Ghost : Entretien avec Tobias Forge, lors du Heavy Montréal 2019
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Ghost : Entretien avec Tobias Forge, lors du Heavy Montréal 2019

Au Heavy Montréal, nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec Tobias Forge. Il est le cerveau derrière la formation Ghost, groupe qui ne cesse de gravir les échelons du domaine métallique et même, musical. Cette année, j’ai proposé à l’organisation du Heavy Montréal de faire toutes mes entrevues avec mes deux enfants, Renaud et Raphaëlle. Le Heavy Montréal voulait s’ouvrir à la famille cette année et avec cette série d’entrevues avec mes deux enfants, on comprend que l’objectif est atteint! D’une politesse et d’une douceur incomparable, Tobias nous a accueillis avec un sourire étincelant. Lui-même père de famille, on sent qu’il a l’habitude de parler aux enfants.  Ce qui est intéressant, c’est de voir à quel point Tobias prend le temps de bien expliquer ses réponses à mes enfants, pour que tout soit bien compris, surtout pour deux petits francophones qui se débrouillent bien en anglais! Comme de raison, j’ai pu poser quelques questions à mon tour.

Ω Entretien avec Tobias Forge, l’homme sous la soutane de tous les Papas Emeritus et celui qui arbore le velours rouge du Cardinal Copia, avec style! ♥

Bonjour, je suis Tobias, quel est ton nom?

Je m’appelle Raphaëlle.

C’est un très joli nom! Bonjour, je suis Tobias, quel est ton nom?

Je m’appelle Renaud.

Ce nom est très beau aussi! Assoyez-vous!

Raphaëlle : J’aimerais savoir pourquoi tu as choisi le nom Nameless Ghouls (traduction libre : les goules sans nom) pour nommer les musiciens qui sont membres du groupe?

Très bonne question! D’un point de vue global, les goules n’ont pas les caractéristiques auxquelles on peut s’attendre pour des musiciens. La sonorité du mot Ghoul se rapprochait du mot Ghost. Dès les débuts, nous avions en tête de faire un genre de blague. Nous ne voulions pas inscrire dans le livret du premier disque : « Toutes les chansons sont interprétées par Ghost ». Nous voulions plutôt la phrase suivante: « Toutes les chansons sont interprétées par Papa Emeritus I et une bande de Nameless Ghouls » Le tout n’aurait pas bien sonné si nous avions opté pour le terme Nameless Ghosts. Le mot Ghouls sonnait beaucoup mieux. Presque dix années plus tard, j’ose croire que nous avons pris la bonne décision. Est-ce que nous aurions dû choisir l’idée de Nameless Ghosts à la place? Je ne le sais pas! Parfois, ce sont des idées aussi simples qui réussissent à passer le test du temps.

Renaud : J’aime beaucoup l’album Prequelle. Moi et ma famille, nous écoutons l’album à tous les jours. Surtout sur l’heure du souper. Je me demandais si tu commençais à avoir des idées pour le prochain album de Ghost?

