Primordial : Parmi les ruines, en une leçon d’histoire (Entretien avec A.A. Nemtheanga)
Primordial est une formation irlandaise de haut calibre. Respecté par tous les amateurs de metal surfin, le groupe n’est couvert que d’éloges lorsqu’un nouvel album est lancé ou lorsqu’une prestation scénique est offerte. Leur chanteur A.A. Nemtheanga, de son vrai nom Alan Averill, est une sommité dans le domaine du chant métalloïde. Sa voix épique accompagne son ton plus acerbe, donnant ainsi à Primordial cette teinte si distinctive. Journaliste de formation, j’ai ressenti un peu de stress lors de notre entretien, étant donné que cet homme a du métier! Entrevue avec A.A. Nemtheanga, chanteur de Primordial, qui se veut un féroce féru face à l’Histoire avec un grand H.
J’ai bien aimé le nouvel album. Exile Amongst the Ruins est un disque intéressant. Je crois que vous ne l’avez pas écrit et enregistré de la même manière que d’habitude, est-ce bien ça?
Cet album a été enregistré, de façon plutôt fondamentale, de la même façon que nos albums précédents. Il n’y a pas de différences drastiques. C’est encore nous, qui jouons dans une grande salle. Nous essayons encore d’enregistrer le plus possible en direct, comme lors d’un concert. Pas de click track. Pas de copié/collé. C’est certain que le choix de studio et les circonstances qui entourent l’enregistrement d’Exile Amongst the Ruins sont différents mais je ne crois pas que ce soit si différent que ça, quand j’y pense.
La couverture de l’album est vraiment particulière. Je l’adore! Elle se veut simple mais en même temps, plutôt violente. Nous pouvons ressentir la portion historique qui s’y rattache mais en même temps, on ressent la dimension guerrière qui en ressort. Où avez-vous trouvé cette image, ce concept ou juste, l’idée?
Comme tu peux le voir, c’est une photo qui provient d’un tombeau, de la Grèce. On ne voit plus le visage et les mains sont disparues elles aussi. Nous avions quelques autres idées pour l’album mais celle-ci semblait la plus efficace face au concept du disque. Comme de raison, on peut ressentir une certaine résonance avec la période actuelle, étant donné que nous vivons dans une période où l’on tente pratiquement de réécrire l’histoire. On réhabilite certains idéaux politiques et nous déboulonnons des statues en plus d’en abattre. Le passé, c’est un autre pays.
La première chanson sur l’album se nomme Nail Their Tongues. C’est un titre qui évoque beaucoup d’images. C’est très puissant et nous amène un bon nombre de scénarios. Que peux-tu nous dire face à son histoire en tant que tel?
Cette chanson parle de Martin Luther et de sa réforme. Je me suis grandement intéressé à tout ce qui touche l’histoire européenne du 15e et 16e siècle. Il y a tellement d’images qui émanent de cette période, ce qui est parfait pour un groupe de heavy metal. La force du langage de cette époque est puissante et il est rempli de métaphores très visuelles qui collent magnifiquement au metal. L’idée de cette pièce se traduirait ainsi : Est-ce qu’un un homme ou une femme peut savoir, qu’en proposant une certaine idée, un geste ou une action, qu’il aura une influence indéniable sur toutes les années à venir? Est-ce que Luther pouvait se douter qu’en traduisant la Bible en Allemand pour le commun des mortels, qu’en refusant de renoncer à ses écrits face à la Diète de Worms en 1521 ou qu’en confrontant directement les décisions du Pape Léon X, que ses faits et gestes allaient résonner dans l’Histoire humaine? Cette chanson souligne cette prise de décision, cette fraction de seconde qui fait qu’un évènement passe à l’histoire, ou non. C’est comme lorsque Gravilo Princip a tiré la gâchette pour assassiner François Ferdinand. Aurait-il pu se douter que cet évènement serait directement lié au début de la Première Guerre Mondiale? J’ai aussi choisi de visiter Martin Luther en relation avec son homonyme Martin Luther King, qui s’est probablement retrouvé dans le même genre de position, lors du 20e siècle.
To Hell or the Hangman est une chanson vraiment forte. Elle est même, positive. Généralement, je trouve que vos chansons sont remplies d’une certaine force mais en même temps, empreintes de tristesse. Mais sur celle-ci, j’avais ce genre de sentiment qui se décrirait comme ceci : « Nous avons combattu, nous avons vaincu! » plutôt que le classique « Nous avons combattu, nous avons perdu. Nos plaies sont béantes, nous saignons et sommes abandonnés sur le champ de bataille » avec lequel j’apprécie votre musique. Que peux-tu nous dire sur celle-ci?
