Riel Benn : Détournement majeur
De son atelier au Manitoba, l’artiste sioux Riel Benn sensibilise les gens aux enjeux autochtones en détournant l’esthétique des produits culturels populaires, autant les magazines que les pochettes phares du rock. Portrait.
Vivant sur la réserve de la Première Nation Birdtail Sioux, au sud-ouest du Manitoba, Benn préfère la tranquillité de son atelier à l’effervescence de la vie urbaine. Sans téléphone, il peut compter sur sa sœur pour venir l’avertir lorsque quelqu’un l’appelle.
«J’ai habité cette réserve pratiquement toute ma vie», relate l’artiste mi-trentenaire, rejoint par téléphone chez ses parents, là où il demeure. «Au début de ma vingtaine, j’ai tenté de m’installer à Winnipeg, mais il y avait trop de distractions, trop de trucs à faire, trop de partys… Je préfère l’isolement, les fleurs et l’air frais à toute cette vie sombre.»
Autodidacte, Benn a amorcé dès l’âge de 16 ans un fascinant cheminement artistique, qui l’aura porté à créer plus d’un millier d’œuvres, dont plusieurs ont été vendues à des compagnies, des universités et des collectionneurs internationaux.
Si sa séquence surréaliste The Best Man, inspirée par Salvador Dali, lui a servi de tremplin pour se faire connaître sur la scène canadienne des arts visuels, c’est plutôt sa précédente série qui l’aura initié à l’art engagé. Amorcée en 1998, The Magazine Series, détournait l’esthétique des plus célèbres magazines américains (Vanity Fair, Time, Rolling Stone) pour mettre en valeur des symboles et figures emblématiques de la culture des Premières Nations.
«Cette année-là, juste dans ma réserve, il y a neuf personnes qui se sont suicidées, dont mon frère…» confie-t-il. «Ça m’a automatiquement amené à m’intéresser aux enjeux autochtones. Avant ça, j’étais uniquement animé par la pratique artistique à l’état pur. Je m’amusais à reproduire des œuvres de Dali, Picasso et Warhol.»
Critique et clins d’œil
L’influence du pionnier du pop art new-yorkais est d’ailleurs très perceptible chez Benn. Entre critique sociohistorique et clins d’œil postmodernes, son exposition Classic Rock revisite et détourne les pochettes phares du rock américain et britannique. «J’utilise essentiellement la culture pop pour amener les gens à s’interroger sur les problématiques autochtones», résume-t-il. «Avec ma relecture de The Wall, par exemple, j’aborde la question des pensionnats. Là-bas, on a voulu détruire la spiritualité autochtone en endoctrinant les jeunes avec une éducation oppressante. Pour moi, l’œuvre de Pink Floyd, c’est une critique anticonformiste de l’éducation britannique. Ça a beaucoup de liens avec mon propos.»
Dans un genre similaire, la missive London Calling obtient un tout nouveau sens, une fois revisitée par Benn. «London Calling, à la base, s’adressait aux vétérans qui s’étaient battus pour la terre britannique. Moi, j’ai voulu montrer l’envers du décor, en mettant en valeur tous ces Autochtones qui ont dû se battre pour l’Angleterre, mais qui, paradoxalement, s’étaient eux-mêmes fait voler leurs terres», explique le Manitobain.
Grand fan de rock, Benn rend au passage un hommage bien senti aux musiciens qui ont marqué son enfance et son adolescence. «Ce sont tous des groupes avec lesquels j’ai grandi», indique-t-il, avouant au passage ne pas avoir d’affection particulière pour la «nouvelle musique». «Ma grande sœur a joué un rôle important dans toute cette découverte. C’est elle qui m’a fait découvrir Bon Jovi à l’âge de 6 ou 7 ans.»
Un peu d’humour
À l’image de sa musique de prédilection, Classic Rock laisse également une place de choix à l’humour. Le tableau de Lola des Kinks, par exemple, montre un colonel Custer travesti. «Il m’amuse beaucoup, celui-là», relate l’artiste, enjoué. «Custer a massacré le Dakota. C’était un truand… Ça me faisait rire de le montrer sous un tout nouveau jour, déguisé en danseuse.»
Élaborée pendant cinq ans, entre 2010 et 2015, l’exposition montre donc plusieurs facettes d’un artiste qui désire, avant toute chose, faire passer un message.
Et à une époque où les enjeux autochtones réussissent plus que jamais à faire la une des manchettes et à amorcer des débats sociaux, ce qui n’était pas nécessairement le cas au début de la décennie, Classic Rock tombe à point.
«J’aimerais que les gens quittent l’exposition avec une meilleure compréhension de notre histoire», espère-t-il. «À tout le moins, j’espère qu’elle réussira à briser certains stéréotypes et idées préconçues.»
Classic Rock
Présenté partiellement durant Présence Autochtone au Quartier des spectacles
Du 3 au 7 août
Présenté dans son intégralité à l’espace culturel Ashukan (431, place Jacques-Cartier, Montréal)
Dès le 3 août
Merci beaucoup pour cet exposé sur Riel, qui introduit bien ce jeune artiste unique. J’ai fait sa connaissance au début de sa carrière professionnelle, et il a toujours démontré un esprit passionné et une vue originale des mondes et autochtones et internationaux. Je crois qu’un jour le Canada reconnaîtra son talent profond et que nous lui devrons un grand remerciement pour nous avoir si bien montré notre propre passé.