Je suis bien content que tu aimes l’album. Quand j’ai le temps, j’écris et je compose pour le prochain album de Ghost. Tout le temps. Je fais cela, tout le temps. Donc, oui, je prépare le nouvel album. En ce moment, nous sommes en tournée, nous donnons des spectacles, comme celui d’aujourd’hui, mais aussi en Europe. Mais j’écris quand même. Quand j’ai le temps, lorsque nous attendons. Je te dirais que j’ai même commencé à travailler sur le nouvel album dès que Prequelle est sorti. C’est comme ça pour bien des artistes, nous écrivons constamment. Lorsque tu as terminé d’enregistrer, tu ne te dis pas : « Bon, mon travail est terminé! » Le disque n’est pas disponible dès le lendemain. Non, ça prend environ 3 mois, juste à attendre. Il se passe autre chose à d’autres niveaux avant que tu puisses avoir le produit fini. Et parfois, ça peut être encore plus long. Trois mois, à ne rien faire? C’est impossible! Sais-tu ce qu’il y a de plus drôle? Quand l’album sort, finalement, tu en as déjà marre car c’était tellement long que tu as passé à autre chose! C’est la même chose avec les films. Si tu vas au cinéma pour voir un film maintenant, les gens qui sont dans le film et qui ont travaillé sur le film, ils sont déjà en train d’en faire un nouveau. Parfois, ils ont même eu le temps d’en faire deux car tout est une question de temps. D’attendre. C’est la même chose en musique. En ce moment, nous sommes en tournée pour Prequelle mais mon esprit est tellement ailleurs! Je pense constamment au prochain album. Je pense même à ce que le prochain spectacle aura l’air. Et c’est ce qui est un peu triste, on dirait que l’on ne peut pas apprécier ce qui se passe en ce moment car on pense toujours à ce qui va suivre. Des fois, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui en profite le plus mais plutôt les gens, comme vous trois. C’est un peu comme organiser un gros party : tu passes du temps à le préparer. Tu prévois les breuvages et la nourriture. Quand tu as terminé les préparatifs, tu es essoufflé mais quand tu reçois tes invités et qu’ils apprécient, tu sens que tu as bien fait les choses! Tu vois que tout le monde est heureux, que tout ça valait la peine mais tu as toujours l’impression que toi, tu n’as pas profité du party.

YKT : Mais tu anticipes déjà le prochain party, tout le temps!

C’est en plein ça!

YKT : Lors de votre dernière visite à la Place Bell de Laval, en décembre dernier, tu as dit sur scène : « Nous aimons bien vous visiter pendant l’hiver mais nous aimerions aussi vous visiter pendant l’été. » J’ai comme l’impression que tu étais en train de nous dire, subtilement, que Ghost serait de retour lors du Heavy Montréal. Est-ce que c’était une façon détournée de l’annoncer?

Je le savais, probablement. Mais je ne suis pas certain. Je ne peux pas te dire que c’était intentionnel. Quand je dis ce genre de choses, c’est parce que je sais qu’il y aura un truc qui implique Ghost et que même si ce n’est pas encore annoncé officiellement, je pourrai dire que ce n’était pas le but ! En disant ceci, je me gardais une certaine réserve. Il faut que tu sois capable d’assumer que tu parles à 5000 personnes et que si tu racontes un truc que tu ne peux pas confirmer par la suite, il y aura de nombreux témoins. Il faut être capable d’apprendre de nos erreurs. Par le passé, j’ai déjà fait des bourdes de ce genre. Sur scène, je parlais de choses qui étaient prévues pour Ghost dans les mois à venir. Dans l’excitation du moment, tu les annonces.  Par exemple, tu es à Sao Paulo, et tu hurles à la fin du spectacle : « On se revoit dans 6 mois! » au lieu de dire « On se revoit bientôt! » C’est le genre de faute que tu peux faire. Les gens dans la foule ont reçu une donnée précise sur une période de temps et ils auront des attentes face à cette donnée. Ensuite, ce qui était prévu n’arrive pas. C’est comme appâter le poisson. Tu es mieux d’avoir quelque chose de solide à annoncer pour ne pas créer de faux espoirs. Plus j’y pense et plus je crois que tu as raison, je devais le savoir!

YKT : Ma prochaine question est un peu longue. Les choses sont allées assez rapidement pour Ghost. Il y a environ 7 ans, Ghost jouait au Théâtre Corona. Par la suite, vous étiez en tournée avec Mastodon et Opeth. Ensuite,  vous vous êtes retrouvés en tête d’affiche au Metropolis et finalement, vous avez joué à guichet fermé à la Place Bell pour revenir aujourd’hui comme tête d’affiche du Heavy Montréal. Quatre albums plus tard, Ghost n’est plus ce groupe qui enregistre sur Rise Above. Toi, Tobias, tu viens de la scène metal suédoise.  Je voulais savoir comment tes pairs qui proviennent de cette scène te perçoivent, maintenant? Est-ce qu’ils sont heureux pour toi? Est-ce que les membres d’Entombed ou de Katatonia voient d’un bon œil tout ce qui se passe pour toi? Ou est-ce qu’il y en a qui te boude?  

