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Quatre partis. Deux axes. Une élection.


Tout le Québec politique semble avoir pris pour acquis que des élections seront déclenchées le 1er août prochain. C’est fort possible.

Depuis des semaines les médias proposent les reportages habituels: qui se présentera, pour qui, où et comment. On décortique les jeux de coulisses, on analyse les annonces, les photos, les tweets et les statuts Facebook. On garde le score des démissions et des candidatures, des supposées « gaffes » et des prétendus « bons coups ». Tout ça en évitant, à quelques exceptions près, de discuter des idées et des options politiques en jeu.

Pour tenter de ramener un peu d’ordre et de clarté dans le paysage politique québécois à la veille des élections, il semble qu’on puisse situer les quatre principaux partis sur les deux axes majeurs de la politique québécoise: l’axe conservateur/progressiste, et l’axe gauche/droite.

L’axe conservateur/progressiste concerne ici la question identitaire.

Du côté conservateur, on trouve les défenseurs de l’héritage historique du Québec, qui se battent contre les assauts d’une menaçante modernité. Les conservateurs cherchent à accroître les mesures de contrôle linguistique, à réduire la présence de l’anglais partout (incluant à l’école), à freiner l’immigration ou à forcer les immigrants à adopter rapidement le « pli identitaire » québécois. Ils sont attachés aux traditions et nostalgiques des institutions de jadis. Ils se considèrent souvent plus Français que Nord-Américains et se méfient des Anglais et du libéralisme. Ils souhaitent que le gouvernement du Québec agisse autant que possible pour maintenir et imposer à tous une « culture nationale ». Ils considèrent régulièrement les « accommodements » comme déraisonnables. Ils s’accrochent au passé catholique du Québec (même quand ils ne pratiquent plus) mais sont méfiants face aux autres religions. Et ils détestent le multiculturalisme.

Contrairement aux conservateurs, les progressistes ne sont pas attachés à une définition fixe et immuable de « l’identité québécoise ». Sans nécessairement la renier, ils acceptent que l’histoire du Québec continue à évoluer, et l’identité des Québécois avec elle. Ils ne considèrent pas qu’il existe une « culture nationale » définie, à laquelle les nouveaux arrivants doivent rapidement et obligatoirement se conformer. Ils se sentent davantage Nord-Américains (ou citoyens du monde) que descendants des Français. Ils considèrent que la diversité enrichit le Québec et qu’elle le rend plus semblable à la planète contemporaine: hétérogène, fluide et interdépendante. Ils ne croient pas beaucoup à l’expansion de l’appareil étatique pour régimenter la langue et la culture. Ils acceptent sans amertume le rôle de l’anglais dans notre société et à travers le monde. Ils n’ont pas peur de l’immigration et ils détestent le monoculturalisme.

L’axe gauche-droite concerne le degré d’implication du gouvernement dans l’organisation sociale et économique d’une société.

Les gouvernements de gauche sont interventionnistes: ils réglementent, ils taxent et ils dépensent. Ils encadrent de près l’activité économique et ils créent des programmes sociaux qui redistribuent la richesse et/ou qui confient à l’État la responsabilité de certaines catégories de personnes (enfants en CPE, personnes âgées en CHSLD, etc). Ils aspirent à créer une société égalitaire. Ils créent des monopoles publics et limitent les initiatives individuelles. Ils s’opposent généralement au principe de l’utilisateur-payeur et préfèrent les services collectivisés. Ils se méfient généralement de l’entreprise privée et de la concurrence et confient une plus grande part de leur économie au secteur public.

À l’inverse, les gouvernements de droite sont en principe non-interventionnistes: ils réglementent moins, ils taxent moins et ils dépensent moins. Ils confient à l’État un rôle socioéconomique plus modeste, préférant laisser plus d’autonomie et de liberté aux citoyens. Ils considèrent que la création de richesse passe nécessairement par l’initiative économique personnelle et une économie qui récompense le travail, le talent et la prise de risques. Ils rêvent d’une société méritocratique. Les gouvernements de droite encouragent la responsabilité personnelle et sont généralement favorables à des mesures d’utilisateur-payeur. Ils valorisent la compétitivité et la performance et ont horreur du gaspillage et des structures bureaucratiques.

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Où devrait-on placer les différentes formations sur ces axes?

Québec Solidaire est un parti idéologique principalement défini par ses positions de gauche marxiste. Bien qu’il soit officiellement souverainiste et qu’il défende à l’occasion l’héritage culturel et linguistique du Québec, l’ADN de Québec Solidaire est fondamentalement progressiste. Co-dirigé par un Iranien d’origine, les positions de ses militants sont à des années-lumières de la Fédération des Québécois de souche. QS carbure à l’idéalisme globalisé et son discours identitaire se rapproche davantage de celui des citoyens du monde que de celui de la Société St-Jean-Baptiste.

Le PLQ est un parti actuellement dépouvu d’idéologie claire. Parfois plus à droite, parfois plus à gauche, il s’est surtout défini, historiquement, par ses orientations fédéraliste et multiculturaliste. Le PLQ était le refuge de l’élite francophone, des anglos et des immigrants, qui trouvaient dans son discours progressiste un rempart contre le conservatisme identitaire du PQ, opposé à « l’argent et le vote ethnique ». S’il demeure progressiste au plan identitaire, le PLQ d’aujourd’hui gouverne au centre-mou, apparemment intéressé avant tout par la poursuite de son intendance confortable.

Arrivée récemment sur la scène politique, la Coalition pour l’avenir du Québec s’est d’abord définie sur l’axe gauche-droite. « Gauche efficace » ou « gauche responsable » — au Québec ces mots signifient centre ou centre-droit. La CAQ souhaitait mettre la question nationale de côté pour réformer les réseaux d’éducation et de santé, les finances publiques, etc. Bien qu’elle s’étiquette volontiers de « nationaliste », le positionnement identitaire de la CAQ est délicat: pour réunir sous une même tente des libéraux et des péquistes modérés, elle devait trouver un compromis entre le progressisme des premiers et le conservatisme des seconds. L’exercice est périlleux — surtout si l’on se fie au dernier sondage, qui suggère que les Québécois ne veulent pas entendre parler de questions identitaires.

Finalement le PQ, un parti qui, comme le PLQ, s’est historiquement défini sur l’axe identitaire, oscillant entre le centre-gauche et le centre-droit selon la personnalité de ses chefs. Le PQ est le parti naturel de l’indépendance et du rêve de citoyenneté québécoise qui anime encore une base importante de ses militants, dont certains considèrent leurs détracteurs comme traîtres à la patrie. Soutenu par le milieu syndical et défenseur attitré du modèle québécois, le PQ d’aujourd’hui propose un programme officiellement de centre-gauche, mais qui devra sans doute être recentré (comme en témoigne l’abandon du carré rouge par Pauline Marois) pour rallier les conservateurs de droite et de gauche.

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Il va de soi que, dans le cadre d’une élection en chair et en os, plusieurs autres facteurs influencent le vote. Les qualités et défauts de candidats individuels. Le charisme des chefs. D’imprévisibles élans de sympathie ou d’antipathie populaire. La perception de corruption qui entache un ou plusieurs partis. Une polarisation de l’électorat sur une question précise ou des enjeux non-partisans.

On pourra même soutenir que ces questions déterminent l’issue du vote bien davantage que les orientations politiques fondamentales des différents partis.

Cela dit, pour une élection qui s’annonce comme la plus imprévisible et significative depuis plusieurs années, il semblait utile de positionner les partis sur les deux axes fondamentaux de notre politique, question de voir si, au moins là-dessus, tout le monde s’entend. (Probablement pas.)