordonnatrice aux relations avec la communauté et communications chez Culture Montréal, résume le tout sur Micro Culture. En voici les grandes lignes…
D’entrée de jeu, Billington rapporte que les penseurs invités — dont le géographe et chercheur français Luc Gwiadzinki de l’Université Joseph-Fourier de Grenoble — s’entendent et voient la vie nocturne non pas comme un monde parallèle ou encore une source de nuisance, mais bien comme une véritable ressource qui gagnerait à être exploitée. «La citoyenneté de nuit a de nombreux potentiels, dont celui de poser un nouveau regard sur les métropoles, de recréer le lien social et de stimuler de nouvelles aspirations collectives, en plus d’offrir un temps privilégié de découvertes, de plaisirs et d’expérimentations. Le développement culturel d’une ville, et la participation citoyenne qui en découle, passe donc immanquablement par une qualité de la vie nocturne soutenue, nourrie et encouragée. La pleine reconnaissance d’une citoyenneté de nuit permet alors aux citadins de jouir de leur droit à la ville “en continu”. Elle contribue également à consolider le sentiment d’appartenance», note Annie Billington.
Le «bruit», un problème commun…
Plus loin, la coordonnatrice rappelle que la fameuse «guerre aux bruits» n’est ni récente ni exclusive aux habitants de Montréal ou de Saint-Lambert. «Si la densité urbaine couplée à la popularité des pianos bas de gammes (“tin-pan pianos”) ont “rendu la nuit hideuse” aux États-Unis au début du XXe siècle, la proximité de logements (lieux de résidence) à des bars et petites salles de spectacles (lieux de socialisation) provoquent des éclats similaires de nos jours. À Vancouver, ce genre de tensions a vu naitre une panoplie de groupes d’intérêts aux visées divergentes tels que le “Right to Quiet Society” (la Société du droit au silence) et le “Safe Amplification Society” (la Société de l’amplification sonore sécuritaire).» Selon la panoplie d’experts rassemblée, la solution à ce problème n’est pas que dans les mains des autorités. «Est-ce un enjeu de générations? De classes sociales liées à l’embourgeoisement? Aujourd’hui à Montréal, si nous sommes loin des affres du maire Jean Drapeau et de son Comité de moralité publique, nous nous devons tout de même de “dépasser la notion de conflit en mettant l’individu au centre de la démarche”».
À titre d’exemple, Gwiadzinki abordera les traversées nocturnes qu’il a élaborées pour des villes comme Genève; des parcours où élus, partenaires, voire citoyens explorent — et expérimentent — la vie la nuit afin de, notamment, mieux la comprendre.
L’approche communautaire est un angle que Lionel Furonnet, directeur de la programmation du Divan orange, privilégie aussi. «En fait, ce qui se passe souvent avec les plaintes de bruit, c’est que l’exception fera la règle… comme pour beaucoup d’aspects dans ce monde; malheureusement!», muse-t-il en entrevue.
Au même moment, au Divan Orange…
Après avoir été apostrophés par un voisin le menaçant de sévir s’il organisait à nouveau des concerts de musique dite lourde dans sa salle de spectacles, Furonnet et son équipe ont tenté de régler la situation en isolant l’établissement — «J’ai fait tout ce que j’ai pu avec les moyens que j’ai», tranche Lionel au passage avant d’ajouter que le conflit concernait également l’arrondissement en plus du plaignant. «Tout le monde devait être impliqué, parce que le problème — ou la solution — ne vient pas toujours [de la salle de spectacle]. Il pourrait aussi être chez le voisin. Insonoriser chez le voisin pourrait donc être plus simple et moins coûteux.» Plus tard, le directeur de la programmation notera que certains résidents devraient être plus consciencieux lorsqu’ils s’installent près d’un tel lieu. «On peut trouver des compromis, mais pas au détriment des lieux, commerces et des gens qui y sont déjà», tonne-t-il.
Du même souffle, Furonnet fait valoir que ses plaintes sont non seulement coûteuses, mais peuvent avoir des répercussions sur le «son» de la fameuse scène locale. En revenant sur l’épisode où on l’a invité à «booker» des artistes moins tonitruants, Lionel s’emporte. «Ce n’est pas ça, faire de la programmation! Ce n’est pas ça s’occuper de la musique émergente! On ne peut s’associer qu’à un style particulier. Certaines salles le font et c’est bien, mais la programmation du Divan se veut éclatée et pour les gens qui tripent sur la musique. Je veux donc que ça soit le plus varié possible. Alors, me dire que je ne peux entrer tel genre de musique dans la salle parce qu’on deviendrait une nuisance dans le quartier, je ne suis pas d’accord. Le Divan participe à la vitalité du quartier!»
Une nuit recherchée…
Bien qu’une certaine incompréhension demeure, la chercheure locale Anouk Bélanger indique que la nuit montréalaise n’a jamais été aussi favorisée et étudiée. Elle rappelle que de nombreux documents et projets — allant du diagnostic exploratoire de la vie urbaine nocturne et de l’économie de la nuit du faubourg Saint-Laurent au projet pilote de sensibilisation implanté sur l’avenue du Mont-Royal en passant par la déconfiture entourant l’ouverture tardive des bars — ont été dévoilés ces dernières années; tout comme plusieurs installations mettant notamment en valeur les aspects festif et esthétique de la nuit (pensons au Quartier des spectacles ou encore au Plan lumière de Montréal).
No Sleep Till une rencontre publique!
Et, justement, comme les nuits de Montréal sont autant étudiées que célébrées et vilipendées, le collectif s’entend à l’idée d’un sommet en la matière, à l’image de ceux tenus dans d’autres métropoles récemment. Billington fait aussi valoir que «[s]’il existe à ce jour encore peu de politiques publiques de la nuit, plusieurs “outils” ont été développés dans le monde pour concerter et agir sur les nouveaux espaces publics nocturnes : Amsterdam et quelques villes françaises se sont dotés de “Maires de la nuit”, alors que certaines municipalités ont plutôt opté pour un Conseil de la nuit, ou encore pour l’adoption de chartes de la vie nocturne. La médiation semble également être au cœur de différentes stratégies utilisées pour aborder les éléments de tension propres à la cohabitation temporelle en milieu urbain.»
Justement, la médiation se poursuivra éminemment, car la coordonnatrice termine son résumé en annonçant que Culture Montréal, Pop Montréal, l’Institut d’études canadiennes de l’Université McGill et le Groupe de recherche sur la Nuit urbaine tiendront une rencontre publique le 18 septembre prochain au Quartier Pop afin de produire une déclaration collective sur la vie culturelle nocturne à Montréal. À suivre!
En attendant, chanson de circonstance…
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Il faut faire de la métropole culturelle québécoise la plus grande banlieue d’Amérique du Nord