Hum… Bonne question…  Je crois que, ça varie. Ça dépend de qui on parle ou à qui tu pourrais le demander. Cela dépend aussi de la personne qui le demande. En général, les gens sont très heureux face à ce qui se passe pour moi, même si ça ne colle pas avec ce que j’ai pu faire par le passé au niveau musical. Mais des fois, et pas seulement à Stockholm, il y a des groupes que j’aimais énormément avec qui maintenant, il y a une certaine animosité. Tout ça m’a surpris!  Je ne vais pas nommer de noms, c’est certain. Cela arrive, ce n’est pas une majorité mais c’est arrivé. Par exemple, je suis dans un festival comme celui-ci. Nous sommes en arrière-scène et tous les groupes sont là pour relaxer et prendre du bon temps. Je vois de nombreux musiciens qui sont membres d’un groupe que j’écoute depuis très longtemps. Un groupe que j’écoutais à l’âge de 12 ans, que j’écoute encore et qui se retrouve sur le même festival où nous jouons. Pour moi, ce groupe est big, populaire car ils sont en tournée tout le temps et pour moi, c’est un groupe majeur car les musiciens proposent encore des albums que j’écoute et achète. On se retrouve 25 ans plus tard, j’ai la chance de rencontrer les membres du groupe. Je me présente et ils me disent (en imitant quelqu’un de grognon) : « Ah oui, c’est toi, la rockstar… »  Je leur dis : « Quoi, moi? » Pas du tout! À mes yeux, ce sont eux les rockstars. C’est arrivé à quelques reprises. Ce qui arrive aussi, c’est lorsque tu crois que les membres de tel groupe sont super cools, que ce sont des hommes et non plus de jeunes mâles écervelés mais tu te rends compte qu’ils sont déplaisants lorsque tu les approches. Je me disais : « Ouais, vous faites durs! »

Hahhhaha (Rires collectifs)  

J’étais très déçu de voir que les membres de ce groupe soient aussi arrogants. Pour quelle raison? Je ne comprenais pas. Parfois, quand les choses ne fonctionnent pas, il se peut que certaines personnes créent une barrière, malheureusement. Avec ce genre de situation, on ne peut pas faire grand-chose. Ce n’est pas notre problème, c’est plutôt leur problème. Il n’y a rien que l’on puisse faire pour le changer car si tu essaies, c’est pire. Heureusement, ce ne sont que quelques personnes. Ce n’est qu’une minorité. Quelques musiciens qui sont demeurés amers. Avec les années, j’ai rencontré énormément de gens. Des gens envers qui j’avais énormément de respect et que j’avais en haute estime. Aujourd’hui, je les respecte encore plus car ce sont des personnes géniales qui te respectent autant que tu les respectes. Je ne veux pas parler uniquement de formations majeures comme Metallica ou Iron Maiden. Il y a des gens de groupes plus underground qui me démontrent énormément de support. Et de respect. Et c’est réciproque. Mais en même temps, je ne sais pas précisément ce qu’ils peuvent penser de moi car je ne le demande pas, de façon directe et personnelle à tous les membres de la scène death metal suédoise. Ce serait une perte de temps énorme en plus d’une dépense d’énergie!

YKT : En ce moment, tu portes un t-shirt de Voïvod. Nous avons déjà fait deux entrevues ensemble et lors de la première, à l’époque de Opus Eponymous, je te parlais de mes impressions face aux influences de Ghost. Je t’avais dit que je trouvais que Ghost avait des similitudes avec Mercyful Fate et Blue Öyster Cult. Tu m’avais dit un truc plutôt marquant : « Nous sommes définitivement beaucoup plus influencés par Voïvod.» Ce commentaire m’avait franchement étonné! Étant donné que tu es au Québec et que Voïvod est une formation d’ici, que peux-tu nous dire face à ta passion pour ce groupe?

