J’ai fait le décompte. Depuis le mois d’août, depuis que je suis arrivée au Voir à temps plein, six pages frontispices ont mis en vedette des musiciens hommes. Pour les femmes, la récolte est mince. J’en compte deux avec celle qui est dans les bacs ce jeudi. Grenadine.
Il en découle un constat, même si tout ceci n’est que le fruit du hasard. Si Star Académie et La Voix sont des usines à chanteuses, peu nombreuses sont les filles qui viennent à se tailler une place sur la scène dite indie ou alternative. Une simple question se pose alors: pourquoi? Pourquoi les filles sont-elles minoritaires dans l’industrie au Québec et particulièrement à Labeaume Ville?
La vie de musicienne est-elle comme une chanson de la pop star britannique Lily Allen? Le mythe du producteur véreux qui demande à ses protégées de perdre du poids et de dévoiler un max de peau dans leurs clips existe-t-il? J’ai posé la question à plusieurs filles d’ici, de plusieurs styles et gangs: chanson, hip-hop, folk.
Ce que vous trouverez ici est donc un recueil de conseils – pour cette chère fille qui veut percer – puisés à même les citations les plus éloquentes de celles qui ont courageusement accepté de se prêter au jeu du statement féministe musical. Une élégante façon de dire: «Hey! les boys, on est là nous autres aussi!»
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Odile DuPont, auteure-compositrice-interprète comico-romantico-tragique
Photo: Christian Baron
«Quand j’avais 23 ans, un gars qui voulait être gérant m’a proposé un look avec une casquette et un t-shirt blanc moulant. Ça ne me ressemblait pas et j’ai dit non! Aujourd’hui, à 30 ans, je suis capable de me définir comme femme. Capable de reconnaître mon talent et de faire émerger mes couleurs. Le conseil que je voudrais donner aux autres filles, c’est tout simplement d’être à l’écoute de leur originalité et d’être audacieuses!»
Safia Nolin, auteure-compositrice-interprète signée chez Bonsound
Photo: Zahia Nolin
«Quand j’ai commencé à faire des covers sur YouTube, j’ai eu beaucoup de menaces de mort du genre «va te suicider!» et surtout beaucoup de commentaires sur mon poids. […] Moi le conseil que j’aurais à donner, c’est de s’en câlisser. Tu prends leurs commentaires, tu les crisses par la fenêtre et tu gardes précieusement ceux qui sont positifs.»
Camille Poliquin, choriste de David Giguère et Jason Bajada
Photo: Le Pigeon
«On m’a dit qu’il y a avait une loi non-écrite qui disait que c’était interdit d’engager des filles dans un band de tournée, parce que ça pouvait faire de la marde si jamais elle décidait de sortir avec un des gars. C’était pas mal la chose la plus sexiste que j’ai entendue. Finalement, je suis allée en tournée pareil. Et j’ai pas eu de problèmes avec personne. […] Toutes les filles qui tournent en ce moment, c’est des bros. Lisa LeBlanc, Marie-Pierre Arthur, Adèle qui chante avec Louis-Jean. En conclusion, je dirais sois bro et fais pas chier avec ton lip gloss.»
Sarahmée, rappeuse et (accessoirement) sœur de Karim Ouellet
Photo: Tom Lapointe
«Mon entourage est assez masculin, les beatmakers avec qui je travaille sont toujours des gars. Au Québec, c’est pas comme aux États-Unis, aux UK ou en France: il n’y a pas beaucoup de filles qui font du rap. […] Le conseil que j’aurais à donner, c’est de s’entourer des bonnes personnes et de trouver un son à soi. Fais preuve de caractère, tiens ton bout et respecte tes valeurs parce qu’au bout du compte, c’est pas parce que t’es cute que tu vas durer.»
