Catherine McInnis : Morceaux de viande
Arts visuels

Catherine McInnis : Morceaux de viande

« Couvrez cette [vulve] que je ne saurais voir. » N’en déplaise à Facebook, ses conditions d’utilisations qui font la joie de quelques utilisateurs zélés, Catherine McInnis a fait de l’ensemble d’organes génitaux externes le sujet de sa nouvelle série.

Catherine McInnis vit, travaille et étudie (elle complète actuellement une maîtrise en arts visuels) à Québec. En janvier dernier, elle présentait l’exposition L’odeur du sang me rit au Pavillon Desjardins de l’Université Laval, une série axée sur le motif du steak que certains, l’auteure de ce texte comprise, ont perçue comme une prise de position végétarienne. Pourtant, il n’en était rien. « C’est juste de l’anxiété qui sort! » C’est une réflexion par rapport au corps humain. Un sujet qui nous ramène à notre sort de pauvres mortel, à la fragilité de la chair et de la vie. « La viande te ramène à ta propre viande. C’est une phrase clichée, mais… c’est ça. C’est ce qu’on est. Un filet mignon de Catherine Genest, ça reste un filet mignon, là, on s’entend!»

Catherine la peintre, l’interviewée, entendons-nous bien, est drôle. Vraiment, vraiment drôle. On a également affaire à une artiste chevronnée qui allie thématiques contemporaines (des natures mortes nouveau genre) à une technique classique, d’une autre époque. Parmi ses influences : Rembrandt pour sa palette sombre, Caravage pour « le clair-obscur, les fonds noirs », Francis Bacon pour « la dégradation des corps » et Jean-Baptiste Chardin pour « ses scènes de boucherie ».

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PETITE VIANDE ROUGE, Catherine McInnis, 2015. Huile sur panneau de bois marouflé, 61 cm x 46 cm.

Un steak, c’est du muscle. C’est quelque chose qui est fort, qui est robuste. Mais au final, si tu mets un steak sur le comptoir toute une journée, la dégradation sera rapide… C’est super éphémère comme matériau. La vanité, anciennement, [c’était] beaucoup le crâne, la chandelle, le citron, les huîtres, les crustacés, des choses qui périssent rapidement. C’est pareil pour la viande. C’est sûr qu’il y a une référence directe à l’histoire de l’art.

Catherine McInnis

Elle « cuisine », c’est d’ailleurs son verbe de prédilection, ses couleurs, bien sûr, mais aussi sa propre colle de peau de lapin pour recréer la même recette de gesso (« un primer de luxe ») que Van Dyck, un baroque du XVIe siècle, utilisait pour ses toiles. Catherine, elle est de l’ancienne école. « C’est rare. Ça c’est perdu dans le temps. Les artistes se sont révoltés un peu contre l’académie, la tradition. Ils se sont mis à peindre avec n’importe quoi et ça continue encore. Il y en a qui revendiquent, qui disent que les matériaux ne font pas partie de leurs préoccupations, de leur démarche… sauf qu’au final, tu te retrouves avec des artistes qui ne savent pas avec quoi ils travaillent, qui ne peuvent pas prédire les effets dans le temps. D’un côté monétaire, tu te fais acheter par des collectionneurs qui vont, dans 5 ou 10 ans, devoir payer deux ou trois fois le prix de l’œuvre dans laquelle ils ont investi pour la faire restaurer! » Paryse Martin, « sa fée marraine » comme elle l’appelle tendrement, lui a enseigné ce respect du métier, à la fin de son baccalauréat.  Une leçon qu’elle s’efforce d’appliquer comme à contre-courant.

Empoignez-les par la chatte

Politique, pornographique, anatomique. La vulve est un symbole fort et l’objet de tristes dérapages (nos salutations distinguées à l’honorable Donald Trump!) dans la sphère publique. C’est de là que naissent les petits bébés. C’est aussi un objet de désir qui génère des actes criminels difficiles à prouver et, donc, à dénoncer.

Je me suis tournée vers les internets. Je me suis dit que s’il y avait une place où je peux trouver des vulves, c’était bien là. Mais étonnamment, non! Si tu tapes vulves dans Google, tu tombes sur des schémas, des dessins de vulves. […] C’est plate parce que, pour trouver une vraie vulve, faut tomber sur des images ultra dégradantes [issues de la porn]. Ça a été un constat vraiment triste.

Catherine McInnis

Forcément, et Catherine McInnis l’avoue elle-même, reproduire clitoris, méat urinaire, entrée du vagin, petites et grandes lèvres vient avec une connotation féministe. « Il y a certes de la colère, de l’instinct, mais aussi une grande fierté motivant ce choix esthétique; la femme est puissante, je suis entourée de guerrières, et ça, ça se célèbre. »

C’est un sujet qui résonne fort. Dans la foulée des manifs contre la culture du viol de l’automne dernier, entre autres, d’un genre d’éveil collectif. Un triptyque inaugurateur d’une série sur fond blanc, un trio de toiles qui sera présenté dans le cadre du prochain Canadian Bacon – collectif à succès qu’elle a cofondé avec ses bros.

Canadian Bacon
Du 21 avril au 5 mai
305 rue du Pont
(Vernissage le 21 avril dès 15h)

// Mise à jour: l’intégral de la série L’odeur du sang humain me rit est présentée à la Galerie des arts visuels (295, boulevard Charest Est) du 16 au 21 août. Sur rendez-vous seulement. 

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CHESHIRE CAT (1 de 4), Catherine McInnis, 2014. Huile sur panneau de bois marouflé, 76 cm x 76 cm.