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Québec veut sa bouffe de rue

Les résidents de la Vieille Capitale ont eux aussi le droit de manger des sandwichs gourmet debout sous la pluie battante d’octobre dans un stationnement à Sainte-Foy.

C’est le message que Christian Genest, propriétaire de Sushi Taxi, essayait de faire passer dimanche aux médias et aux quelques passants ayant abouti là par hasard (ou par appétit). Il possède l’un des rares, très rares camions de bouffe de rue à Québec, qu’il avait stationné pour l’occasion sur la route de l’Église. Dans un stationnement privé, bien entendu, parce que 3 pieds plus loin sur le trottoir et c’est illégal, dixit la Ville de Québec et son règlement datant de 1947 (ce n’est pas une figure de style que j’emploie pour montrer que c’t’un vieux règlement, c’est la date exacte). Et encore, il a pris là un risque. Parce que «terrain privé», aux yeux de la Ville, ça veut dire «essayer de contourner la réglementation».

Sous la pluie battante, dis-je, Christian Genest me raconte son souhait. Avant de s’embarquer dans un projet pilote pour 2014 comme celui de Montréal, avant de demander l’assouplissement de la réglementation, avant de créer une flotte de camions pour les grands événements, Christian souhaite une affaire ben ben simple: s’asseoir avec la Ville. Tâter les eaux (comme celle qui me coule dans le dos pendant qu’il me jase), voir s’il y a un minimum d’ouverture du côté des élus. Ce n’est pas grand-chose, et en même temps c’est beaucoup.

Car l’opposition à la cuisine de rue est forte à Québec. Les résidents sont heureux quand on les nourrit, peu importe si c’est sur roues, sur pilotis ou sur préfini. Mais les restaurateurs, eux, craignent la bouffe de rue non pas comme la peste, mais comme les augmentations faramineuses de taxes qu’ils ont dû subir dans la dernière année. Pendant que Montréal se pétait les bretelles d’avoir un projet pilote comme dans les «vraies» grandes villes de ce monde, le comité exécutif de la Ville de Québec fermait la porte à l’idée, et pas rien qu’un peu. Les raisons invoquées (et évoquées)? Le contexte différent, le besoin qui n’existe pas, et surtout, la concurrence déloyale.

Le fish-wich du Sumotori

Quand on utilise l’argument du bassin de population et du «contexte différent», Christian Genest se met à rire, et avec raison. Il donne sans cesse l’exemple de Portland où, avec un bassin de population n’atteignant pas les 600 000 habitants, on fait rouler plus de 500 camions. Faites le calcul: c’est presque comme s’il y en avait un qui se stationnait dans votre salon… Certes, avec un hiver rigoureux où ton café a presque le pouvoir de se transformer en slush le temps que tu prennes une gorgée, faire vivre des camions toute l’année n’est pas l’idée la plus viable qui soit. Par contre, ce n’est pas là le souhait de Christian: on commencerait d’abord par se concentrer sur les grands événements et les festivals. Imaginez la scène que l’Office du tourisme pourrait repiquer ad nauseam: des petites familles souriantes, la face dans un fish-wich éclairée par le clignotement du macaron du Festival d’été.

Et ces petites familles de carte postale qui dévorent leur sandwich, auraient-elles préféré s’attabler dans un restaurant pendant une heure au lieu de se salir le derrière sur un rebord de trottoir? Pas forcément. Christian soutient plutôt que «la cuisine de rue répond à des besoins d’alimentation rapide […]. Loin d’être une menace, elle est une extension du savoir-faire et du talent d’ici.» Même réflexion du côté de Rémy Charest, qui bloguait en août dernier à propos de cette différence gastronomico-mobile entre Québec et Montréal: «Qu’y a-t-il de déloyal dans le fait que l’offre soit sur roue plutôt qu’en salle? Voyons-y plutôt une saine émulation et une façon de rendre l’offre alimentaire plus dynamique.»

Christian propose d’ailleurs que l’intégration des camions soit balisée, afin d’éviter toute concurrence directe. Il n’irait donc pas stationner son Sumotori en face du Yuzu Sushi, soyez sans crainte. Concurrence, certainement, mais pas forcément déloyale. À mon humble avis, je ne crois pas qu’un camion fasse mourir un restaurant, même un mauvais restaurant. À preuve: même les bons restaurants n’y arrivent pas. Je n’arrêterai pas de visiter les établissements de qualité, peu importe où dans le monde et encore plus à Québec, et ce, même si l’on stationnait 30 camions devant mon bistro préféré. Mes choix seraient différents, mais en restant dans la même catégorie: bouffe rapide pour bouffe rapide. Un camion en forme de saucisse ne me fera pas dévier de ma trajectoire si je suis en route pour Le Panache.

Parlant de hot-dogs, j’ai demandé à Christian si, dans son projet de rêve, il y aurait de la place pour plusieurs offres alimentaires. C’était une critique récurrente du projet de Montréal, comme quoi bouffe de rue ne veut pas forcément dire sandwich fin à 12$. Enthousiaste, Christian me répond: «Amenez-en, des hot-dogs! Moi j’aime ça! Il faut de tout dans la bouffe de rue!» Et voilà. En trois exclamations, exit le cliché de l’élitisme gastronomique dont on a taxé le projet pilote montréalais. Et bonjour, fantasmes de pretzels trop salés, de burgers dégoulinants, de viande en brochette et de grilled-cheeses oranges, dégustés les pieds sur le bitume.

Je rêve déjà du retour de la tite musique du camion de crème glacée de mon enfance.