Khemmis : Entretien avec Ben Hutcherson (guitariste et chanteur)
Mardi soir, la formation américaine Khemmis était de passage à Montréal. Fier de son nouvel album Desolation, le groupe en était à sa seconde visite en moins d’un an. J’ai profité de leur passage pour piquer un brin de jasette avec Ben Hutcherson, que nous devrons bientôt appeler Docteur, car ce dernier est train de compléter son doctorat en philosophie! Entretien avec Ben Hutcherson, guitariste et chanteur pour Khemmis.
Donc Ben, étant donné que ceci est votre première entrevue avec un média francophone du Québec, je me dois de te demander ce que veut dire le mot Khemmis.
Absolument rien. C’est le nom d’une ancienne ville égyptienne. Le mot en tant que tel a un sens. Pour nous, ce n’est que le nom d’une ville. Tu sais, trouver un nom pour un groupe, c’est vraiment poche. De trouver un nom qui n’est pas déjà utilisé ou qui ne sonne pas comme le nom d’un autre groupe ou qui ne soit pas cliché, c’est déjà une tâche énorme. Dan Beiers (bassiste) s’est rappelé du nom Khemmis, c’était un nom qu’il avait vu dans un livre d’histoire au secondaire. Il a lancé l’idée, nous avons aimé le nom. Nous lui avons demandé : « Qu’est-ce que ça veut dire? » Il nous a répondu : « C’est une ville! » Nous avons aimé, peu importe et le groupe va s’appeler Khemmis!
Je vais prendre mes vinyles maintenant. J’ai comme l’impression qu’avec vos 3 albums, nous suivons l’aventure de ce mage barbu et de cette guerrière qui doivent combattre cet autre mage barbu. Que peux-tu nous dire face aux trois personnages qui se retrouvent sur vos couvertures d’albums?
Nous avons toujours aimé le fait qu’un album puisse raconter une histoire mais nous aimons surtout lorsqu’un album peut raconter une histoire qui se veut différente de celles qui se passent dans les chansons. Nos chansons ne sont pas au sujet de sorciers, de chevaliers ou de fantaisie. Elles parlent de la vie de tous les jours, de nos expériences. La portion visuelle est indépendante face aux paroles. C’est comme l’œuvre de Frank Frazetta. C’est celui qui faisait les pochettes pour Molly Hatchet. Leurs chansons ne parlaient pas non plus de sorciers, de sages, de Vikings ou des guerriers. Ce genre de pochettes passe le test du temps et elles se veulent uniques. Chaque personne peut en faire sa propre interprétation, aussi. Si tu écoutes un vinyle de Molly Hatchet ou de Khemmis, tu peux laisser la couverture près de ta table tournante et ça devient pratiquement une œuvre d’art qui accompagne ta session d’écoute. Mais en même temps, la couverture et les paroles demeurent séparées mais libre à toi de penser qu’elles peuvent être liées. Chaque auditeur peut interpréter le tout, à sa façon. Nous ne voulons pas être trop spécifiques avec ce que nos couvertures peuvent représenter pour que chacun puisse avoir sa vision de la chose. Mais quand on prend le temps de regarder l’évolution à partir d’Absolution jusqu’à Desolation, ce qui veut dire de façon chronologique, on remarque que le Bon Sorcier et la Guerrière sont en guerre face aux Forces du Mal. La Guerrière devient une Reine Guerrière sur Desolation, étant donné qu’ils ont réussi leur combat face aux Forces du Mal.
Tu me parles du combat entre le Bien et le Mal, est-ce la raison principale d’avoir deux types de voix avec Khemmis? La voix claire de Phil Pendergast qui représenterait le Bien et la tienne, plus death métallique, qui représenterait le Mal?
C’est une façon de le voir mais nous n’avons jamais établi cette structure de façon intentionnelle. C’est toujours intéressant de varier au niveau des émotions, ça apporte de la couleur. Surtout lorsque tu veux raconter une histoire, justement. Il est bien de varier les voix. C’est comme lorsque tu lis un bon livre. Par exemple, ceux de George RR Martin, celui qui a écrit Game of Thrones. Dans ses livres, il utilise la perspective de plusieurs personnages. C’est un peu la même chose avec le changement de ton avec nos voix. Lorsque nous le faisons dans nos chansons, bien souvent, on peut ressentir ce changement de perspective. Mes lignes vocales représentent autre chose. Est-ce un autre personnage qui parle, est-ce une voix dans la tête d’un personnage? Mais à la base, c’est surtout parce que c’est cool!
