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Gagnants et perdants de l’élection de demain

 

Avec quelques heures d’avance, voici en primeur les gagnants et les perdants de l’élection de demain. Il y aura des tonnes d’analyses du genre mercredi, mais c’est beaucoup plus amusant de les faire aujourd’hui.

Perdants: les vieux partis. Évidemment, tout peut encore arriver : raz-de-marée péquiste ou balayage libéral. Mais si l’on se fie aux sondages et à l’air du temps — et c’est tout ce qu’on a en ce moment — les vieux partis ne feront pas bonne figure mardi. On projette le PLQ troisième, avec moins de 30% d’appuis, alors qu’il avait fait 42% en 2008. Quant au PQ, on le place à 32 ou 33% dans les sondages, un score qui n’a pratiquement pas bougé de toute la campagne. Il avait fait 35% il y a quatre ans. Le PQ risque fort de former le gouvernement, peut-être même majoritaire, mais uniquement à cause de notre mode de scrutin désuet. Près de 25% des électeurs péquistes voteront apparemment pour le PQ sans conviction, uniquement de manière stratégique. Les tentes péquistes et libérales ont rétréci. La fatigue envers la « vieille politique » — son copinage, son manque de représentativité, son immobilisme, ses discours éculés — a constitué le thème dominant de la campagne, même si, pour plusieurs, l’alternative inspirante et réaliste se fait encore attendre.

Gagnants: les jeunes partis. Les militants les plus passionnés et enthousiastes de la campagne ont été ceux de Québec solidaire, d’Option nationale et de la Coalition pour l’avenir du Québec. On sentait chez eux un vrai désir de changement, presque une volonté de refonder le Québec sur de nouvelles bases (qui diffèrent dans chaque cas, évidemment). Toujours en se fiant aux derniers sondages, les scores additionnés de ces partis frôlent 40% des voix. Au plan électoral, ils s’effondreront peut-être mardi — encore une fois à cause de notre mode de scrutin — mais le feu qu’ils ont allumé chez plusieurs ne mourra pas de sitôt. À moyen terme, l’avenir de ces partis semble plus prometteur que celui du PQ ou du PLQ.

Perdants: Tous ceux qui avaient prédit qu’une campagne électorale estivale — « cyniquement » déclenchée par Jean Charest pour favoriser sa réélection — passerait dans le beurre et ne serait pas suivie par la population. C’est exactement l’inverse qui s’est produit. La campagne a été suivie de façon presque obsessive par les médias québécois, qui ont essentiellement oublié le reste de la planète pendant un mois. Nous avons eu droit à quatre débats, écoutés et commentés par des millions d’électeurs. Les réseaux sociaux ont été pratiquement monopolisés par la campagne, de même qu’une bonne partie des discussions de bureau et de famille. Je ne serais pas étonné que le taux de participation dépasse 70 ou 75% demain (il était de 57% en 2008). S’il y a une chose sur laquelle à peu près tout le monde s’entend, c’est que cette élection est la plus fébrile et la plus suivie depuis presque 20 ans.

Gagnante: Françoise David. Peu importe le résultat dans Gouin, la co-porte-parole de Québec solidaire s’est imposée durant cette campagne comme le meilleur atout de QS. Amir Khadir est un personnage plus polarisant, dont certains coups d’éclat nuisent à son parti. L’aisance sereine et ouverte de Françoise David a séduit bien des électeurs, incluant plusieurs qui n’adhèrent pas à l’agenda très à gauche de QS. La croissance du parti passe par un rôle accru pour sa porte-parole souriante et sincère.

Gagnant: François Legault. Il est encore possible que son parti s’effondre à la dernière minute, mais à peu près tout le monde convient que, des trois principaux partis, c’est la CAQ qui a mené la meilleure campagne, avec environ le tiers du budget de ses rivaux. Le PQ a commencé à 33% dans les sondages et n’a jamais bougé. Le PLQ n’a fait que perdre des voix pendant un mois. François Legault, qui avait amorcé la campagne avec seulement 21% d’appuis, a réussi à dépasser le PLQ et (si l’on croit les derniers sondages) à s’approcher à 4-5 points du PQ. Tout dépendant des maths électorales, la CAQ pourrait bien former l’opposition officielle et, à terme, supplanter le PLQ comme principal véhicule d’opposition à l’agenda souverainiste-syndical du PQ.

Perdant: Un mode de scrutin indéfendable, qui déforme significativement le vote populaire, qui incite au détestable vote stratégique, et qui gaspille le vote de milliers (millions?) d’électeurs à chaque élection.

Gagnants: les Anglos. Impossible de savoir s’ils voteront PLQ-comme-d’habitude, CAQ, ou même QS dans certains cas. (L’hypothèse d’un déplacement massif vers le PQ est, disons, improbable.) Peut-être même se diviseront-ils pour contribuer à l’élection du PQ. Mais on ne peut plus les prendre pour acquis et, pour une des premières fois de l’histoire du Québec, ils pourraient constituer le joker qui détermine l’issue du vote, plutôt que d’être automatiquement assignés au PLQ et qu’on passe à autre chose. L’image (dramatique) qui me vient en tête est celle de la dernière marche des Ents.

Gagnant: Internet. C’est devenu un cliché de le dire, mais pratiquement toute la game médiatique s’est déplacée là, et maintenant tous peuvent y participer. Des comptes Twitter aux vidéos YouTube, en passant par les débats sur Facebook et les guerres de blogues, c’est sur le web qu’on trouve maintenant le contenu le plus pertinent et le plus influent. Des blogues du Journal de Montréal et de l’Actualité (et ceux du Voir!), en passant par les initiatives web de La Presse, de Radio-Canada et les blogues de certains chroniqueurs « citoyens » , 90% de la substance politique et médiatique de cette campagne n’aura jamais été imprimé sur du papier ou diffusée à la télévision. Reste à voir si les politiciens et les grands médias sauront faire les choix et les investissements qui s’imposent.

Perdant: le mouvement étudiant. Il est fort possible que le PQ remporte l’élection et qu’il annule la hausse des droits de scolarité, ce qui constituerait une forme de victoire pour les étudiants grévistes. Mais dans les faits, la question des frais de scolarité a été largement absente de la campagne électorale. On a peu vu ou entendu les leaders du printemps dernier. Les partis ont accordé relativement peu d’importance à cet enjeu — le PQ allant jusqu’à se dissocier du carré rouge qu’il avait porté pendant des mois. C’était peut-être une bonne décision stratégique, mais dans la mesure où l’élection aura surtout porté sur d’autres sujets, il sera difficile pour le mouvement étudiant de revendiquer la victoire si le PLQ ou la CAQ sont battus.

Perdants: tous les citoyens qui souhaitaient une campagne axée sur des enjeux différents de ceux qui ont accaparé les 40 dernières années. Pratiquement aucun débat de fond sur le principe d’utilisateur-payeur, sur les missions fondamentales de l’État, sur la frontière entre la liberté et la responsabilité individuelle et collective, sur la modernisation de notre société et de notre économie, sur l’arrimage et la compétitivité du Québec avec le reste de l’Amérique et du monde, etc. À la place, on a parlé de loi 101, de référendum, de cadres financiers (mais très peu des problèmes économiques fondamentaux du Québec) et de potins insignifiants concernant des petites maladresses, des vieilles histoires et des détails techniques. Beaucoup de salissage et de caricatures; trop peu de débats sur les questions urgentes et essentielles. Dans ce cas-ci, il semble que ce soit la vaste majorité des électeurs qui soient perdants, jeunes et vieux, à droite comme à gauche.