Ce n’est pas vraiment ce que tu décris, pour être franc. Cette chanson décrit une histoire plutôt précise. En 1493, Walter Lynch a été pendu par son propre père, James Lynch. Il était le maire de Galway, sur la côte ouest de l’Irlande. Walter a été accusé du meurtre d’un Espagnol du nom de Gomez, jeune homme de la noblesse. Ce dernier était en visite au pays et visitait la maison familiale des Lynch. Sur place, Gomez est tombé en amour avec une jeune fille de l’entourage des Lynch, une dénommée Agnès. Fou de rage et jaloux à l’extrême, Walter n’a pas digéré que Gomez fasse de l’œil à Agnès et il a tué ce dernier. L’histoire se continue avec une bande de lyncheurs furieux qui ont pris les rues, qui ont obstrué la voie qui conduisait au lieu de l’exécution, ce qui fait que James Lynch a dû pendre son propre fils du haut d’une fenêtre ouverte, qui donnait sur la rue… Il a été pendu directement par le bord de la fenêtre. Cette chanson décrit l’histoire et l’exécution au travers du regard de Walter Lynch. C’est une quête face à un amour non partagé, non réciproque, qui possède une fin plutôt meurtrière. C’est une chanson étrange. Elle possède une cadence trop chouette pour un truc aussi glauque. Elle a pris quelques personnes par surprise mais il ne faut pas s’inquiéter, le reste de l’album est plutôt sombre!
Where Lies the Gods est une chanson où l’on retrouve ce côté celtique, plus particulièrement au début. Je me demandais si vous aviez cette introduction en tête lors que vous avez écrit la pièce ou bien est-ce un élément musical qui a été ajouté à la toute fin du processus d’écriture?
Ce mot… Celtique. Que veut-il dire en fin de compte? Les Celtes étaient une race, des gens, un peuple. J’entends souvent ce commentaire et de mon côté, il n’a pas de sens. Je comprends ce que tu essaies de me dire, ce que tu essaies de m’expliquer mais c’est une assertion plutôt obtuse qui se veut, très vague. Est-ce qu’elle a aussi des teintes qui l’identifieraient à The Sign of the Southern Cross? Il faudrait que tu en parles à Mick (Micheál O’Floinn, guitariste), étant donné que c’est lui qui l’a écrite.
Est-ce que tu es à l’aise avec l’étiquette black metal que certaines personnes apposent à votre musique. J’ai plutôt l’impression que Primordial, c’est plus large que ça au niveau musical.
Est-ce que nous sommes à l’aise avec ça? Qui a dit ceci? Primordial est un groupe qui provient de la seconde vague de black metal, influencée par la première. C’est donc la base, sa colonne vertébrale, face à ce que nous faisons musicalement. Je suis fier de ce fait et le serai toujours car c’est au cœur de ce qu’est Primordial. Le reste, ça vous appartient.
J’ai toujours voulu te poser cette question : Est-ce possible que le climat et la température irlandaise soit en partie responsable face à la sonorité de Primordial?
Bien sûr! Ceci peut sembler étrange mais vous pouvez clairement l’entendre dans notre sonorité, cette portion terreuse et détrempée, balayée par le vent. C’est identitaire dans un sens. C’est le même phénomène avec un groupe comme Rotting Christ de la Grèce ou Mystifier du Brésil. On retrouve aussi le froid et un tempérament glacial avec Immortal, et tous les autres groupes du nord. La géographie a une influence indéniable sur la sonorité des groupes, c’est évident. Et cette influence n’a jamais été quantifiée!
De notre point de vue, ici à Montréal, il est plutôt difficile d’imaginer la scène métallique irlandaise. Nous connaissons surtout Primordial et, comme de raison, Thin Lizzy. Je sais que de nombreux métalleux visitent régulièrement l’Irlande donc, comment se porte la scène dans votre pays?
Pour être franc, je ne le sais pas vraiment. Il semble y avoir de nombreux groupes mais pas énormément d’amateurs. Malthusian, Zom, Corscadh et Zealot Cult sont des noms de groupes qui me viennent à l’esprit pour ce qui est des groupes plus récents. Il y a les groupes plus âgés comme le nôtre, Cruachan, Abbadon Incarnate et Altar of Plagues. C’est plutôt curieux mais je n’ai aucun nom en ce qui serait en relation avec des petits joyaux obscurs des années ’80. Mais en gros, peu importe ce qui se passait ailleurs sur Terre, ça ne se passait pas chez nous!
En guise de conclusion, crois-tu qu’il serait possible que Primordial puisse venir en concert, ici, à Montréal? Peut-être pour le Quebec Deathfest?
Bien sûr, pourquoi pas? Ça fait vraiment longtemps! Le prix des billets pour un vol entre l’Irlande et le Canada est tellement bas, ce serait parfait. Il faudrait vraiment y retourner, ça fait vraiment trop longtemps!
Le nouvel album Exile Amongst the Ruins sera disponible ce vendredi, le 30 mars!
https://www.facebook.com/primordialofficial
[youtube]b7-FYDMtqo8[/youtube]