Depuis que j’écoute ce groupe, j’ai toujours trouvé qu’il y avait un élément d’étrangeté dans leur musique. J’ai tout de suite été capable de créer un lien avec ce que Voïvod proposait et je pouvais m’identifier facilement à leur musique. J’ai toujours ressenti cette connexion avec le fait que ce groupe ait toujours voulu contribuer au mouvement et non pas uniquement participer. C’était clair. Ils avaient leur façon de voir et de proposer la musique. Ils ne l’interprétaient pas selon les conventions de base. Ils avaient des influences audibles comme Venom et Motörhead mais ils ne voulaient pas uniquement suivre le chemin tracé par leurs influences, ils voulaient plutôt créer quelque chose d’unique. À cette époque, il y avait le thrash européen comme Destruction et Kreator mais Voïvod n’allait pas exactement dans la même direction. Ils étaient beaucoup plus comme Celtic Frost. Des groupes, uniques. De façon délibérée, ils ont fait quelque chose qui se voulait à part des autres, original et ce, sur chaque album. Même si je suis plus fervent d’un album comme Killing Technology, j’apprécie vraiment des albums comme Angel Rat. Voïvod, ils étaient tellement, braves! Il fallait le faire et ça prenait du courage pour sortir quelque chose qui se voulait tellement à l’opposé de ce qu’ils proposaient d’habitude. Nothingface est aussi un album qui a du cran! J’ai toujours aimé lorsque Voïvod arrivait avec une sonorité qui pouvait être goth, lugubre et pop mais qui gardait le même style. C’est dans leur ADN je crois. Dans tout ce que le groupe peut proposer, il y a cet élément bizarre, cette façon désaccordée de s’accorder! Une touche particulière! J’aime tout de Voïvod. Et le visuel du groupe est superbe. Le travail d’Away est fantastique. J’avais un vieux jacket de jeans. J’étais allé voir le groupe en spectacle et j’avais rencontré Away. Vraiment sympathique et généreux de son temps. Il a autographié mon jacket. Tu sais, sa signature classique? Dès que tu vois sa signature, tu sais que c’est la sienne. Je devais avoir, 17 ou 18 ans dans le temps. J’ai encore ce jacket mais je ne peux plus le porter, il est trop usé!

YKT : Lorsque Nergal de Behemoth a posté sur Instagram cette désormais « célèbre » photo où vous êtes tous les deux en arrière-scène, sans ton costume de Papa Emeritus. Les gens ont tout de suite compris que c’était Tobias Forge qui était sous la toge papale. De plus, Nergal avait inscrit, en guise de titre : If you have Ghosts. C’était d’une évidence. Est-ce que cette photo a été la bougie d’allumage face au fait de te démasquer?

Non, pas du tout.

YKT : À quel moment as-tu senti que c’était le temps de faire comme KISS, sur Lick it Up?

Hahha! Le tout s’est fait de façon graduelle. Il y a eu de petites étapes face à ma décision. C’était une décision sentie et prise de façon délibérée. Au niveau esthétique, Ghost doit porter des masques et ce sera comme ça. Il n’est pas question que nous nous retrouvions sur scène avec nos vêtements de tous les jours.  Ceci est non-négociable. J’ose même m’avancer en disant que cela n’arrivera jamais. Il n’y a pas de raison de le faire. Ceci est une partie intégrante de Ghost. C’est comme lorsque l’on regarde un film et que nous savons qu’il a été fait avec des écrans verts lors du tournage. Ils doivent être remplacés par des images créées par ordinateur. Sinon, ce serait un film avec des acteurs qui marchent devant des écrans verts. Avec Ghost, c’est la même chose. Tu veux voir quelque chose de complet. Un produit fini. Ce qui est arrivé avec Nergal? Il ne faisait que prendre des photos, comme d’habitude! J’en ai pris une avec lui car nous sommes de bons amis. Il a posté la photo. Est-ce que c’était prévu ou est-ce que c’était un accident? Je ne le sais pas. Cette photo ne m’a jamais nuit en tant que tel. Elle a fait jaser, c’est certain. En fin de compte, c’est surtout lui qui a reçu de la merde pour l’avoir fait! Je ne vois pas ceci comme quelque chose de mauvais ni comme étant un élément qui m’a incité à me démasquer.

YKT : Tobias, nous te remercions beaucoup!

C’était vraiment cool. Merci à toi, merci les enfants!

http://ghost-official.com/

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