Jane Ehrhardt, auteure-compositrice-interprète indépendante
Photo: Joffrey Floyd Doyon
«Je trouve ça triste que certaines filles plus jeunes disent qu’elles ne sont pas féministes, que ça ne sert à rien parce que nous sommes maintenant égales aux hommes. C’est pas toujours vrai. Je pense même qu’on a reculé dans certains cas. Moi, il y a déjà eu des gens qui m’ont proposé d’investir sur mon look et d’être plus sexy. Mais moi, c’est pas le public que je veux aller chercher. T’sais, mes idoles sont Sinead O’Connor et Patti Smith! Je pense que, comme chanteuse, il ne faut pas se laisser atteindre par les stéréotypes et se concentrer sur son art.»
Fanny Bloom, auteure-compositrice-interprète signée chez Dare to Care/Grosse Boîte
Photo: Le Pigeon
« Mon conseil est de ne pas se laisser intimider. Ni par les gars, ni par les filles. Les filles peuvent être facilement intimidées par les autres filles qui sont dans le milieu de la musique, justement parce qu’elles sont plus rares. Elles dégagent une force particulière qui peut effrayer parfois. Mais elles peuvent aussi, et surtout, être les meilleures alliées! »
Stéphanie Boulay (Les sœurs Boulay), auteure-compositrice interprète signée chez Dare to Care/Grosse Boîte
Photo: Le Pigeon
« Je crois que la plupart du temps, se sentir trop fille pour l’industrie, c’est même pas une pression qui vient des hommes mais de nous-mêmes. J’ai sûrement été tentée de devenir plus rough pour me sentir égale alors que j’aurais juste dû juste faire mes petites affaires et m’en sacrer. […] Je pense qu’y a plein de place au Québec pour des belles filles musiciennes qui ont pas envie de se servir de leurs seins pour percer, mais qui sentent pas le besoin de faire comme si y’en avaient pas non plus. »
Mélanie Boulay (Les sœurs Boulay), auteure-compositrice-interprète signée chez Dare to Care/Grosse Boîte
Photo: Le Pigeon
«Je ne me sens jamais autant jugée d’être une fille musicienne que quand je vais m’acheter du gear et que je suis servie par un vieux de la vieille qui croit que si je suis une fille et que je fais de la musique, je dois être une cruche. […] Le meilleur conseil que j’aurais à donner à une fille qui veut faire de la musique, c’est peut-être cliché et facile, mais c’est d’en faire, tout simplement. D’essayer de pas douter de sa place, de son talent, de sa force. De le faire par envie et par passion.»
Christine Tassan et Les Imposteures !!
http://christinetassanetlesimposteures.bandcamp.com/album/pas-manouche-cest-louche
De super bonnes musiciennes dans le monde hyper masculin du jazz manouche.
J’ai participé à de nombreuses formations à la SPACQ, Petite Vallée, Ampli de Québec, Centre Maurice Barbeau. Les filles y étaient présentes, engagées et talentueuses. Il serait intéressant de regarder si cette industrie est équitable dans l’octroi des subventions, dans les boîtes de production. Est-ce que les filles tirent bien leur épingle du jeu? Dans les concours il me semble que oui, mais dans les lieux de diffusion qu’en est-il? Je fais partie d’un Club de guitare dans une communauté locale, nous jouons à chaque mois deux chansons chacun. Dans ce club environ 15-20 guitaristes. Je suis la seule fille en ce moment. En 5 ans d’appartenance je n’y ai rencontré sur scène qu’une parolière, une autre auteure-compositeure-interprète et quelques interprètes. À chaque mois plus d’une dizaine de guitaristes offrent des compositions ou des interprétations. Dans la région de Portneuf, nous sommes donc largement minoritaire pour le moment. Je crois que l’ équité des subventions et opportunités de diffusion est nécessaire pour la relève. Je nous la souhaite pour que les femmes artistes puissent aussi partager leur vision au sein de nos sociétés, qu’elles puissent transmettre leur passion et œuvrer au mieux-être des collectivités par leur art également et qu’elle puisse faire rayonne leur talent. Bonne continuité à toutes!