Manif d’art / Entrevue avec Vicky Chainey Gagnon : L’art en forme de résistance
Dans le cadre de sa 7e édition, la Manif d’art célèbre le travail de plus de 120 artistes. Sous le thème de la résistance, l’art actuel prend d’assaut la capitale.
L’énergie de la communauté
C’est la commissaire Vicky Chainey Gagnon qui est derrière la sélection des œuvres qui seront présentées au cœur de la ville tout au long du mois de mai, sous la bannière Résistance – Et puis, nous avons construit de nouvelles formes. Poursuivant déjà depuis plusieurs années ses recherches sur l’engagement civique et l’art politique, la commissaire a été tout naturellement menée sur cette piste. «La résistance, c’est une énergie, une façon de faire. […] J’ai été très inspirée par un livre de Nato Thompson qui s’appelle Living as Form, où il regardait des pratiques engagées socialement. L’art qui se veut dans l’action, avec une communauté autour et de la participation. […] Résister, c’est agir et vouloir agir.»
Bien qu’un tel thème fasse résolument écho à la crise étudiante et aux mouvements sociaux tels que Occupy, l’idée prend racine dans la crise économique de 2008: «Les nouvelles formes, c’est en relation avec la crise, la rupture, en 2008, où tout a commencé à s’effondrer. On est encore dans cette crise-là […]. Quand on parle de nouvelles formes, en art, on parle beaucoup d’art plus communautaire, plus égalitaire. Je voulais proposer quelque chose qui apportait un peu d’espoir dans son titre», souligne Mme Chainey Gagnon, tout en insistant sur le travail de collaboration qui a guidé ses choix lors de l’élaboration de la programmation.
Pèlerinage artistique
Célébrer l’art actuel, c’est le mettre en vitrine mais aussi le rendre accessible au grand public. Aussi, cette année, plusieurs trajets sont suggérés aux spectateurs afin de leur permettre de découvrir de manière dynamique les expositions qui tissent la programmation, du MNBAQ jusqu’à Regart (Lévis) en passant par la Coopérative Méduse. De la même manière, les passants se feront surprendre par l’art dans plusieurs lieux atypiques, que ce soit à l’intérieur d’un abribus ou de l’espace exigu de l’ascenseur du Faubourg. «On voit du marketing et du branding partout: quel est le type de message auquel on a vraiment accès dans les sphères publiques? Réinvestir l’espace public avec des œuvres d’art, c’est ouvrir le dialogue et aller vers la population. Je voulais aller vers les gens et reconsidérer la façon dont on gère les espaces publics» affirme Vicky Chainey Gagnon.
Véritable quartier général de la Manif d’art, l’Espace 400e se fait, quant à lui, l’hôte de quatorze œuvres, réparties sur trois étages où se dessine un circuit conceptuel explorant les thématiques de la jeunesse, du pouvoir et des conséquences de la résistance. Choisis pour la profonde réflexion politique qui en émerge, le travail du collectif parisien Claire Fontaine, l’installation vidéo Roasted Globalization de Martin Bureau ainsi que les plus récentes créations sculpturales de Jean-Robert Drouillard, Des hélicos sur l’Îlot Fleurie, se trouvent notamment au sein de l’exposition.
Soulèvement adolescent
Ce troisième volet du projet de Drouillard, ayant déjà pris forme lors de deux expositions précédentes, met en scène une jeunesse politisée, active et «manifestive». Travaillant la sculpture sur bois grandeur nature, Jean-Robert s’inspire cette fois de son entourage pour modeler les personnages. «Au départ, quand j’avais énoncé mon idée, c’était avec mes fils et leurs amis. J’ai donc véritablement utilisé quelqu’un autour de moi pour le prendre comme modèle. […] J’ai vu mes deux fils s’intéresser à la politique québécoise et ça m’a interpellé», explique-t-il quant aux liens que l’œuvre entretient avec le mouvement étudiant de 2012 – c’est d’ailleurs son fils Cédric, masque à gaz au visage, qui apparaît sur la couverture de la présente édition. Le sculpteur ajoute toutefois que «ça fait écho à tous les mouvements de manifestation, à tous les pays. […] Je n’ai pas dessiné de carré rouge.» Le titre fait aussi mention de l’Ilôt Fleuri, un petit clin d’œil poétique aux manifestations du Sommet des Amériques.
Si Jean-Robert Drouillard insiste peu sur la dimension politique de son travail, il souligne que «faire de la taille directe en bois, à la manière des artisans du passé, et l’inscrire dans des sphères d’activité en art actuel, c’est déjà une forme de résistance.» Qu’elle soit engagée ou non, la démarche d’un artiste ne change donc rien à une affirmation sur laquelle s’entendent Jean-Robert Drouillard et Vicky Chainey Gagnon: choisir d’être un artiste professionnel, de vivre en marge, c’est là que se trouve le véritable acte politique.