Tu m’as dit que Khemmis était le nom d’une ville et que vous n’aimiez pas trop chercher des noms pour baptiser un groupe. Est-ce pour cette raison que tous vos titres d’albums ne contiennent qu’un seul mot?
Nous aimons être succincts et brefs. Encore une fois, la simplicité laisse une grande place à l’interprétation. Certains demandent : « Vous recherchez quel type d’absolution? » en parlant d’Absolution et « Qui est en train de chasser qui? » en relation avec l’album Hunted. Nous demeurons vagues face à ce sujet et ce, de façon intentionnelle. Pas dans le sens que nous, en tant que musiciens, nous nous permettons de dire que nous sommes à la recherche de tel genre d’absolution. En fin de compte, nous sommes tous à la recherche de la rédemption! On ressent tous que nous sommes chassés par quoi que ce soit dans notre vie quotidienne. Que ce soit par notre passé ou par une personne, nous sommes tous chassés. L’album Desolation est en relation avec le sentiment de croire qu’il n’y a peut-être pas de rédemption et que nous ne serons jamais sauvés. En même temps, de savoir que nos titres ont du sens pour nous autant que pour d’autres personnes, c’est la raison qui fait que nous préférons rester vagues sur le sujet, question que vous puissiez garder vos propres idées face à nos titres d’albums.
J’entends souvent ce genre de réponses, venant de la part d’autres musiciens. Effectivement, il faut avoir notre propre interprétation, pour ne pas vivre de déception!
Exactement. Et je le fais moi-même en tant que fan d’autres artistes.
(Photo la plus metal possible: Entrevue devant une garderie!)
Depuis l’album Hunted, vous travaillez avec la même équipe. Sam Turner au niveau artistique et Dave Otero, à la production. Est-ce que nous pouvons les considérer comme les 5e et 6e membres du groupe?
Pratiquement! Plus spécialement avec Dave Otero. Le côté artistique de Sam Turner a un gros impact, c’est indéniable. Mais Dave est vraiment une partie intégrante face à notre structure sonore. Nous entrons en studio, nous croyons que nous possédons les versions finales de nos chansons. Dave nous écoute et il a une oreille plutôt fraiche car il n’a pas passé les 6 ou 8 derniers mois avec nous. Il suggère d’allonger une partie, d’en raccourcir une autre. Il fait des suggestions, même face à mes solos. Il nous pousse à penser à notre musique d’une façon qui se veut, différente. Il l’entend de manière holistique. Nous étions imbibés par nos compositions depuis des mois, des années même. Nous pensions avoir toutes les pièces à la bonne place mais lui, il est capable de voir le tout d’une autre façon et de développer le plein potentiel de nos chansons.
Donc, il est le Sorcier, derrière la console?
Dans un sens, oui.
Il n’est pas du genre à vous dire : « Les gars, il FAUT changer ceci! »
Non, il est plus du genre à faire des suggestions face à des choses auxquelles nous n’avons pas pensé. Il va suggérer de changer la cadence d’une ligne vocale pour la rendre plus dynamique. Aussi, sur notre nouvel album, j’ai un solo sur la dernière chanson du disque. Voyons, j’ai un blanc au sujet du titre. Hahhha!
(Je prends mon vinyle) C’est sur la pièce From Ruin!
J’avais le solo de composé. Nous sommes en train d’enregistrer et à un moment donné, Dave me dit : « Ce solo est bon mais vers la fin, je ferais un changement. Je crois que tu peux faire mieux! » Et moi de lui dire : « Que veux-tu que je fasse? » Dave me dit : « Je veux que tu te laisses aller, libère ta folie! » Nous avons donc fait de nombreuses prises additionnelles, juste moi en train d’improviser. Des trucs qui allaient dans tous les sens. Sur la troisième ou quatrième prise Dave a dit : « Arrête, ceci est parfait! » Il me guidait en disant de garder la note. Tu sais, je ne joue pas avec un vibrato sur mes guitares mais pendant que je jouais cette note, Dave s’est approché la main, en haut de ma guitare et il la désaccordait. Nous avons enregistré uniquement des solos de guitare lors de cette journée. Douze heures consacrées uniquement à des solos. Nous étions fatigués, étourdis et nous avions perdu nos esprits. Il était rendu 8h00 le soir et quand il a fait ça, je lui ai dit : « Qu’est-ce que tu FAIS! » mais le résultat était parfait et c’est ce que vous entendez sur l’album. Une idée qui se voulait à la base saugrenue à laquelle nous n’aurions jamais pensé mais qui a fonctionné à merveille. Cet instant rempli d’inspiration de Dave a fait la différence.
