Satellite 418

Ogden c’est pas un cave (ou l’importance d’aller au-delà de la première impression)

Défi : trouve-moi quelqu’un qui n’aime pas Alaclair Ensemble. À commencer par tes parents, sûrement, tu ne devrais pas avoir trop de mal. À la lumière de notre spécial hip-hop sur papier-qui-tache, aussi, je peux te dire sans me tromper que nombreux sont les pseudo-mélomanes qui qualifient le rap de bruit indésirable, qui crachent sur le genre. « C’est pas de la musique, c’est juste des sons qui sortent d’un ordi! » Un discours vieux comme le monde qui remonte à l’avènement pop du new wave. En 2013, on a encore ce travail d’éducation-là à faire. Comme journaliste en tout cas.

Sauf qu’Alaclair Ensemble est dans une classe à part. C’est un univers parallèle né d’un Big Bang de créativité, c’est aussi un glossaire complexe créé sur mesure pour le projet, une célébration du patrimoine québécois. Une visite sur le site web qui fait aussi office de réelle œuvre d’art virtuelle vous convaincra. Un travail de moine, un site truffé de petits détails signés Ogden, l’un des MC.

Autrement dit, Alaclair c’est un gros bouilli de tout-c’qui est porté à ébullition qui se renverse sur le World Wide Web comme de l’autre côté de l’écran. En show, la marmite explose. Maybe Watson saute partout, Claude Bégin enlève son t-shirt, Eman (à moins que ce soit KenLo) danse avec leur désormais emblématique drapeau bas-canadien. Moi-même j’ai été une de ces journalistes vieilles dans le cœur la première fois que je les ai vus, au Festival d’été, en juillet 2011, alors que j’étais critique pigiste pour Le Soleil. Je n’avais pas regardé plus loin que mon nez. Je m’étais trompée comme tant de mes semblables, avant et après moi. J’avais écrit quelque chose de plate à leur endroit. Je les avais perçus comme des ados attardés. J’assume mal. Je m’excuse.

Le temps, très peu en fait, m’a prouvé que j’avais tort. Alaclair, je les ai apprivoisés rapidement et ce, dès mon entrée à CHYZ. La station les poussait; j’ai embarqué très vite. Puis Ogden est venu en entrevue, chic type qui se transforme en Robert Nelson au moment d’allumer les micros. Ma première réaction a été de prendre ça comme un affront, de peur qu’il s’amuse à me niaiser on air comme tant de bands hype le font. Le temps m’a encore une fois prouvé que j’avais tort parce que Ogden est repassé en entrevue cinq ou six fois au cours de mes deux ans à CHYZ pour parler du Punch Club (son concept d’impro street à succès) et d’autres fois du collectif hip-hop qu’il a tatoué sur son coeur. Ce que j’ai fini par catcher en le côtoyant lui, Eman et Maybe Watson, c’est que les entrevues sont des exercices de création à part entière quand il est question de parler au nom d’Alaclair. Je l’ai compris plus tard. Pas comme les médias mainstream qui continuent de les bouder par peur de voir leurs journalistes maison déstabilisés, les voir mal paraître à la télé. Je prête des intentions aux diffuseurs, je sais, mais reste que le petit écran au Québec est aujourd’hui aseptisé, formaté. On est loin des robes mini-putt de Julie Snyder à heure de grande écoute, et vendre un projet d’émission comme N’ajustez pas votre sécheuse relèverait de l’exploit olympique.

Or, ce rejet clair des médias grand public les a poussés à faire la promotion de leur art autrement. De toute façon, les 18-35 sont nombreux à se désintéresser de la télévision qui ne leur parle plus, nombreux à ne même pas posséder pareil bébelle dans leur appart. Ça, Alaclair l’a compris, et c’est pour ça qu’il remplace les médias traditionnels par le web et la vente itinérante pour mousser ses disques. Sans compter que les gars offrent gratuitement leurs albums sur Bandcamp. Une offrande qui fait sûrement grincer des dents les ardents défenseurs du téléchargement illégal (on salue Boom Desjardins!) qui, au bout du compte, finissent par payer puisque leurs spectacles sont souvent pleins et la fan base nombreuse. Je le sais, je les ai vus plusieurs fois en show. À mon plus grand plaisir, d’ailleurs.

Au fils des ans, Ogden et sa bande de joyeux lurons ont su bâtir une expertise terrain et web. Une façon de commercialiser l’art qui leur est propre. Un modèle d’affaires en réponse au téléchargement illégal, justement. C’est, en soi, quelque chose de tout à fait admirable.

Et c’est justement de ça que viendra parler Ogden (Ridjanovic) à l’évènement TEDx de Québec au Théâtre Périscope le 26 novembre prochain. Le seul MC que je connais qui a gardé son vrai prénom. Le seul MC que je connais à être invité à pareil regroupement d’intellectuels. Chapeau.

Un gars brillant, un gars qui connait l’histoire du Québec sur le bout de ses doigts et qui s’amuse à la déconstruire pour en faire une fête, un pawté, un gros gâteau. Ogden, c’est un post-rigodonneux de 24 ans qui, en plus de s’être construit un monde imaginaire, s’est aussi mis en marché tout seul, comme un grand.

Combien de temps les institutions comme l’ADISQ continueront-elles de croire qu’il est un débile léger? Combien de temps les télés et les autres médias de masse continueront-il à bouder son génie?