Comme je te le disais, il est un Sorcier!
Tu avais raison, ahhha!
Autre truc intéressant. À l’intérieur de vos albums, du moins en format vinyle, on retrouve de petits livrets qui ressemblent à des livres de Donjons et Dragons ou, je ne sais pas si tu connais ça, Les Livres dont vous êtes le Héros. Qui a eu cette idée d’inclure ce genre de livrets?
Oui, je connais ça. C’est vrai que ça nous remet ce genre d’esthétisme en tête. Nous voulions que les livrets deviennent des portions artistiques pratiquement indépendantes du reste. Tout ça raconte une partie de l’histoire mais il y a d’autres images. Dans le livret pour Hunted, il y a les paroles qui sont imprimées. Nous avons utilisé mon écriture et nous l’avons scanné pour créer notre propre police d’écriture. Nous voulions ajouter cette touche personnelle, quelque chose d’unique. Le livret pour Desolation rappelle un peu plus Donjons et Dragons. Nous n’aimons pas nous répéter en faisant la même chose deux fois de suite. Nous aimons offrir ce sentiment d’aventure, quelque chose de nostalgique qui peut nous ramener à des jeux, des livres ou des albums. Tout ça offre un lien entre la musique, qui nous sommes et d’où nous venons. La musique peut être impersonnelle, surtout lorsqu’elle est consommée en streaming sur Spotify ou Apple Music. Nous aimons offrir une expérience tangible, qui se manipule et qui attire le regard.
J’aimerais parler du fait que vous avez commencé avec la compagnie 20 Buck Spin et que maintenant, vous êtes avec Nuclear Blast. J’ai comme l’impression que 20 Buck Spin a l’ambition de n’être qu’un label de death metal. Est-ce que je me trompe?
C’est drôle car Dave Adelson, le propriétaire de 20 Buck Spin, a travaillé avec l’ancien groupe de death metal de Zac, notre batteur. Lorsque nous lui avons fait parvenir Absolution, il voulait vraiment travailler avec nous. Il voulait faire autre chose, justement. Il n’avait que lancé des albums de death metal. Il faisait du partenariat avec Profound Lore pour lancer des trucs comme le premier Pallbearer. Donc, il y avait une ouverture d’esprit mais il reste que Dave est un fan fini de death metal. Nous avons eu du bon temps avec lui. Nous avons été capables d’atteindre un niveau tel, lors des dernières années, que nous avons reçu des offres de plusieurs labels. Une compagnie comme Nuclear Blast, c’est gigantesque. Ils ont une équipe complète pour faire uniquement la promotion, pour la gérance de la presse, pour gérer le net et leurs réseaux sociaux. Dave ne pouvait pas en donner plus pour le groupe. Dave a été génial pour nous, il a remué ciel et terre pour Khemmis. Nous en sommes tous venus à la conclusion que nous avions épuisé les ressources offertes par 20 Buck Spin. Nous avions déjà une collaboration avec Nuclear Blast car ils ont la licence pour Desolation face au territoire européen. Ils nous ont montré ce qu’ils pouvaient faire pour nous. Le tout a pris une belle expansion en Europe, nous nous sommes retrouvés sur des palmarès de vente en Allemagne et pour nous, c’était une progression naturelle d’y aller avec eux.
Ma dernière question est au sujet de l’impact qu’a eu le magazine Decibel sur votre carrière. Ils ont proclamé Hunted meilleur album de l’année 2016 et vous vous êtes retrouvés sur leur tournée annuelle, avec Enslaved. J’imagine que ça ne peut pas nuire?
Leur sceau d’approbation a été bénéfique pour nous. Nous avons été choyés, chacun de nos albums s’est retrouvé dans leur Top 10 annuel. Certains croient que lorsqu’un groupe obtient la première place sur leur palmarès, ce groupe se retrouvera sur la tournée l’année suivante mais ce n’est pas le cas. Nous avons été sélectionnés par eux. Le tout a été très rapide et en peu de temps. On leur doit beaucoup et tout ça, c’est parce qu’ils aiment notre musique. Nous sommes choyés!